Lost illusions in Russia
Dans son livre « La fin de l’homme rouge », [**Svetlana Alexievitch*], prix Nobel en 2015, donne la parole à un grand nombre de témoins de la fin du communisme en [**Russie*]. Pas d’interviews de spécialistes ni même des gens importants. Elle laisse parler des gens du peuple, sans changer quoi que ce soit à leurs propos. Le but : deux décennies après la disparition de l’[**Union soviétique*], que pensent-ils de la situation ?
Bien vite, cependant, on déchante. L’ancienne structure économique s’effondre comme un château de cartes. Les plus malins se partagent les dépouilles opimes. Ils se beurrent scandaleusement tandis que la masse ne sait plus comment s’en sortir. Et, peu à peu, se répand un sentiment incompréhensible à nos yeux : la nostalgie de l’ancien régime…
Bien sûr, ce que l’homme rouge regrette, ce sont les moyens de subsistance modestes mais suffisants qu’assurait le communisme, mais ce n’est pas le plus important. Dans la bouche des témoins de Svetlana Alexievitch, la perte la plus cruelle est celle de l’idéal communiste. À l’époque soviétique, partout dans l’immense empire, malgré la diversité extraordinaire des peuples, un même idéal était inculqué à tous depuis l’enfance : celui de la fraternité, de la construction d’une société plus juste, plus égalitaire, à laquelle on était prêt à se dévouer.
On dira que les dirigeants ont cyniquement exploité la candeur de la population. Bien sûr, les maîtres du Kremlin n’ont pas fait dans la dentelle. Le peuple a vécu bien souvent sous la terreur. Mais on a beau lui brandir le spectre de [**Staline*], il fait figure de grand homme en dépit de ses crimes, car il a mené la Russie à la victoire contre le nazisme.
Peu de livres expriment aussi clairement que celui de Svetlana Alexievitch les véritables aspirations des humains. Plus que d’argent, plus que de liberté même, ce dont les humains ont besoin, c’est d’une raison de vivre, fût-elle une utopie. N’en déplaise à l’Occident, le communisme en a fourni une qui méritait le respect. On nous a appris longtemps que les communistes n’étaient que d’obtus matérialistes. L’Occident se flattait de son esprit. Mais qui sont les matérialistes aujourd’hui ?
L’idéal de la paix que proposait la construction européenne à ses débuts ne parle plus à la génération actuelle. Quel projet l’Europe avance-t-elle qui s’adresse au cœur des Européens et non simplement à leur porte-monnaie ? Il ne faut pas s’étonner que tel pays reprenne ses billes quitte à y laisser quelques plumes. Ce qui le pousse, c’est le désir de retrouver son âme perdue dans l’insipide méli-mélo continental. À quand un leader aux larges vues pour l’Europe ? À quand un [**Charlemagne*] au charlemagne ?
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Illustration de l’entête: participants au défilé du «régiment immortel» à Moscou en mars 2019. © photo : ИЗВЕСТИЯ/Александр Казаков
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WUKALI Article mis en ligne le 20/05/2019
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