Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris présente jusqu’au 8 juillet 2012, une exposition particulièrement intéressante consacrée à la vision des peintres sur le monde juif dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Orientalisme.

Très récemment le [Musée de la Vieille Charité à Marseille ( voir Wukali) http://www.wukali.com/magazine/spip.php?article51 avait présenté une exposition consacrée plus généralement à ce sujet générique.

Cette exposition se décline en quatre thèmes principaux: La découverte des Juifs en terre d’Islam, puis Le voyage en Terre sainte, La Bible est née en Orient et Les Nouveaux Hébreux.


Vivant depuis des temps lointains sous le statut de «dhimmi» , dans des pays d’Islam, et dans des communautés ségréguées certes soumises à l’autorité du pouvoir mais possédant une tradition en soi et une force d’expression culturelle autonome, les Juifs d’Afrique du nord, du Levant comme de l’Empire Ottoman ont longtemps agi comme des médiateurs, des transmetteurs de savoir entre l’Orient et l’Occident et au coeur des religions du Livre.

Olécio partenaire de Wukali

Cette intermédiation leur permit par exemple de mieux faire découvrir dès le dix-neuvième siècle l’Orient aux voyageurs occidentaux curieux de découvertes. Par exemple quand en 1832 Delacroix accompagne le comte Charles de Mornay dans son ambassade auprès du sultan du Maroc, Abd ar-Rahman II , il rencontre et se lie d amitié avec Abraham Benchimol qui lui servait d’interprète et qui l’invite dans sa famille. C’est dans ce cadre même qu’ll assistera à une “Noce juive” dont il fera bien plus tard en 1841 un superbe tableau

La plus grande partie des scènes d’intérieur produites par Delacroix se tiennent à l’intérieur de maisons juives. « Femmes d’Alger dans leur appartement » peint deux ans après son retour en France en 1834, appartient à l’évidence à ce registre, en effet on y voit trois jeunes femmes « en cheveux« , le visage nullement dissimulé (ce qui les distingue précisément des femmes musulmanes cloitrées et voilées et sans nulle mixité entre hommes et femmes) en compagnie de leur domestique. Baudelaire considérait ce tableau comme le plus beau de la peinture française et au vingtième siècle Matisse s’en inspirera.

Le peintre Alfred Dehodencq (1822-1882) aujourd’hui fort oublié sauf dans la mémoire de quelques historiens d’art, découvre quant à lui le Maroc dès 1853 (ses contemporains le considéraient comme le dernier des Romantiques ). Il s’enthousiasmera pour Tanger, Mogador, Safi, Rabat, Salé, Larache, Tarifa, Algesiras, Ceuta et se prendra d’amitié pour les communautés juives qu’il rencontrera lors de ses différents séjours. Bien plus qu’une relation picturale à caractère ethnographique, l’expression même de sa peinture reflète pareillement un vécu dont la révélation historique et sociologique a souvent été occultée pour de mauvaises raisons. A travers l’exposition on peut entre autres peintures voir « L’exécution de la juive » huile sur toile qu’il peignit en 1862 et relatant un fait avéré, la mise à mort par décapitation d’une jeune fille juive « la Tsadiqqah » que le sultan voulait convertir de force à l’Islam pour la marier à son fils et qui refusa de trahir et renier sa religion et dont la relation connue en occident bouleversa les consciences.

De nombreux peintres sont redécouverts à l’occasion de ce parcours artistique

James Tissot (1836-1902), né dans une famille aisée catholique à Nantes, longtemps considéré comme un peintre mondain, un temps mystique, suite à des affaires sentimentales, et qui à l’occasion d’un voyage en Palestine en 1886 en rapporte plus 365 gouaches et aquarelles dont une sélection est présentée

Henri-Léopold Lévy (Nancy 1840-Paris 1904) influencé par Delacroix ( “Hérodiade” 1871-1872),

Eduard Julius Friedrich Bendemann (Berlin 1811-Dusseldorf 1889),

Mauricy Gottlieb né en 1856 à Drohobycz en Galicie et mort à Cracovie en 1879) peintre majeur qui non seulement représente les grands moments de la vie cultuelle juive mais trouve aussi son inspiration à travers la littérature dans les grandes figures du théâtre de Shakespeare, (Shylock) ou de Lessing (Nathan le Sage). Sa peinture reflète un oecuménisme tolérant. Les nombreuses huiles exposées porte la trace de l’influence du style et de l’entropie humaniste de Rembrandt

Bien entendu on ne peut traiter de L’Orientalisme sans citer Chassériau, ( “Esther se parant pour être présentée à Assuérus” 1841), Cabanel ( “Ruth et Booz”- 1868), Horace Vernet (1789-1863), Agar chassée par Abraham 1837, Gustave Moreau (“Salomé” 1874-1876) ou Jean-Léon Gérôme(1824-1904)

Les représentations faites de Jérusalem alors sous domination ottomane par des peintres qui se sont rendus in situ sont fort riches d’enseignements Thomas Seddon(1821-1856) Jérusalem et la vallée de Josaphat depuis la colline du Mauvais Conseil, Gustav Bauernfeind (Sulz am Neckar 1848-Jerusalem1904) plusieurs aquarelles.

Quelques photographies d’époque, couleur sépia, prises toutes autour de la fin du XIXè siècle par Auguste Salzmann, James Robertson, James MacDonald, Charles Lallemand ou Félix Bonfils présentent la ville de Jérusalem dans sa désolation minérale d’alors avec la présence près du Mur des lamentations de quelques juifs pieux en prière

Cette exposition fait aussi une part belle à l’émergence d’une peinture dont leurs auteurs tels Reuven Rubin (Galatie, Roumanie. 1893-Tel Aviv 1974) ou Ariel El Hanani ( Poltava, Russie. 1898-Tel Aviv 1985) , Israël Paldi (Berdiansk-Russie 1892-Tel Aviv 1979) ont émigré en Palestine dès les premières années du vingtième siècle et ont contribué à la renaissance d’une identité nationale sur une terre d’origine si longtemps invoquée.

Pierre-Alain Lévy


LES JUIFS DANS L’ORIENTALISME

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme

71 rue du Temple. 75003 Paris. Métro: Rambuteau ou Hôtel de Ville. Bus : 29, 38, 47, 75. RER : Châtelet-Les Halles

Ouverture:

Du dimanche au vendredi : 10 h à 18 h. Fermeture des caisses à 17 h 15

Mercredi : nocturne jusqu’ à 21 h. Fermeture des caisses à 20 h 15

Le musée est fermé les samedis.


Edition catalogue conjointe Skira Flammarion et Musée d’art et d’histoire du Judaïsme . 200 Pages. Nombreuses illustrations 35,50€


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