Le New York Times, fait état d’une enquête mystérieuse autour d’un violon ! On y voit une photographie de 1943, montrant Joseph Goebbels, offrant un violon à une jeune japonaise appelée Nejiko Suwa. Violon qui serait, d’après les témoignages de l’époque, l’œuvre d’un grand maitre du 18e siècle. Serait-ce un Stradivarius ? Serait-il le fruit d’une des nombreuses rafles opérées par les Nazis durant la seconde guerre mondiale ?

Nejiko Suwa, peut-on lire, n’a jamais souhaité s’exprimer au sujet de ce violon. Une note du gouvernement allemand en date du 5 mai 1942 stipule cependant : « Le Ministre cherche un Stradivarius. ». Nejiko Suwa est morte en mars, le mystère ne sera peut-être jamais résolu…


Voici ce qu’écrit Carla Shapreau, facteur de violon et avocate, diplomée de l’École de droit de Berkeley et co-auteur de  » Violin Fraud: Deception, Forgery, Theft, and Lawsuits in England and America” Oxford University Press (1998)

En voici la traduction

Olécio partenaire de Wukali

(…) Pendant la guerre des manuscrits de musiciens originaux, des partitions, des instruments furent confisqués, arrachés comme des trophées de guerre, un grand nombre d’entre eux ont disparu. L’unité nazi Sondestab Musik était chargée de ce pillage.

Les preuves de ces saisies et de ces transactions opaques pendant l’ère nazi sont éparpillées dans un océan d’archives aux États-Unis et en Europe. Ordre avait été donné aux juifs du ghetto de Lodz en Pologne ( près de 200 000 juifs venant de ce ghetto furent annihilés durant l’Holocauste) de donner aux autorités tous les instruments de musique.

«Beethoven, Mozart, Chopin, Schumann sont à jamais silencieux dans ce ghetto » écrivait ainsi en 1944 un de ses résidents. «La rue sera sans âme, la vie misérable va continuer; et aux tourments de la faim et du froid s’ajoutera la soif inassouvie de la musique.»

De nature fragile et complexe les violons sont toujours enregistrés dans les ateliers de lutherie et apparaissent dans les inventaires de marchands et autres revendeurs. Leurs histoires peuvent être suivies à travers la lecture de certificats d’authenticité, d’actes de vente, de photographies, de registres, de lettres ou de journaux intimes.

La provenance des instruments qui apparaissent régulièrement dans les salles des ventes demeure souvent mystérieuse ou inexistante.

Les lois du commerce qui consistent bien souvent à préserver les légitimes intérêts privés des propriétaires anéantissent les efforts produits pour retrouver et tracer les instruments razziés par le Troisième Reich. Les noms des propriétaires sont souvent maculés sur les étiquettes de propriété et remplacés par des termes tels: «de la collection d’un musicien professionnel»

Sophie Lillie, historienne d’art qui a enquêté sur les disparitions d’oeuvres d’art conduites par les Nazis a souligné que la recherche des violons précieux n’a pas pu être aussi bien conduite à la différence des autres oeuvres ( tableaux, statues, mobilier…) parce que le marché n’a pas été frappé par un événement particulier tel l’exhumation d’une peinture fameuse par les autorités

«Il n’y a pas eut de choc médiatique dans le monde du violon au point de forcer le commerce à prendre des mesures» dit-elle dans un e-mail. «Mais ignorer le problème constitue une responsabilité et un engagement à la fois financier et moral, tant pour le vendeur que pour l’acheteur»

Pendants des années, Mademoiselle Suwa et sa famille ont décliné mes demandes d’information au sujet de son instrument. En 2007 j’ai reçu une charmante réponse de son neveu.

«Malheureusement, elle ne veut point parler de cette période et de cette épisode, s’il-vous-plait, souligne-t-il, elle a maintenant 88 ans, veuillez observer que lorsqu’elle a quitté le Japon pour l’Europe elle n’avait que 11 ans. » Il s’excusa de ne pouvoir en dire plus.

