Lu dans la presse française.
Par Marie-Estelle Pech. Le Figaro.
Ce livre est accusé par l’Inspection générale de l’Éducation nationale d’être tendancieux, au grand agacement d’Hatier, la maison d’édition.
Le manuel au centre de la polémique.
«Indigence du vocabulaire et des notions artistiques», «inexactitudes en matière d’histoire de l’art», «défaut de compétence des auteurs»: dans son rapport d’expertise remis en septembre (document pdf) au sujet d’un Cahier d’histoire des arts destiné à préparer les élèves de troisième à cette épreuve orale du brevet, publié en avril 2012 par Hatier, l’inspecteur général des arts plastiques, Henri de Rohan-Csermak n’y va pas par le dos de la cuillère. Pire, il accuse le livre, en substance, de tenir des propos tendancieux sur l’idéologie nazie. La polémique, dévoilée par Europe 1, a commencé au printemps dernier avec l’agacement de professeurs d’arts plastiques de l’académie de Versailles, après la lecture de ce «cahier» largement vendu dans les collèges depuis. Ces derniers ont saisi leur inspecteur d’académie, qui a lui-même saisi le ministère et son Inspection générale.
La toile Les Joueurs de skat d’Otto Dix (illustration) est présentée comme «expressionniste», alors qu’elle relève de la «nouvelle objectivité». Guernica de Picasso est affiché comme représentatif du mouvement cubiste, dont la période est depuis longtemps close. Et il n’est pas exact, selon le rapport que s’est procuré Le Figaro (pdf), que le pop art «critique la société de consommation et les symboles du monde moderne». Il «en dresse un portrait en en utilisant les matériaux, souvent dans l’esprit du ready made».
Les critiques se concentrent sur l’interprétation d’une œuvre nazie
Le rapport concentre ses critiques sur le chapitre consacré au Porte-glaive d’Arno Breker, prolongé d’une double page sur l’art nazi et l’art dégénéré. Les auteurs terminent leur exposé par la phrase suivante, «énoncée sans précaution oratoire»: «L’Aryen se définit par un esprit conquérant et un corps sain, vigoureux, parfaitement proportionné.» «Cette phrase présente cette prétendue définition comme un absolu: une maladresse aussi insigne donnera naissance chez des élèves insuffisamment avertis aux plus dangereux malentendus», affirme le rapporteur.
Elle confond par ailleurs, dit le texte, le racisme nazi et son idéal artistique avec le néoclassicisme qui l’a précédé: l’élève est invité à croire que toute référence dans la représentation masculine au canon de l’Antiquité est liée à l’idéologie nazie. Il est ainsi appelé à énumérer les ressemblances entre le bronze d’Arno Breker et un marbre de l’artiste grec Polyclète, mais pas les différences, pourtant «majeures». Pris au pied de la lettre, ce chapitre transmet donc aux élèves que «toute référence à la culture antique, particulièrement grecque, est suspecte». Ce «seul chapitre suffit à recommander aux professeurs et aux parents la plus extrême prudence dans l’usage de ce livret».
Les œuvres présentées par l’ouvrage ne le sont «jamais dans leur contexte artistique». Et le seul propos de critique artistique cité dans tout l’ouvrage est «dû à nulle autre plume que celle d’Adolf Hitler, ce qui pose question». Les autres citations sont un tract de la CGT et un propos du président Pompidou. «Aucun propos des artistes représentés – Picasso, Chaplin, Dix, Lichtenstein, Rodgers et Piano – qui se sont pourtant tous exprimés sur leur œuvre.» L’étude de l’art sous le seul angle de son rapport au pouvoir politique est «insuffisante pour développer une culture artistique chez l’élève», est-il encore indiqué. «On peut craindre que, bien loin de contribuer à la formation du sens civique et de la sensibilité artistique, une approche aussi schématique de la thématique «Arts, États et pouvoir» ne développe chez l’élève un dégoût pour l’expression artistique ainsi amalgamée à une expression politique, voire une réceptivité aux théories du complot», poursuit le rapporteur.
La directrice générale d’Hatier ne changera pas une ligne
La faiblesse de l’ouvrage serait, selon lui, liée au fait que l’enseignement de l’histoire des arts a été introduit rapidement il y a deux ans au brevet des collèges. La demande pressante de ressources pédagogiques expliquant la «maladresse» d’auteurs, professeurs du secondaire, et d’éditeurs manquant d’expérience pour répondre dans l’urgence à ces exigences nouvelles. La directrice générale des Éditions Hatier, Célia Rosentraub, confie au Figaro qu’elle se sent «prise en otage entre les différents lobbys disciplinaires enseignants». Une allusion à peine voilée au fait que les professeurs d’arts plastiques, se sentant dépossédés de cette matière désormais enseignée de façon «transdisciplinaire», critiquent l’amateurisme de leurs collègues de lettres ou d’histoire. «Ce cahier n’a pas vocation à être un lexique exhaustif d’histoire des arts», affirme Célia Rosentraub, qui «ne changer(a) pas une ligne de (son) ouvrage». Ce dernier s’adresse avant tout aux professeurs d’histoire et de lettres, et non à ceux d’arts plastiques: «Nous n’allons rien modifier, rien ne prête le flanc à la critique», affirme-t-elle.
Au sujet de la sculpture d’Arno Breker, elle indique que toutes les précautions ont été prises pour que l’élève ne prenne pas pour vérité objective le discours sur la race aryenne. Le texte précise qu’il s’agit de l’homme idéal «selon les nazis», «pour les nazis» ou encore «selon eux», observe-t-elle. L’extrait du texte de Hitler n’est pas davantage présenté comme «une critique artistique», affirme-t-elle encore. Quant aux inexactitudes relevées par l’inspection, elle y répond point par point. Le tableau d’Otto Dix est le plus souvent classé parmi les œuvres expressionnistes, dit-elle en citant un dictionnaire des grands peintres. Pour Guernica, «l’inspiration cubiste est souvent évoquée dans l’interprétation du tableau». Elle fait par ailleurs observer que le texte ne constitue qu’une ressource parmi d’autres pour les enseignants.
Le FIGARO
Illustration Les joueurs de skat. Otto Dix. 1920. Huile et collages 110×87. Musée national Berlin.
ÉCOUTER VOIR
en anglais
Otto Dix, german artist