The most famous painting ever celebrated
Préambule méthodologique
Notre intention sera d’essayer d’appréhender les caractéristiques picturales de Léonard de Vinci, de dégager sa part dans les œuvres qui lui sont attribuées, plus ou moins généreusement suivant le tempérament de l’expert.
Nous pensons pouvoir faire ressortir son essence picturale, indépendamment de son maître Verrocchio, de ses condisciples dans l’atelier de celui-ci et de ses élèves.
Tout le monde connaît les problèmes posés par les peintures de jeunesse de Léonard réalisées dans l’atelier de son patron. Situation quasi-insurmontable due au travail produit en commun.
Les méthodes de création : les apprentis ne sont pas là pour balayer l’atelier, broyer les couleurs ou faire sécher les pinceaux mais, comme Verrocchio choisissait les débutants les plus prometteurs de la région, tout le monde discute, propose et met la main à la pâte. Tout tableau ainsi créé porte la marque d’un labeur d’élaboration en commun. D’où les problèmes d’attribution.
La qualité des élèves qui deviendront souvent des maitres reconnus tels Lorenzo di Credi, Pérugin, Boticelli, Léonard de Vinci, Ghirlandaio.
Les relations avec les autres ateliers comptent aussi. Surtout celui de Ghirlandaio quand il aura pris son indépendance.
Moins d’exégètes parlent de l’attitude étonnante de Léonard vis-à-vis de ses propres assistants à Milan : il était prodigue de ses conseils, laissant ses dessins accessibles à tout le monde, aidant parfois physiquement ses élèves.
Léonard utilisait deux préparations différentes pour ses supports de peinture (Hours, 1952) : une dite grasse, l’autre dite maigre alors que l’élaboration du « sfumato » fut lente et difficile. Sfumato signifiant dématérialisation de la couleur dans les contours.
Son procédé pictural est un procédé par glacis, les dernières couches laissant transparaître les premières dans la peinture terminée. Puis l’ensemble était recouvert d’un composé à l’huile pour favoriser la transparence. Les pigments colorés y étaient en suspension, très homogènes, de sorte qu’il est impossible de reconnaître le type de touche qu’il utilisait (Hours, 1952).On peut reconnaître des coups de pinceau portés de la main gauche mais Léonard n’était pas le seul gaucher.
Malgré cette volonté de dissimulation existent des caractères distinctifs le concernant. Nous essayerons de les rechercher, de les identifier dans les tableaux qui lui sont attribués. Nous examinerons l’autographie en partant des œuvres ne posant aucun problème, ensuite nous nous intéresserons à celles réalisées en collaboration puis nous parlerons de celles que nous rejetons. Enfin nous dirons quelques mots des peintures perdues, ce que nous en savons de source sûre.
Nombres d’œuvres, originellement sur panneau, ont été transposées sur toile créant d’innombrables problèmes techniques. Nous les voyons telles qu’elles sont aujourd’hui. Nous sommes donc bien obligés de les considérer comme elles apparaissent et non comme elles devraient être. Il ne faut jamais oublier cet état de fait.
Les dates de créations des œuvres sont imprécises. Nous donnons celles qui sont généralement retenues, toutes avec une certaine approximation.
Nous n’inclurons pas de repères biographiques dans cette étude : si le sujet intéresse le lecteur, il pourra se référer aux nombreux catalogues existants, très prolixes à ce propos.
Nous refusons et nous refuserons de parler des catalogues précédents, et il y en a d’excellents, car il n’y a aucun autre peintre qui ait provoqué de tels débats d’attribution. Cela nous paraît stérile, notre but étant d’essayer de faire progresser la compréhension de sa peinture.
Nous nous interdirons toute référence à tel ou tel historien de l’art ayant commenté ses tableaux, si cela remonte avant 1950. Pourquoi cet ostracisme ? Parce que les techniques scientifiques d’investigations ont considérablement progressé en 60 ans et que, pour aucun autre peintre, il n’y a eu autant d’avancées. Ce qui implique que, quel que soit le talent voire le génie de certains commentateurs, leurs écrits ne peuvent plus être regardés autrement que comme de la littérature.
Nous refuserons toute polémique sur ces deux postulats comme sur l’ensemble de nos avis. C’est notre vision du sujet.
