Analysis of two famous paintings by Leonardo da Vinci


Faisant suite à la précédente étude que nous consacrions dans WUKALI à Léonard de Vinci avec une présentation de La Joconde, nous poursuivons avec ce second article de Jacques Tcharny consacré à deux célèbres peintures de Léonard: La Vierge aux rochers et Saint Jean Baptiste.

Il existe deux versions de la Vierge aux rochers, la première et la plus ancienne est celle du Louvre (celle traitée dans l’étude de Jacques Tcharny ci-dessous)) et a été peinte à Florence entre 1483 et 1499, elle est le fruit d’une commande de La Confrérie de l’Immaculée Conception, la seconde se trouve aujourd’hui à la National Gallery de Londres, elle a été terminée en 1508. Pendant longtemps les experts ( Bernard Berenson, Kenneth Clark) se sont confrontés sur les origines et les datations de ces deux oeuvres confondant l’une avec l’autre, se basant sur le contrat passé entre le peintre et la Confrérie. En réalité il semblerait que la Confrérie se soit dédit du contrat signé en 1483. Quand Léonard quitta Florence pour Milan (pour se mettre à l’abri d’une accusation de sodomie), il emporta sa peinture avec lui |center>

Près de vingt ans plus tard, il réalisa une réplique de La Vierge aux rochers pour orner l’église de San Francesco Maggiore à Milan ou plus exactement il reproduisit une représentation iconographique très proche (la figure de l’Ange a changé, le geste symbolique de la main tendue aussi ). En réalité ces deux tableaux sont pour chacun représentatifs d’une époque. Le tableau du Louvre est ainsi le dernier du Quattrocento, encore gothique, avec une certaine influence flamande, notamment dans les détails floraux, l’équilibre est parfaitement maintenu entre beauté naturelle et beauté idéale, celui de Londres s’ouvre sur le Quintecento

Olécio partenaire de Wukali

La Vierge aux Rochers du Louvre a été acquis par Louis XII qui avait fait de Léonard son peintre officiel à Milan et constitue ainsi un des plus anciens tableaux ayant appartenu aux collections royales

P-A L


La chronique d’histoire de l’art de Jacques TCHARNY.

La Vierge aux rochers, dite aussi :La Vierge, l’Enfant Jésus, saint Jean Baptiste et un ange


Huile sur panneau transposée sur toile. Dans une grotte ouverte sur un fond de paysage bleu-vert aux transparences nettes, la Vierge agenouillée introduit le jeune Jean-Baptiste, en génuflexion, devant l’enfant Jésus qui le bénit. Un ange assiste à la scène. La représentation d’une madone à l’enfant à l’intérieur d’une caverne existait avant Léonard. L’ouvrir sur l’espace environnant est une invention de l’artiste. Dans l’espace créé par l’ouverture de la grotte, vers le fond, le paysage est fait d’eaux et de rochers. Rappelons que Saint Paul identifie le rocher spirituel d’où s’épanche l’eau de la vie au Christ. A gauche, au loin, une lumière éclatante irradie les masses solides, prolongeant la perspective et élargissant l’espace mental dans lequel évolue le spectateur.

La classique composition pyramidale est située de l’autre côté d’un précipice marquant bien l’inaccessibilité du divin pour l’humanité. Ce détail caractéristique se retrouvera à plusieurs reprises dans l’œuvre de l’artiste.

Marie présente Jean-Baptiste devenu sujet du tableau : le dédicataire est florentin et Saint Jean-Baptiste est le saint patron de Florence. Ce dernier adore Jésus qui le bénit mais le Fils de Marie est posé dans l’angle sud-est du panneau. On remarquera que le cousin du Christ paraît recevoir l’appui de la Vierge qui le recouvre de son bras protecteur.  A ses côtés un ange au doigt pointé en direction de Jean,  qui montre bien son importance au spectateur. Le plus surprenant avec l’ange, c’est son regard double : l’œil droit invite le spectateur à entrer dans l’espace pictural, l’œil gauche lui indique Jean. L’effet obtenu est celui d’une bande dessinée.|left>

L’atmosphère de luminosité ambiante allège les ombres. La richesse de la lumière est d’un brillant étonnant, supra-naturel. Elle éclaire les parties les plus importantes du tableau : les visages, les mains, les corps des enfants. Elle découpe dans le métal l’œillet florentin en bas à gauche, cisèle les détails minutieux des drapés, affine les ombres portées colorées, autre invention de Léonardo da Vinci.

Cette lumière spirituelle unifie le tableau lui conférant ses valeurs intellectuelles, pour ne pas dire philosophiques.  A l’extérieur des rochers pousse de la végétation d’apparence métallique. Elle est d’une infinie variété.

Un vent souffle gonflant les drapés rouges du manteau de l’ange et l’intérieur orangé jaune de celui de Marie retourné vers l’avant, donnant le même effet que dans « La Madone à l’œillet  ».  On notera que l’aspect extérieur du vêtement de la Madone apparaît bleu profond tandis que l’épaule gauche de l’ange est recouverte d’une chemise verte.

