Le Requiem de Verdi en grand format avec le Cercle de l’Harmonie, dirigé par Jérémie Rhorer à Aix, 1h40 de bonheur, « l’excellentissime chef d’orchestre », peut-on lire dans Le Monde. Et c’est grandement mérité. Rien d’étonnant à ce que l’on le présente ainsi. On connaît l’orchestre et son chef, apprécié pour sa capacité à interpréter aussi bien des œuvres baroques que des répertoires classiques et romantiques avec une approche à la fois rigoureuse et inventive. Des interprétations très étudiées, documentées historiquement. On pense au travail sur Mozart ou Beethoven, avec cette attention toute spéciale aux nuances et aux détails qui ont tant de fois conquis le public aixois. On se souvient du Festival de Pâques de la Missa solemnis de Beethoven, une œuvre magnifique, très peu jouée. On a encore en mémoire un programme Brahms et Bruckner, un concert de toute beauté, donné au GTP en novembre 2021. Et tant d’autres rendez-vous qui ont marqué les esprits.
Jérémie Rhorer est bien entouré. Dès l’apparition des musiciens, des chœurs et des solistes sur scène, le public ne peut s’empêcher d’émettre des exclamations de plaisir et de surprise… à la hauteur de l’œuvre monumentale qui va se jouer.
Elle est notamment magique l’apparition de l’Audi Jugendchorakademie tout en haut de la scène. Si on est séduit par l’esthétique de ce chœur, on le sera davantage encore par l’exceptionnelle qualité de ses jeunes talents – ils ont entre 16 et 27 ans – et viennent principalement d’Allemagne. Rapidement, on comprend que cet ensemble est capable d’interpréter une œuvre aussi forte que ce Requiem, et le choisir correspond bien à l’ambition artistique du chef Jérémie Rhorer.
On est également totalement sous le charme d’Axelle Fanyo, la soprano française. Chaque note qu’elle interprète semble imprégnée d’une intention sincère. On est subjugué par tant d’expressivité.
Agnieszka Rehlis, la mezzo-soprano polonaise, est tout aussi merveilleuse. Elle captive par une présence vocale profonde, tout à la fois pleine de tendresse et de force. On peut dire que chez les quatre solistes de ce Requiem, l’expression et la technique se marient avec une rare sensibilité. Justement, Ivan Magri, le ténor, possède, lui aussi, une voix puissante qu’il sait nuancer pour lui offrir plus d’éclat et de brillance.
Coup de cœur également pour l’Ukrainien Alexander Tsymbalyuk, dont la superbe voix de basse, à la fois riche et autoritaire, s’impose de manière magistrale. L’homme, par sa présence vocale et aussi physique, ne nous laisse pas indifférent.
Grâce à tout ce « petit » monde, on entre très vite dans le Requiem, cette œuvre puissante, dramatique et profondément émotive.
Dans le noir, on essaie de suivre le programme.
Tout commence en douceur dans une atmosphère de recueillement. Le chœur, avec une sobriété touchante et beaucoup de réserve, nous murmure un « Introït » de toute beauté. Le climat en ce début de soirée nous fait tout oublier. Nous sommes là, et plus rien ne compte que cette douceur, faite de méditations. On a l’impression que les solistes, à la voix si caressante, dialoguent avec les étoiles mais la menace plane.
L’atmosphère s’est donc installée, et elle va se faire de plus en plus intense à mesure que les sons se mêlent. Le chef crée des fondus subtils, met en avant le quatuor, juste ce qu’il faut pour ne pas rompre cet équilibre entre les chœurs et l’orchestre. On aime encore l’intensité dramatique, les contrastes frappants du Dies Irae
Verdi, homme d’opéra, avec ces percussions et ces cuivres qui tonnent comme un avertissement, tandis que le chœur s’emporte dans des élans de grande intensité. Chaque intervention des solistes nous éclaire sur le Jugement dernier, nous assurant quelques frissons au passage, car l’effroi et les supplications sont palpables. C’est très fort d’assister à des moments de grande douceur, suivis de passages de terreur et de colère qui nous secouent littéralement.
On pense notamment aux trompettes qui surgissent et nous saisissent : un appel à la résurrection qui résonne encore à nos oreilles. Qui mieux que Verdi pour offrir un aspect monumental à ce Tuba mirum ? Le dialogue entre les solistes et le chœur est admirable, et l’isolement des trompettes renforce l’aspect théâtral. Cette disposition spatialisée amplifie le son, qui semble venir de toute part.
Dans le Recordare, retour à la tendresse, les solistes offrent une belle prière, où chaque ligne mélodique exprime un désir de rédemption avec un lyrisme touchant. Puis, contraste de nouveau, le drame surgit avec le Confutatis, opposant des voix d’hommes à des voix de femmes.
Un de nos moments préférés dans ce Requiem est le Lacrimosa, à la mélodie si expressive. On aime la rencontre du chœur et des solistes, donnant à ces pages une intensité incroyable.
Quel bonheur encore le Sanctus ! Plus gai, plus exalté, dans lequel l’énergie déployée par le chœur est un moment unique aussi.
Dans l’Agnus Dei, les deux voix féminines nous offrent un moment de pureté et de recueillement. Axelle Fanyo et Agnieszka Rehlis chantent à l’unisson, créant une impression d’humilité touchante… On arrive au Lux æterna, porté par l’orchestration toujours subtile du chef, qui nous conduit vers la fin de ce beau voyage. Effectivement, Libera me reprend les thèmes du Dies iræ et nous dit bien que tout est fini !
La tension dramatique est plus forte que jamais, et pourtant, on sent, dans le chant de la soprano soliste, dans son cri désespéré, que si la peur est toujours présente, l’espoir face au jugement divin est lui aussi encore présent. La chanteuse est accompagnée par le chœur et l’orchestre, cependant c’est seule qu’elle conclut, dans un murmure qui se dissout dans le silence.
Nous avons rarement entendu un si beau Requiem de Verdi. Les chœurs, l’orchestre et les solistes avancent comme un seul homme, d’un seul élan, comme poussés dans leurs derniers retranchements par un jeune chef inspiré. Alors que le silence s’installe, comme une révérence, le chef reste immobile, un moment. Comme sonné. Il était de toute évidence aussi ému que nous, public.
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