Quand nous avons discuté ensemble il y a quelques semaines, le neveu me dit que le violon était désormais sa propriété mais qu’il ne pouvait pour le moment aller plus avant dans la discussion.

Bien entendu mon intérêt est augmenté car cet instrument en question peut être un Stradivarius. Mais l’est-il vraiment ?

L’expert en charge de la recherche en authenticité recherche les caractéristiques les plus subtiles. La sélection du bois peut indiquer des informations de caractère géographique propre au luthier. Le caractère et la qualité du vernis, la façon dont il est appliqué et la couche qui pénètre le bois en dessous peuvent être des indicateurs d’identification.

Le connaisseur estime le travail artisanal, le style et les particularités, incluant les trace d’outils, les techniques de fabrication qu’elles soient de maître ou non. La forme donnée par le facteur d’instrument ainsi que l’exécution des ouvertures en forme de F dans le corps fin de la caisse de résonance, tout comme les éléments du manche sculptés en forme de coquillage sont à considérer comme les poinçons du luthier.

Pendant des siècles les luthiers ont placé des étiquettes à l’intérieur des violons, tout comme d’autres en ont détourné l’origine en ajoutant un nom fameux. Deux jours après que Goebbels ait donné à Mademoiselle Suwa le Stradivarius en question, un journal japonais disait que le violon datait de 1722, une année où selon les estimations Stradivarius a produit 20 violons.

En 1722, Stradivarius aurait eu 78 ans. Bien qu’il n’y ait aucune certitude sur ce point les experts présument qu’il a fabriqué avant sa mort (1737) environ 1100 instruments. Peu d’entre eux existent toujours.

Quand Mademoiselle Suwa a reçu son violon, elle n’était alors qu’une violoniste en début de carrière. Née en 1920, enfant prodige à 10 ans, elle étudia le violon avec la violoniste russe Anna Bubnova-Ono, sa tante par mariage. En 1936 elle partit du Japon pour Bruxelles puis s’installa à Paris en 1938 pour travailler avec Boris Kamensky. Elle débuta à Paris le 19 mai 1939, juste un an avant l’invasion de la France par les Nazis.

Mademoiselle Suwa joua à travers toute l’Europe pendant la guerre. Elle était une soliste attitrée avec la Philharmonique de Berlin en Octobre 1943, deux mois plus tard Goebbels écrit dans son second et dernier journal à son sujet:

«À midi invitation avec Oshima,(*ambassadeur du Japon à Berlin pendant la guerre) La fameuse violoniste japonaise Neijiko Suwa joue pour nous un concerto de Grieg et quelques plus petites pièces de bravoure, avec une superbe technique et un vif talent artistique. J’ai donné récemment à cette violoniste un violon Stradivarius en cadeau. De la manière dont elle joue, j’ai remarqué que cet instrument est avec elle entre de bonnes mains

Comme Ministre de la Propagande, Goebbels contrôlait la politique de la musique via la Chambre du Reich de la Culture, et sa division musicale , le Reichmusikkamer. L’emploi était exclusivement réservé aux Aryens. Des compositeurs tels Mahler, Martinu et Mendelssohn étaient placés sur liste noire sur la base de la religion, de la politique et de la race.

Goebbels équipait les musiciens avec des instruments de haut lignage. Le 17 décembre 1940, il note dans son journal qu’il faut acheter de nombreux violons de maître pour l’usage des violonistes allemands. Son ministère était aussi impliqué dans ces opérations, confiant des violons italiens du 18ème siècle à des interprètes experts, incluant des musiciens de la Philharmonie de Berlin.Un mémo gouvernemental daté du 5 mai 1942 précise: «Le Ministère est à la recherche d’un Stradivarius d’origine pour le Premier violon»

Les archives militaires confirment les transferts en temps de guerre d’instruments de musique à des musiciens allemands comme le «Guadagnini 1765» que l’armée des États-Unis récupéra du violoniste Otto Schärnack en 1948.