Il nous paraît indispensable de rappeler qu’en hébreu, langue dans laquelle fut écrit l’Ancien Testament, les mots « esprit » et « vent  » sont désignés par le même vocable: « rouarh  »; certes Léonard ne pratiquait pas cette langue mais de nombreux humanistes de son entourage l’étudiaient.|left>

Masses, contours, couleurs subissent la loi de leur vainqueur : la lumière, traduction humaine de la spiritualité universelle. La main gauche de la Vierge, contrepoint du retour du manteau, avance vers nous, donnant la sensation de vouloir sortir de l’espace peint. Cela crée une perspective à plusieurs niveaux : le précipice, les enfants et l’Ange, Marie, la grotte, le paysage. Léonard maîtrise sa technique picturale. Cette œuvre est bâtie, construite comme une architecture. Elle n’a rien de spontané, le génie de l’artiste c’est de nous le faire croire.

Sa science des lumières et des effets ambigus, des draperies et des sexes suggérés, est phénoménale malgré son désir de nous faire apparaître cette peinture comme une « idylle automnale» composée à la lumière de son intelligence. Jamais une naïveté apparente n’a caché une telle compréhension de l’art de peindre.

On peut noter quelques traits permanents et  intrinsèques à l’art de Léonard de Vinci : vêtements gonflés par le vent, retour vers l’avant de drapés, transparence bleutée des fonds, densité volumétrique, effets de perspective appuyés, luminosité interne, index allongé grossi, vie intense des regards, spéculations intellectuelles.

La minutie du rendu des détails est dominée par l’intelligence : pas un n’est choisi au hasard, tout est calculé, équilibré, composé, sous une apparente facilité.

Le tableau irradie une force morale unique avec Marie au sourire enfantin, aux yeux doux, toute d’ingénuité, avec l’ange énigmatique à l’index allongé, dirigé, avec les enfants déjà orientés vers leur destin sous leur aspect fragile. Le spectateur est fasciné par cette vision éternelle, magique, surnaturelle au sens étymologique du terme. La capacité spéculative  de Léonard égale sa virtuosité technique au début de sa carrière milanaise.

Léonard de Vinci (Leonardo di ser Piero da Vinci, dit) 1452-1519. La Vierge aux rochers, dite aussi : La Vierge, l’Enfant Jésus, saint Jean Baptiste et un ange. 1483-1499.

H.:1,99m; L.: 1,22m; bois puis toile; INV.777. Le Louvre, Denon, 1et étage, salle 5


Saint Jean Baptiste

De sa main droite à l’index dressé, il nous montre le ciel. La chevelure à boucles flottantes, caractéristique de l’artiste, affermit dans l’espace un visage au nez droit, aux yeux verts profonds et réfléchis, au regard scrutateur, à la bouche marquée par ce sourire si spécial naissant à la commissure des lèvres, en forme de croissant de lune. Celui-ci étant à la fois changement et retour et se rattachant à la symbolique du principe féminin. Le menton est net, précis. C’est un être réel qui nous apparaît en trois dimensions tant la densité volumétrique est forte. Le Baptiste impose sa présence physique.

La raie de la coiffure dévoile un front haut. Notons la classique torsion de la tête, autre élément léonardien. Des rides se voient sur le cou.

De son bras gauche démesuré se terminant en « pelle », il se touche la poitrine. L’attache de  l’épaule droite est plus épaisse que le bras qui indique le Paradis. Le geste est sans équivoque : l’homme doit mériter l’accès au jardin d’Eden.|center>

La croix que tient Jean, signe ascensionnel, semble coincée entre ses deux bras et non pas portée par l’un d’eux. Cette présence intermédiaire accentue le jeu des mains dans leur environnement, autre trait typique. La figure bouge dans l’espace, démonstrative, cherchant à convaincre le spectateur de penser à son salut.

C’est la dernière peinture de Léonard, chef d’œuvre ultime quasiment monochrome ocre, la seule qu’il ait signé de sa main : la signature est apparue suite à une radiographie.
Le sujet est d’essence spirituelle et métaphysique, pas religieuse. La lumière transcendantale sacralise la figure, qui semble née d’une atmosphère primordiale indéterminée. Ses contours se distinguent peu. Ils sont mal définis. Le Baptiste oscille entre une masculinité mourante et une féminité triomphante, transmutation psychologique opérée en peinture.

De nombreux commentateurs l’avait classé œuvre d’atelier, inconsciemment perturbés par sa perfection douteuse.

Jamais comme ici Léonard n’a joué avec l’ambiguïté des sexes, de la lumière, de l’attitude. Cette perfection repose sur trop de malentendus et de sous-entendus…Cette « perversité » est d’un attrait irrésistible pour la malheureuse victime que devient alors le spectateur. 

C’est une démonstration de l’art du peintre et de son art de peindre : utilisant une palette ultra réduite, Léonard crée une figure d’une vie intense. Elle en est divinisée, hors de portée du commun des mortels. L’artiste fait appel à l’intelligence, à l’équilibre intellectuel, à la réflexion même s’il nous entraîne parfois sur de fausses pistes.

Comme un éclair dans la nuit, cette peinture devenue flamme nous montre le chemin à suivre pour obtenir le salut de notre âme. Rien ne prouve que le spectateur accepte d’effectuer ce long voyage en quête d’une éternité hypothétique.

La question posée par ce saint à l’ambivalence surprenante implique une réponse sceptique voir cynique, voulue et espérée par Léonard. Son temps n’y a vu que du feu.

Jacques Tcharny


Léonard de Vinci (Leonardo di ser Piero da Vinci, dit) 1452-1519. Saint Jean Baptiste v.1513-1516.

H.:0,69m; L.:0,57m; bois(noyer); INV.775. Le Louvre. Denon, 1er étage, salle 5


WUKALI 28/10/2014


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