Nancy from 1870 to the FWW


Par Jean-Claude Couturier/

– [**Les conséquences du traité de Francfort*]

[**Nancy*] est occupée rapidement après la défaite et subit l’état de siège et le couvre-feu dès le 12 août 1870. Le 16 août, 30 000 soldats allemands débarquent à Nancy, s’installent dans les casernes abandonnées par l’armée française, mais les 240 officiers sont logés en ville, aux frais de la ville, aussi confortablement que possible, ce qui excède encore plus les nancéiens, et tout particulièrement les nombreux optants réfugiés à Nancy. La présence allemande est particulièrement mal vécue et marquera profondément et pour longtemps la mentalité des Nancéiens.

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Nancy occupée mais Nancy libérée le 1er août 1873, plus tôt que prévu, grâce au succès de l’emprunt national. Elle bénéficiera même d’un important soutien financier de la part de l’État. Il s’agit d’une part de faire face aux besoins de la population immigrée, d’autre part de faire de Nancy une vitrine à la frontière de l’Empire allemand.

Nancy, désormais ville frontière, est sur le chemin de l’exil. Des Mosellans et Alsaciens s’y implanteront notamment en raison de sa proximité avec les territoires occupés, certains d’entre eux pouvant ainsi contrôler plus facilement leurs industries restées en Alsace et en Moselle. Certains industriels conserveront leurs activités même après option pour la France et une partie d’entre eux vont s’implanter en « France de l’intérieur ».

Ceux que l’allemand appelle les « Nancyger » y feront souche. Ils seront huit mille à grossir les rangs des 7000 alsaciens émigrés économiques déjà présents dans la ville ducale et constitueront jusqu’à la fin du siècle le quart de la population de Nancy.

La cité ducale est à cette époque une petite ville bourgeoise. Une ville aussi qui s’est ralliée à la France même si son rattachement au pays en vertu d’une convention secrète entre [**Louis XV*] et [**Stanislas Leszczynski*] l’avait choqué dans un premier temps. Une ville modérée et patriote. Une ville surtout dont le statut de glacis avancé face aux menaces et prétentions de l’impérialisme allemand l’incline à des positions largement conservatrices. Fortement attachée au catholicisme, elle vouera à l’armée une fidélité sans faille. On a là notamment les raisons de l’hostilité à [**Dreyfus*] et l’engouement pour [**Boulanger*], le « Général Revanche ».

[**Nancy*] est aussi une ville qui s’est ralliée tôt à l’idée de République, alors encore incertaine. On le verra notamment en 1848 où elle décrète la République deux jours avant Paris. Mais en raison de l’annexion, Nancy devient un symbole et sombre, peu à peu, dans une crise nationaliste à partir de 1889 qui voit l’élection de deux députés boulangistes, [**Maurice Barrès*] et [**Gabriel*], qui voit également arriver parmi les conseillers municipaux et sur les bancs de l’Assemblée, des élus antisémites.

Les clauses du traité de Francfort sont désastreuses pour la Lorraine. Les Allemands se taillent la part du lion et font main basse sur les mines de la Moselle. Ils s’annexent les zones d’affleurement, plus facilement exploitables. La sidérurgie mosellane est pillée par l’Allemagne qui n’accordera par exemple aucune concession à des industriels tels les [**de Wendel*].

Mais il existait une activité sidérurgique et minière avant 1870 autour de Nancy et de Pont-à-Mousson. Le textile vosgien existait également déjà et la région de Nancy est en plein essor lorsque la guerre éclate. La proximité nouvelle de la frontière va changer profondément la donne1 .

On va alors assister à la naissance d’une région économique de première grandeur. Des industriels vont quitter les zones annexées, passer la frontière et y implanter leur sidérurgie, leur métallurgie. Trois maitres de forges, Mrs [**Dupont, Dreyfus*] et [**Fould*] refusant l’annexion de la Moselle décident, à la suite du traité de Francfort, d’abandonner leur usine Saint-Paul d’Ars-sur-Moselle, pour venir s’implanter à Pompey. D’autres entreprises quittent la Moselle pour s’installer entre [**Nancy*] et [**Pont-à-Mousson*] mais poursuivent leur activité en Moselle à [**Hombourg*]. Certains tels les de Wendel conserveront leur implantation en territoire occupé2 mais fonderont également une société en France de l’intérieur en association avec les [**Schneider*] pour l’exploitation du brevet de l’acier Thomas.

On assiste également au transfert d’entreprises alsaciennes. [**Berger Levrault*] quitte Strasbourg en 1870 et s’installe à Nancy. La tonnellerie [**Frühinsholtz*], fait de même ainsi que la boissellerie d’[**Alfred Krug*], l’entreprise [**Lang*], [**Kühn et Fleichel*] et de nombreux verriers alsaciens tels [**Daum*] originaire de [**Bitche*] en Moselle. Les fabriques de chaussures, de flanelle, de bonneterie, de limes qui viennent de [**Metz*] et de [**Sarreguemines*] et qui occupaient 2 000 ouvriers, s’établissent à Nancy. La ville devient la capitale de la chaussure avec 3 000 ouvriers.

