Créationnisme, croyances complotistes, occultisme, fake-news, défiance envers la science… Fin 2022, l’Ifop a réalisé une enquête auprès des jeunes français (11-24 ans) pour mesurer leur porosité aux contre-vérités scientifiques au regard de leur usage des réseaux sociaux, pour les fondations Reboot et Jean-Jaurès. Les résultats ont de quoi interpeler. L’Académie des sciences fait le point avec Serge Abiteboul, académicien, directeur de recherche à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et à l’ENS et membre du collège de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse).
Au fond, j’crois pas qu’la Terre est ronde
Alors qu’elle reste marginale chez les seniors (3%), l’idée que la Terre puisse être plate plutôt que ronde recueille, en France, un assentiment non négligeable de la part des 18-24 ans (1 sur 6 environ), pourtant tout juste sortis du système scolaire ou en passe de le faire. « Les jeunes sont avant tout ce que la société fait d’eux« , prévient Serge Abiteboul. C’est à elle de les aider à développer leur esprit critique, à prendre du recul par rapport aux informations qu’ils reçoivent. Et avec le numérique et l’explosion du nombre de contenus disponibles, c’est encore plus indispensable de savoir le faire. « Pour survivre dans ce tsunami informationnel, il faut développer son esprit critique, apprendre à choisir ce qu’on regarde et à en évaluer la qualité« .
Saturer pour mieux régner
Les jeunes sont de plus en plus nombreux à utiliser les réseaux sociaux, et notamment TikTok, pour se divertir, mais aussi pour s’informer. Or, les algorithmes des réseaux sociaux se basent sur ce qui existe, sur ce qui est publié, pour proposer à l’utilisateur du contenu. « Ils ne créent pas de contenu, bons ou mauvais, ils relayent simplement des contenus produits par d’autres« , rappelle Serge Abiteboul. Avec malgré tout un parti-pris, à l’origine de ce qu’on appelle un biais de confirmation. Les algorithmes proposent à l’utilisateur des publications susceptibles de lui plaire, parce que correspondant à ses centres d’intérêt et à ses idées. Ils lui apportent ce qu’il attend, le confinant ainsi dans sa zone de confort, le confortant dans ses certitudes.
Autre point, la crédibilité d’une information relayée par un influenceur est, pour une proportion non négligeable des jeunes, directement corrélée à la popularité de celui qui la publie. « Plus de 40 % des utilisateurs de TikTok ont confiance dans le contenu des influenceurs s’ils ont beaucoup d’abonnés« , indique la fondation Jean-Jaurès.
Enfin, les gens qui ont intérêt à propager des fake-news ou des contre-vérités scientifiques sont généralement bien organisés pour saturer les espaces numériques. Ils misent sur l’effet de masse (beaucoup de contenus, beaucoup de relais) pour noyer les contenus de qualité dans un bruit informatif. Au bilan, résume Serge Abiteboul, « on n’entend pas assez les experts, les personnes compétentes, au milieu de tout ce vacarme« . À eux donc de se faire plus et mieux entendre.
Repenser la communication scientifique
« Les chercheurs et les institutions (universités, centres de recherche, Académie des sciences, établissements de culture scientifique comme la Cité des sciences et de l’industrie…) ont toute légitimité pour être présents sur les réseaux sociaux pour parler de science et parler de la science et doivent le faire encore davantage« , affirme Serge Abiteboul. « Avec des formats, des modes d’expression et un vocabulaire adapté au grand public en général et aux jeunes en particulier, en travaillant pour cela avec des professionnels de la médiation scientifique », précise-t-il. L’objectif est « que les bonnes infos ne soient pas plus difficiles à trouver ni à comprendre que les mauvaises« .
L’école doit continuer à évoluer, en donnant aux élèves les clefs pour comprendre les usages du monde numérique, les fondements de la démarche scientifique et les ressorts du complotisme. La presse aussi, qui est en train de se réinventer « pour trouver de nouveaux modèles, à l’heure où de moins en moins d’internautes, surtout chez les jeunes, sont disposés à payer pour accéder à une information de qualité« .
Dernier levier, la régulation. « Il ne s’agit pas de censurer ni de règlementer strictement les usages pour aller vers une pensée unique« , alerte d’emblée Serge Abiteboul, mais de formuler des recommandations ou d’encadrer certaines pratiques. C’est tout l’objectif du DSA (Digital Services Act), le règlement européen sur les services numériques, approuvé par le Conseil de l’Union européenne en octobre 2022, qui vise à réguler les activités des plateformes, en particulier des Gafam. Cette législation sur les services numériques fixe un ensemble de règles, qui devraient notamment permettre d’atténuer certains risques systémiques, comme la manipulation de l’information ou la désinformation.
Serge Abiteboul
Communiqué Académie des sciences
Institut de France
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