Self appointed experts or the importance to be earnest


Assis derrière son vaste bureau plat-travail français d’époque Louis XV en plaquage de bois de rose, trois tiroirs en ceinture, garnitures de bronze ouvragé et finement doré, orné d’un maroquin vert frappé…L’Expert des villes attend.

C’est ce qui le distingue de son cousin, l’Expert des Champs, que l’on houspillera plus tard. Tandis que celui-là court, sprinte et dérape, celui-ci appelons-le Monsieur Jacques- se cristallise en une molle expectative placide, une contemplation caramélisée et mystique. Campé sur la valeur acquise, sceptique quant à toute forme de nouveauté. Sauf si sa commission s’en verrait rallongée, comme le jus d’un rôti de veau déglacé au Noilly Prat.

Monsieur Jacques est membre de plusieurs comités. Vu l’ancienneté, il les chapeaute sans vergogne. Il a quand même fait Marquet, Monet, Manet, Titien, Titi et Gros Minet. «Fait» leurs catalogues raisonnés, s’entend. Si de leur vivant, les artistes ainsi pillés/statufiés se passaient bien de ses services, il les a pourtant intimement côtoyés. Au travers de leurs oeuvres et à travers leurs veuves.

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On ne l’a lui fait pas, à l’Oracle. Si, de par le monde, une oeuvre de l’un de ses six poulains venait à se présenter, même timidement, sur le marché… En dinde pas bardée de son Sacro-Saint Certificat d’Authenticité… C’est l’excommunication garantie ! Rangez boutique, refermez braguette!

Plutôt que de théoriser Monsieur Jacques, donnons cet exemple édifiant: l’un de ses royaux vétos, survenue voici près de quinze ans à ‘l’encontre d’un camarade. Lequel s’en mord encore le moignon, puisqu’il assénait à qui (ne) voulait (plus) l’entendre que le tableau qu’il avait déniché était bien de la main du maître. La sienne à couper. Ce qu’il fit.

La fable est limpide. Ce camarade-nommons-le Paulot-déniche aux Puces de Genève une croûte. Sous la croûte de la croûte: une autre croûte ! Un personnage féminin dont le regard bleu, louche furieusement du côté de son auteur, un grand peintre français de la seconde moitié du XIXème siècle. Appelons-le Edouard… Puisque c’est le prénom de l’artiste supposé.

Des amis conseillent à Paulot de faire expertiser la toile, avant de la soumettre en vente publique. Si fait. Notre héros monte à la Ville-Lumière, pour le coup- et remet l’objet de sa convoitise à Monsieur Jacques. Pour avis, pour information…Un premier coup d’oeil quoi ! Dithyrambe de circonstance de la part du Sieur, qui facture la location de ses mirettes en faire pâlir les coulisses de la place. Mais le jeu en vaut la chandelle. Si la toile est bonne…. Retraite assurée pour notre chineur! AVS ministériel ! Paulot règle la petite note (contrairement au clac, le petit cadeau c’est d’avance) et retourne en sa bourgade, dans l’attente fiévreuse du verdict.

Qui tarde, lambine et atermoie. Ne voyant rien venir, Soeur Anne-nom de scène de Paulot- s’enquiert. Enfin, il essaie. Plusieurs fois mais ce n’est jamais le bon moment. «Monsieur Jacques est à la chasse, Monsieur Jacques est au barbier, Monsieur jacques est chez les putes» Et vice-versa.

N’y tenant plus, Paulot reprend son TGV-vous avez trouvé de quelle capitale je parlais, petits malins ! et se retrouver nouveau dans le bureau-pardon-: en l’Étude de Monsieur Jacques,revenu de la chasse, du barbier et des barbies.

Changement de ton immédiat. L’Érudit est formel et s’esbaudit qu’on ait osé lui taquiner la rétine pour si peu. Tour de passe-passe, prestidigitation: la toile est redevenue croûte, le carrosse citrouille. Et Paulot peut s’en retourner en ses terres brécouille, comme on dit chez nous dans le Bouchonnnois. Brecouille à jamais, bredouille sur cent générations, la «vista» de Monsieur Jacques valant prophétie. Son oeil était dans la tombe et regardait Paulot…

S’ensuivit une micro-polémique, que j’avais suivi jadis. On avait tout entendu. Et plus. Et son contraire. Paulot avait même pondu un bouquin, dont le ton oscillait entre l’Armageddon du lobby des «experts parisiens» et la théorie complot international. Sages de Sion, Mandarom, Illuminati et Petits gris pateaugeant dans le même potage.

On ne s’étendra pas plus, là n’est pas le propos, Mais l’anecdote brosse à la Diable les manières de potentat orientaux,dont la plupart des Expert des villes émaillent leur sacerdoce oraculesque.

Cette mésaventure étant close, Monsieur Jacques reprit sa place derrière son bureau plat d’époque Louis XV en plaquage de bois de rose, trois tiroirs en ceinture, garnitures de bronze ouvragé et finement doré, orné d’un maroquin vert frappé… Ce qui frappa Monsieur Jacques, en y regardant mieux, c’était l’absence d’estampille.

«Pourtant…. Quand je l’avais acheté… Pour une somme risible… Prétextant qu’il sentait le vernis neuf… Il me semblait bien que …?»

A Dieu ne plaise. Dans le cabinet de notre Expert des Villes, le meuble retrouvera certainement les lettres de noblesse qui se sont égarées avec le temps. Ou qu’il n’a jamais arborées. Il suffit de chercher un peu, au fond du chapeau : c’est aussi cela, l’expertise urbaine: de la prestidigitation.

À suivre…!

[**Marc Gaudet-Blavignac*]

Prochain épisode: L’Expert des Champs ( mise en ligne Samedi 14 octobre)


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WUKALI 07/10/2017

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