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Martha Argerich et Renaud Capuçon ouvrent le festival de Pâques à Aix

par Pétra Wauters

C’est parti pour une quinzaine d’exception à Aix-en-Provence du 11 au 27 avril !
 

Ce samedi 11 avril 2025, en ouverture, Renaud Capuçon dirige l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Ce soir-là, la légendaire Martha Argerich est au piano, en soliste, pour le Concerto n°1 de Beethoven.

Au programme :
Charlotte Sohy (1887-1955)
Danse mystique, op. 19
Ludwig van Beethoven (1770–1827)
Concerto pour piano n°1 en ut majeur, op. 15
Antonín Dvořák (1841–1904)
Symphonie n°8 en sol majeur, op. 88

Le directeur artistique du festival a souvent joué avec l’ONCT. Le violoniste apprécie d’autant plus la sonorité chaleureuse de cet orchestre que celui-ci s’adapte à merveille à son style de jeu, expressif et lyrique. Rien d’étonnant, donc, qu’au fil des ans, une belle relation se soit nouée, relation qui enrichit chaque interprétation.
Ce soir-là, Renaud Capuçon troque l’archet pour la baguette, chose plus rare, car il dirige le plus souvent tout en jouant du violon.

On peut comprendre qu’il y ait quelques réserves dans la salle.  Ils sont pourtant nombreux à cumuler les casquettes de chef et de soliste. Mais force est de reconnaître que cela fonctionne bien avec Renaud Capuçon. Et pas seulement grâce à son charisme ou à sa passion communicative : il sait écouter, travailler dans le dialogue. Cela n’enlève en rien à l’admiration qu’on porte aux grands chefs professionnels,  car oui, tout le monde est bien conscient que la direction est un métier à part entière. Il faut dire que, pour diriger, Renaud Capuçon choisit bien ses programmes et … ses invités ! Au piano, ce soir-là, son amie, la « légende » Martha Argerich, grande fidèle du festival.

Olécio partenaire de Wukali


On apprend que la pianiste a toujours eu un amour tout particulier pour les deux premiers concertos de Beethoven, qu’elle a interprétés à de multiples reprises. Le n°1 va nous enchanter. Beethoven n’a que vingt-quatre ans lorsqu’il compose cette œuvre pensée pour un petit orchestre.

Mais pour commencer, on redécouvre Charlotte Sohy (1887-1955), Danse mystique, op. 19

Déjà, quelle belle idée de mettre au programme Charlotte Sohy. Elle fait partie de ces compositrices françaises longtemps oubliées, ce qui rend ses œuvres d’autant plus précieuses et rares, et difficiles à classer ! On remarque que ces dernières années, on nous fait redécouvrir des compositrices longtemps oubliées. Peut-être parce que leurs œuvres, trop longtemps restées dans l’ombre, n’avaient pas trouvé d’oreilles prêtes à les entendre.
En tout cas, les nôtres saisissent vite la dimension mystique de cette Danse, cette spiritualité musicale qui mêle toutes sortes d’influences : post-romantiques, impressionnistes… 
Nous sommes touchés par cette Danse mystique, empreinte de mystère, qui glisse et semble tourbillonner dans un élan spirituel. On y retrouve toute l’influence du symbolisme de l’époque. Voilà une pièce que les musiciens ont rendue vibrante.
Ils ont su saisir l’atmosphère introspective de cette musique, ses couleurs orchestrales riches, nuancées, singulières et de son pupitre, face à ses musiciens, Renaud Capuçon très inspiré, a convaincu. 

festival de Pâques 2025 Renaud Capuçon Martha Argerich

Place à Martha Argerich !

Ludwig van Beethoven, Concerto pour piano n°1 en ut majeur, op. 15.
Dans la salle, c’était pour certains « la toute première fois » qu’ils écoutaient Martha Argerich et l’émotion était grande. Pour d’autres, l’émotion restait intacte, même après la nième fois. Et comment pourrait-il en être autrement ? Le Concerto n°1 de Beethoven, nous l’avons entendu maintes fois, dans de belles versions.  Mais celle-ci marque les esprits. Comment ne pas être frappé par l’interprétation de Martha Argerich ? De toute évidence, elle possède une grande compréhension de l’œuvre, qu’elle joue avec clarté, fluidité, passion et plaisir. Elle sait quand se retenir, quand chercher plus loin.

Dès l’introduction, dans cet Allegro con brio qui s’installe longuement, elle donne le ton. Elle se joue de ce tempo vif, garde toute la clarté nécessaire pour dérouler ces longues cadences qui exigent virtuosité et endurance. Ses doigts ne faiblissent pas, ils sont « extraordinaires ».
Son énergie est quasi énergisante, puissante. Elle joue avec une liberté expressive qui n’appartient qu’à elle, tout en respectant scrupuleusement la structure de Beethoven.