MONA LISA
Visage et corps, construction pyramidale axée sur l’entrecroisement des mains formant plan central, se détachent sur le fond de paysage en arrière-plan s’étageant des vallées où courent les fleuves vers les hautes montagnes au lointain. Rappelons ici la symbolique de la pyramide: c’est l’image de la perfection de la synthèse, donc de la convergence spirituelle. La profondeur du rendu des volumes devient densité volumétrique tellement la figure est détachée du fond.
Dans cette vision lyrique, la présence humaine n’est indiquée que par un pont sur notre droite. Si un coin de terre a inspiré ce paysage irréel, précis et embrumé, c’est quelque part en Lombardie ou dans les Dolomites, sous une atmosphère crépusculaire d’automne. A gauche un chemin serpente jusqu’à un fleuve où les eaux découpent les rochers. A droite, l’eau file au loin. Au fond ce qui pourrait être la mer. De hautes montagnes pétrifiées surplombent les masses liquides, elles se perdent dans la brume puis se dématérialisent dans les lointains où ne se distingue plus qu’une lumière blafarde : c’est une clarté lunaire, crépusculaire. La tonalité générale se situe dans les verts-bleus assombris mais les mains sont de couleur ocre et les parties éclairées du visage presque jaune translucide. Autant la figure est stable, autant le paysage est déchiqueté, mouvant, changeant, avec un aspect de fin du monde prononcé. La lecture de l’œil prend du temps : de ce fait la perspective s’allonge. Une notion de durée est ainsi introduite dans la compréhension de l’organisation du tableau.
Ces yeux rieurs semblent se moquer. Quant au sourire naissant sur des lèvres étroites dont les commissures sont relevées en croissant de lune, détail capital pour détecter la main de l’artiste, comment trouver les mots pour le décrire ? Bien des exégètes s’y sont cassés les dents. Nous nous contenterons donc de l’admirer, d’autant que le mot « Gioconda » signifiant joie en italien, le rébus intellectuel nous paraît évident…
C’est ce sourire indescriptible qui crée l’ambiguïté dans ce tableau. Ambiguïté du jeu des mains, de la lumière, des effets volumétriques, du regard, des vêtements, qui sont la nature profonde, la vérité de l’œuvre du peintre.
Cette puissance créatrice transcendantale donne au modèle sa « perversité fascinante » dont tant d’historiens et de poètes ont parlé.
Visage et haut de poitrine sont des contrepoints clairs isolés sur un fond de couleurs plus sombres. Ces deux zones sont reliées par la coiffure au voile transparent, signe de grossesse ou d’accouchement récent à l’époque.
La figure bien campée est associée à l’espace et à la nature. Sa monumentalité est issue de la finesse du modelé. Cette synthèse est obtenue par l’organisation plastique des informations visuelles perçues et par la concomitance de leur zone d’apparition. Il y a équilibre de l’acte créateur et de la puissance visionnaire en une fusion lyrique.
Seul Léonard a atteint ce niveau de l’art de peindre réussissant l’union de l’idéalisme et du réalisme. La transfiguration du réel est une nouveauté pour l’époque qui l’a ressentie sans la comprendre. Jamais avant la Joconde la vision d’un peintre ne s’était montrée capable d’une pareille spiritualité.
C’est avec Mona Lisa que nous pouvons saisir le mieux la puissance spéculative de la réflexion comme de l’introspection de Léonard devenu philosophe. L’élaboration de l’œuvre a été lente et difficile, comme c’est souvent le cas chez l’artiste, mais le spectateur ne s’en rend pas compte. Il y voit la synthèse parfaite de l’idée et de la technique ce qui le pousse à s’interroger sur ce qu’est l’art et sa signification.
Personne n’a jamais osé, et n’osera jamais, retirer la couche de vernis qui protège le tableau mais qui le noircit inévitablement. Dès son inscription dans les collections royales, sous François Ier, Mona Lisa fut reconnue comme un chef d’œuvre universel d’une unité parfaite : physique, psychologique et spatiale. Il suffit de considérer les innombrables copies d’époque. Sa renommée n’a pas connu d’éclipse. C’est le tableau le plus célèbre au monde.
Ce point d’équilibre dans le développement culturel de la Renaissance sera fugace. On ne peut que penser au poème de Laurent de Médicis, à peu près contemporain de la Joconde :
« Qu’il est beau le printemps de la vie, mais las les jeunes ans fuient sans arrêt. Que toute joie se goûte aujourd’hui, du jour qui vient, rien ne nous assure ».
Jacques Tcharny
Prochain article: (2) La Vierge aux rochers et Saint Jean-Baptiste
À suivre …!