Mais Nancy ne s’enrichit pas seulement par l’apport des industriels. C’est ainsi notamment qu’on va renforcer la présence universitaire avec l’implantation de la faculté de médecine de Strasbourg et d’une partie sensible de ses enseignants. Nancy était autrefois ville royale et princière, elle devient la ville frontière, la première cité de la France de l’Est, celle qui règne sur la Lorraine maintenue. Ceci va notamment favoriser les prétentions de [**Guerrier de Dumast*] et Nancy obtient donc une université complète. Les jeunes alsaciens vont « coloniser » l’association des anciens élèves de Nancy. On installe une Cour d’appel à Nancy, on y réinstalle la manufacture des tabacs de Moselle…

Dans le domaine artistique, la ville en pleine expansion verra la naissance, en 1894, de la Société des arts décoratifs lorrains, future École de Nancy, dont les chefs de file seront [**Émile Gallé, Antonin Daum, Louis Majorelle, Victor Prouvé*] ou encore [**Eugène Vallin*].

Nancy va donc largement bénéficier de l’apport des Alsaciens-Mosellans en matière artistique. La cité ducale de ce point de vue est attractive ; c’est une ville bourgeoise avec une tradition culturelle forte. L’Académie Stanislas va également accueillir des optants. Le messin [**Théodore Devilly*] devient directeur des Beaux-arts à Nancy. Ce qui lui fera dire : « Metz n’est plus dans Metz, elle est toute à Nancy ».

On peut évoquer également une influence religieuse dans la mesure où ces immigrés viennent d’un pays multiconfessionnel, tolérant. On améliore le temple de Nancy, on passe de 960 à 3600 protestants, dont les Frères optants [**Krug, Frühinsholtz*] et [**Schneebele*]. A leur côté, [**Charles Keller,*] alias Jacques Turbin, crée la Maison du Peuple. Les Luthériens sont majoritaires. Ils sont favorables à la loi de 1905 et vont créer leur association cultuelle. Les Juifs passent quant à eux de 1400 à 2000. Ils développeront des œuvres sociales à l’image de la maison de retraite Simon Benichou, ouverte aux non juifs. Ils ne veulent pas d’enseignement spécifique et respecte la laïcité. Ils n’oublient pas que la République les a émancipés. Les catholiques quant à eux se fondent dans une population largement accueillante à ces coreligionnaires.

Les conséquences de l’immigration des Alsaciens-Mosellans sont majeures. Sur le plan démographique, Nancy devient alors la principale ville de l’est de la France et sa population augmente de façon considérable passant de 50.000 habitants en 1870 à 120.000 habitants en 1914. 20% de la population messine émigre, 2 000 jeunes de moins de 21 ans refusent le service militaire allemand3 et passent la frontière. Les optants de Metz sont les élites de la ville. La population de Metz passe de 47 000 civils à 32 000. On compte environ 20 000 optants Mosellans, trois fois plus que ne le disent les Allemands.

A Nancy on assiste à un essor démographique sans précédent. 13.000 Alsaciens-Mosellans en 1872 sont à Nancy. En 1851 la ville compte 45.000 habitants, 120.000 en 19114 ! On construit à la hâte des baraques pour loger autour de Nancy les ouvriers venant des pays annexés.

Les chiffres de l’immigration sont difficilement interprétables : il y aurait eu 539.655 déclarations d’option. Mais certains sont restés après avoir fait le geste symbolique de l’option ; d’autres n’habitaient déjà plus dans les zones annexées, soit qu’ils résidaient déjà en France tels les 7000 ouvriers alsaciens à Nancy, soit ailleurs en France ou à l’étranger. On considère que les vrais optants, les résidents, sont au nombre de 160.000.

On le comprend, cette annexion, contraire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, eut des conséquences dramatiques pour les Alsaciens-Mosellans, notamment ceux qui choisirent de quitter la « petite patrie » pour rejoindre la France. Elle bouleversa durablement les équilibres géostratégiques, économiques et les relations entre la France et l’Allemagne.

Avant 1914, rien ne laissait présager un retour au statut quo ante bellum. C’était sans compter, avec l’issue de la « Guerre du droit », sur un nouveau bouleversement des équilibres et un retour de l’Alsace-Moselle dans le giron de la France.

[**Jean-Claude Couturier*]


Lire aussi : Metz et Nancy séparés par la défaite de la France à la Guerre de 1870


[([**Notes*]

1 Voir à ce sujet : François Baudin, Histoire économique et sociale de la Lorraine, Presses Universitaires de Nancy, tomme II, Nancy, mai 1993.
2 On a pu considérer cette attitude comme de la résistance, empêchant ces entreprises de devenir allemandes.
3 Le gouvernement prussien rend immédiatement le service militaire obligatoire, alors que les souvenirs douloureux de la guerre sont encore là.
4 François Baudin, Opus cité.)]


Illustration de l’entête: Documents 1900 (Shml Wiener D22) — Société d’Histoire de la lorraine et du Musée Lorrain


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WUKALI Article mis en ligne le 08/08/2019, publication initiale le 09/03/2019)]

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