Quand en 1944 les Alliés libérèrent Paris, Mlle Suwa s’enfuit à Berlin, voyageant en train avec le chanteur Yoshiko Kurachi. Madame Kurachi se rappelle que le train eut à s’arrêter plusieurs fois d’urgence à cause des frappes aériennes des Alliés, et les deux femmes furent forcées de sauter du train pour se mettre à couvert sous les arbres à proximité ou sous le train. Mais jamais ne se séparait-elle de son violon même quand elle dormait.

À Berlin Mlle Suwa rejoignit l’ambassadeur du Japon et en avril 1945, quand la mission diplomatique japonaise fut évacuée, elle s’enfuit en train pour les Alpes autrichiennes où en mai elle fut capturée par les soldats de la 7ème Armée comme le précise les Archives Nationales des Etats-unis. Mlle Suwa leur dit qu’elle était la secrétaire personnelle de la femme de l’Ambassadeur Oshima, Toyoko Oshima, et qu’elle avait étudié le violon en Europe.

Elle fut envoyée à bord du paquebot Santa Rosa au Havre à destination de New-York. Elle était en mer en août 1945 quand l’Amérique lança deux bombes atomiques sur le Japon. Son bateau arriva à New-York et jeta l’ancre au large de Staten Island le 11 août 1945. Les douanes débarquèrent et inspectèrent 492 bagages. Les archives indiquent que des poignards, des couteaux, des revolvers et une épée furent confisqués mais nulle trace de violon.

Le jour suivant Mademoiselle Suwa et d’autres membres du corps diplomatique japonais, furent conduits au Bedford Springs Hotel, un hôtel de luxe situé au coeur des Montagnes Allegheny en Pennsylvanie qui servait de centre de détention. Vingt pièces y avaient été secrètement équipées de Micros par le State Department en anticipation de l’arrivée des Japonais.

Cet automne là Mlle Suwa et les 183 personnes internées du Bedford furent renvoyées au Japon par le State Department. Avant leur départ il y eut un concert de célébration le 11 novembre 1945. Les Internés étaient inclus parmi les invités, et outre les invités officiels américains et le personnel de l’hôtel, on trouvait parmi les musiciens internés, Mlle Suwa, le chef d’orchestre et compositeur Viscount Hidemaro Konoye ainsi que le ténor Minoru Uchimoto. Les Bis furent très nombreux tout au travers de la nuit. Elle jouait le violon de Goebbels.

L’auteur Yusuke Fukada qui interviewa quelques uns de ceux qui furent présents à ce concert a écrit: «Le son du Stradivarius disparut dans l’épaisseur de le forêt de Bedford Springs
»

Mlle Suwa arriva à Yokohama le 7 décembre, un reporter la rencontra sur le quai: «Est-ce le fameux violon fabriqué par Stradivarius demanda-t-il?»

«Oui, dit-elle, en tenant son étui à violon fermement sur la poitrine, J’ai risqué ma vie pour le protéger»

En 1951 elle retourna vaillamment aux USA pour jouer dans un concert de charité à l’Hollywood Bowl. La presse de Los Angeles la louangea notant que c’était «la première star de la musique à remettre le pied sur le sol américain depuis la signature du traité de paix» qui après des négociations prolongées avait été signé par 49 nations une semaine plus tôt.

Dans la distribution de plus de 200 musiciens de prestige présents lors de ce concert on trouvait des stars de la scène, de l’écran, de la télévision et de la radio incluant Benny Goodman, Lionel Barrymore et André Prévin. Bob Hope présidait en maître des cérémonies.

Avec le violon de Goebbels face à un auditoire américain, Mlle Suwa joua une pièce qu’elle avait jouée à Tokyo quand elle avait 10 ans, le Concerto en ré de Mendellsohn, un compositeur dont les oeuvres avaient été interdites par les nazis.

Clara Shapreau

Traduit du New-York Times pour Wukali par P-A L


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(The Art Market, Museums, and the Legacy of the Holocaust: Legal and Ethical Issues. Boston University. Colloque en anglais)

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