Dans le cadre des rencontres de Wukali, Emmanuel Pierrat, avocat parisien, spécialisé dans le droit de l’édition, éditeur, romancier et essayiste donnera, jeudi soir à Marly, une conférence sur la censure.
Quel est le nouveau visage de la censure ?
Emmanuel PIERRAT : « La censure n’a pas disparu, elle a seulement changé de nature. Dans nos sociétés occidentales, ce n’est plus l’État qui censure – trop risqué – mais des associations, des organisations, des sociétés financières, sans oublier internet et les fournisseurs d’accès. L’exemple flagrant est celui de Google qui en 2008 avait pactisé avec le pouvoir chinois pour obtenir le marché des JO. »
Selon vous comment se manifeste la censure dans les médias ? Est-elle le fait de pressions politiques ?
« La censure est le fait de pressions, d’une concentration économique, de journaux qui rachètent des journaux, de médias qui se payent des médias. L’exemple que je trouve inacceptable est qu’un président de la République nomme un PDG à la tête de France Télévisions. Dès lors, nous assistons à une harmonisation des contenus, la peur du procès se généralise, la liberté d’expression est bafouée et l’on verse dans le politiquement correct. »
Golgota Picnic et l’action de catholiques extrémistes ? Un danger ?
« Un réel danger ! Dans une république laïque, la religion n’a pas à s’immiscer dans le théâtre, le cinéma, la musique, la peinture. Dans le cas de Golgota Picnic, personne n’a imposé sa publicité dans les lieux publics, dans la rue ou sur des affiches. Le public qui désire assister à cette pièce de théâtre est parfaitement consentant, il sait ce qu’il va voir et paye un droit d’entrée. Il faut laisser aux personnes la liberté de penser et de choisir et personne n’impose aujourd’hui aux catholiques d’aller voir la pièce de Rodrigo Garcia. Alors basta ce genre de réactions. »
Quel regard portez-vous sur l’action terroriste au siège de Charlie Hebdo ?
« Nous avons atteint l’acte ultime de la censure, cela me fait penser à Salman Rushdie lorsque sa tête a été mise à prix après la publication des Versets sataniques. Les auteurs de tels actes n’utilisent pas les recours juridiques qui leur sont proposés mais utilisent la violence et mettent en danger la vie d’autrui. Imaginez si cette nuit-là, un journaliste, une femme de ménage, ou un vigile se trouvait dans les locaux de Charlie Hebdo. Le bilan aurait été lourd. Agir de la sorte est inadmissible. Et dans notre pays, on verse dans la censure semblable à celle qui existe en Birmanie ou en Arabie Saoudite. »
La loi Gayssot et celle du 30 décembre 2004 qui condamnent entre autres le négationnisme, le discours haineux… peuvent-elles être considérées comme un frein à la liberté d’expression ou un moyen de se protéger des extrêmes ?
« Ces lois sont un frein à la liberté mais aussi un moyen de se protéger des extrêmes. Les lois mémorielles sont capitales, car elles mettent un terme aux discours haineux. Cependant elles sont souvent mal utilisées. Car, ce que l’on croit combattre peut ressurgir sous une autre forme, sous un aspect plus correct ».
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Propos recueillis par Romuald PONZONI.