Que de beaux ornements dans le Largo, le mouvement lent ! La pianiste crée une atmosphère contemplative grâce à son toucher d’une grande délicatesse. Elle parvient à lui donner une belle profondeur émotionnelle.
Si elle brillait déjà dans les deux premiers mouvements, le troisième est carrément sublime.
Dans ce Rondo final, son jeu mêle esprit, légèreté, vivacité, rythme. Elle nous livre tout le caractère enjoué et spontané de ce mouvement avec une virtuosité qui semble sans effort.
Oui, c’est bien cela : « Comme c’est facile de jouer du piano ! » s’amusent certains, conquis par tant de grâce.
Martha Argerich garde cette belle fraîcheur dans son jeu. Grâce à sa générosité, sa spontanéité, on a l’impression qu’elle joue cette œuvre pour la première fois, alors qu’elle l’a tant de fois interprétée. Est-ce dû à sa technique irréprochable, à cette intensité émotionnelle qu’elle exprime avec finesse ? Toujours est-il que pour nous, public, c’est comme si on redécouvrait l’œuvre, comme si ce concerto se créait là, sous nos yeux ébahis et nos oreilles au paradis.

Elle reste encore un peu avec nous, Martha, avec un bis sublime : une pièce de Bach la Gavotte en sol mineur, extraite de la Suite anglaise. Elle évoque, par son bel élan rythmique et son style ornemental, quelque chose de Scarlatti. Il nous semble qu’il existe d’autres résonnances qui unissent les deux compositeurs.  
Lors des applaudissements et cela ne nous a pas échappé : Renaud Capuçon s’efface avec élégance. En retrait, il applaudit la grande pianiste, la laissant seule dans la lumière, dans un hommage silencieux…

Ouverture du festival de Pâques 2025
Renaud Capuçon et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse
©photo Caroline Doutre

Après l’entracte: Antonín Dvořák, Symphonie n°8 en sol majeur, op. 88

Renaud Capuçon à la baguette est attendu avec cette œuvre.  Elle coule de source dans ce programme et convient parfaitement à cet orchestre et à son chef. Il faut dire que l’on aime l’ONCT qui « déroule » la partition avec tant de justesse. Par ailleurs, on était conquis d’avance, car cette 8e symphonie, l’une des plus lyriques et lumineuses de Dvořák est, également l’une de nos préférées. On aime ses couleurs orchestrales si riches, son ancrage dans les traditions populaires bohémiennes, ses thèmes pleins d’élan, sa vitalité si joliment restitués ce soir-là. Mais elle n’est pas facile à interpréter. Il faut trouver l’équilibre entre ce côté champêtre et la rigueur formelle. Elle demande une grande cohésion, notamment entre les mouvements, qui pourraient vite paraître confus. On l’a parfois entendue dans un aspect « brouillon ». Il faut que tous les musiciens fassent preuve d’écoute, jouent tout en finesse pour préserver la fraîcheur des mélodies, leur ôter toute lourdeur.

Edward Elgar, Variations Enigma viennent clore la soirée. Un bis parfait pour Renaud Capuçon-chef, qui a trouvé une belle façon de nous dire aurevoir. Renaud Capuçon a su convaincre là encore. Avec humilité, il reste au service des œuvres. Et, de toute évidence, les musiciens de l’ONCT ont apprécié sa vision claire des pièces choisies pour ce lever de rideau.


Nous avons le plaisir de compléter l’article par un poème de Gabrielle Hirchwald, une Alsacienne de passage chez des amis à Aix, férue de littérature, d’art et de musique. Elle avait souhaité me rencontrer, car nous écrivons notamment pour le même magazine et elle pressentait que je serais au concert du GTP. Ce matin, jolie surprise : elle m’envoyait ces quelques lignes, qui m’ont amusée et séduite.

« Cette soirée était exceptionnelle ; cela n’a pas loupé, j’ai écrit un sonnet pendant le concert. »

Danse mystique

Il est temps d’initier notre danse mystique 
À l’écoute du corps dans sa fragilité 
Les larmes trahiront nos sensibilités 
Le choc musical crée une approche heuristique 

La transe se poursuit en élans pianistiques 
Classique concerto dont l’indocilité 
Dissipe nos tourments avec agilité 
Le final touche au cœur dans son vol holistique 

Un Bach lumineux lie l’habile transition 
L’orchestre toulousain doit remplir sa mission 
La baguette du chef le conduit avec grâce 
Le festival attend la fin de nos Carêmes 
Il fera éclater les anciens anathèmes 
L’âme ressuscitée méconnaît les disgrâces

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