Une soirée telle qu’on l’avait rêvée avec Nelson Goerner qui fait de chacun de ses concerts un grand moment de musique !
Martha Argerich, Daniel Barenboïm, Miguel Ángel Estrella, Alberto Neuman, pour n’en citer que quelques-uns et Nelson Goerner bien sûr ! Ils sont excellents au football ces Argentins, ils se distinguent également remarquablement au piano ! On le sait, il y a une grande tradition musicale dans ce pays, écrivais-je naguère dans WUKALI . Et nous écoutions l’artiste sur les réseaux, il s’est prêté au jeu du questionnaire du Festival.
L’homme est chaleureux !Il parle de son premier récital à La Roque d’Anthéron, en 1991. C’est un festival qu’il aime, un lieu où la magie opère, un lieu qui inspire les artistes. Il parle encore de son programme, trois œuvres maîtresses du répertoire pianistique.
Le récital débute par l’une d’entre elles : Beethoven : Sonate n°28 en la majeur opus 101. Une œuvre fascinante et un défi considérable pour le pianiste argentin qui a cette capacité de naviguer entre des passages d’une finesse presque chambriste (on pense au premier mouvement avec ses nuances subtiles et son caractère intimiste, introspectif) et ces moments puissants, d’où surgit le drame.

©Photo Valentine Chauvin
Sous ses doigts, on ressent très fort la grandeur beethovénienne, notamment dans le finale. Avec son écriture incroyable on atteint ici un sommet de difficulté rarement vu, et Nelson Goerner assure. Toutefois, on préfère l’allegretto ma non troppo, pour sa sensibilité, on aime un peu moins le vivace alla marcia, plus difficile à lire ce soir-là par rapport à ses ruptures de rythme, et on se love dans l’adagio ma non troppo, qui nous prend de nouveau par les sentiments. En fait, on se perd un peu dans la déferlante des notes dès que le rythme s’accélère.
Cette sonate demande une maturité musicale particulière que Goerner possède, il nous fait entendre des transitions inattendues de cette œuvre, et le pianiste explore ces contrastes avec une grande liberté et une incroyable expressivité. Alors, tout dépend parfois de l’écoute. De notre écoute. Nous avons préféré son discours musical dans les passages les plus intimes. Et à quoi cela tient-il, difficile à dire ; dans ces passages intimes, Nelson Goerner semble posséder cette capacité rare de faire « parler » chaque note et le silence devient aussi expressif que le son lui-même. C’est peut-être son jeu de pédale, sa façon de laisser respirer les phrases, une espèce de retenue peut-être aussi…
Schumann : Carnaval opus 9
Cette suite de courtes pièces pour piano, est plus que divertissante et là encore, l’œuvre nécessite une maturité musicale que seuls les pianistes aguerris possèdent. On assiste à un défilé de personnages colorés au cœur d’un bal masqué. Techniquement, dans ce Carnaval opus 9 de Schumann, il faut être capable de maîtriser les nombreux passages virtuoses, sans oublier de transmettre la poésie et ne rien perdre des nombreuses références littéraires et musicales que le compositeur nous livre. À lire peut-être avant pour mieux apprécier toute la diversité de ces scènes. On le fait rarement, mais cela enrichit considérablement l’écoute. Mais déjà, Goerner maîtrise ces références ce qui lui permet de jouer plus que des notes, mais d’aller au-delà puisqu’il incarnera véritablement tous ces personnages, développant une palette expressive très large. On n’en est pas encore revenu du mouvement Paganini, particulièrement virtuose, et du lyrisme à fleur de peau de « Chiarina », une merveille !
Rachmaninov : Dix Préludes opus 23, ici encore, chaque prélude a son caractère propre, (comme les saynètes que nous avons entendues précédemment) et demande également une technique spécifique. Certaines sont redoutables, la faute à Rachmaninov ! Elles sont courtes, mais tout de même… Petites pièces en miniature, c’est encore une fois un répertoire adapté à la sensibilité artistique du grand Goerner. Autour de nous, dans le public, beaucoup commente : j’ai préféré Rachmaninov !

Et on termine par une œuvre rare, une œuvre comme le pianiste semble les aimer, à la fois spectaculaire et exigeante !Un clin d’œil au grand Strauss de la valse, avec Schulz-Evler : les Arabesques de concert sur des thèmes du Beau Danube bleu de J. Strauss. Fascinante, rarement programmée en concert. Il me semble bien l’avoir entendue moi-même en bis, mais jamais dans un programme principal. C’est une pièce là encore redoutable, et le bruit court que peu de pianistes sont capables de la jouer. Alors on profite et on réalise à quel point c’est magique de la découvrir à La Roque d’Anthéron ce samedi soir ! Comme il serait dommage d’oublier ces œuvres ! Sous les doigts d’un si grand pianiste, elles révèlent une sophistication rare, et on savoure là encore la poésie. POÉSIE, le mot de la soirée sans doute, jusqu’aux bis. La finesse et la maestria du pianiste resteront longtemps gravées dans nos mémoires.
Mais comme il est important aussi de parler des bis ! Brahms, Intermezzo opus 118 n°6 ; Chopin, Nocturne n°20, ou encore Mendelssohn, Le songe d’une nuit d’été opus 61.Encore un choix qui révèle la sensibilité de Goerner : l’Intermezzo de Brahms, et cette mélancolie si caractéristique du compositeur, le célèbre Nocturne posthume de Chopin, frissons garantis, car d’une beauté déchirante, et la délicatesse et toute la féerie de Mendelssohn. Ces trois pièces ont prolongé la magie de la soirée, chacune avec sa couleur particulière.