Les événements se bousculent en Egypte, les affrontements qui opposent les manifestants aux forces de sécurité prennent des allures de guerre civile. Dans l’ombre rodent les spectres inquiétants du chaos.
L’Institut d’Egypte, voulu et créé par Bonaparte vient de brûler, pourquoi, qui en sont les incendiaires ? Vieille technique de déstabilisation voulue par quelques services de basse police, officines paramilitaires voire services secrets étrangers ou haine de l’Occident macérée dans quelques crânes tarés d’Islamistes radicaux ? Nouvel incendie du Reichstag ou destruction des statues des Bouddhas de Bamyian ?
L’Institut d’Egypte avait été créé par Bonaparte et le Directoire, lors de l »expédition en Egypte (1798). Bonaparte avait emmené avec lui près d’une centaine de savants, on dirait aujourd’hui des chercheurs. Il confia le soin des fondations de l’Institut qu’il projetait à Caffarelli, Monge et Berthollet qui choisirent le Palais de Hassan-Kashif et les jardins de Qassim Bey pour mener à bien le projet. Saint-Hilaire qui faisait partie du groupe des savants nota dans une de ses lettres que les installations surpassaient tout ce qu’on pouvait alors trouver en France d’équivalent y compris le Muséum d’histoire naturel. La salle de dessin de l’ancien harem du Palais devint salle de conférence, quant aux autres pièces et antichambres elles furent aménagées en bibliothèque, laboratoires, ateliers, il y eut même une ménagerie.
Le 22 août 1798 Bonaparte constitua le comité scientifique de l’Institut chargé de mettre point son fonctionnement, on y trouve les noms de Monge, Berthollet, Caffarelli, Saint-Hilaire du mathématicien Louis Costaz, tous membres de l’Académie ainsi que ceux de René Desgenettes et Antoine-François Andreossy.
Il est intéressant de parcourir le document initial mis au point par ce comité scientifique fondateur. Dans son article deux on peut lire: «L’établissement aura pour tache principale: 1/ L’avancement et la propagation des Lumières en Égypte, 2/ La recherche, l’étude; et la publication de tous sujets de caractère industriel, historique et naturel en Égypte, 3/ de présenter son avis sur toutes questions pour lesquelles il sera consulté par le gouvernement».
Calqué sur les structures de l’Académie Française, l’Institut d’Egypte disposait de différentes sections: Mathématiques, physique, économie politique, littérature et arts. Chaque section était composée de 12 membres . Des officiers de Napoléon furent admis à participer on y trouve les noms de Kléber ou de Desaix.
Afin de rendre compte de ses travaux et de répandre la connaissance, l’Institut disposait de son propre journal« Le Courrier d’Égypte »
Napoléon Bonaparte requérait aussi l’avis de l’Institut sur des questions utiles à l’installation militaire et les demandes pouvaient aussi avoir trait à des interrogations plus terre à terre.
Peut on améliorer les fours pour la cuisson du pain des soldats? Est-ce possible en Egypte de faire du blé sans houblon? Comment purifier l’eau du Nil, vaut-il mieux construire au Caire un moulin à vent ou un moulin à eau? L’Égypte dispose-t-elle des ressources nécessaires pour produire de la poudre à canon ? Quelle est la situation de la jurisprudence, du droit civil et criminel, de l’éducation dans ce pays et à quoi les citoyens aspirent-ils ?
Rien de ce qui caractérisait l’Égypte n’échappait à la curiosité et aux recherches entreprises par l’Institut et ses savants, de la faune à la géologie,de la topographie aux problèmes de santé. Les préoccupations dépassaient largement ce que d’aucuns pourraient appeler le cadre colonial, le sort des fellahs, ces paysans sans terre, faisant l’objet d’une attention particulière, leur condition était misérable, le gouvernement et l’administration mamelouk, que combattait les armées de Bonaparte, n’ayant jamais eu de considération pour ses hilotes, et l’administration était corrompue ….
Nombreuses furent les recherches et études archéologiques il va s’en dire,
Vivant Denon visita la Haute-Égypte, il dessina notamment une suite de 200 dessins panoramiques de paysages et de monuments
La pierre de Rosette sera trouvée près des fortifications d’El-Rashid par un ingénieur militaire, gravée en des langues différentes et en trois écritures: hiéroglyphe, démotique et grec elle servira de décodeur à la compréhension des hiéroglyphes que découvrira Champollion en 1820.
Cette passion égyptienne percola à la demande de Napoléon dans le vocabulaire des arts décoratifs français.
En 1801, lors de l’évacuation du corps expéditionnaire français, les savants revinrent en France avec tout leurs documents, leurs notes, leurs échantillons scientifiques, tout cette vaste documentation permit de sortir bien plus tard en 1822 une Description de l’Égypte ainsi que des Atlas (1828)
Pierre-Alain Lévy
Photo d’illustration : Le Figaro
Un manifestant manipulant un document qui a échappé aux flammes et en arrière-plan la façade de l’Institut d’Égypte incendié.