Lu dans la presse française.
Le FIGARO.
Le Sénat relance l’investigation sur les œuvres d’art spoliées aux Juifs pendant la guerre.
2 000 objets attendent encore leur propriétaire.
La France a-t-elle vraiment tout mis en œuvre pour retrouver les propriétaires juifs d’œuvres d’art spoliées pendant la guerre? En dépit de soixante-dix ans d’efforts, de rapports et de commissions, la sénatrice Corinne Bouchoux (écolo, Maine-et-Loire) estime qu’un dernier coup de collier pourrait être donné, notamment pour 163 tableaux actuellement en dépôt dans les musées français. Très pointue sur le sujet, dont elle a fait le thème de sa thèse, l’élue vient de faire adopter par la commission culture du Sénat une série de propositions pour donner une nouvelle impulsion aux recherches. Notamment la mise en place d’une task force, que Jean-Marc Ayrault devrait installer prochainement.
Les spoliations commises par les nazis pendant la guerre ont beau avoir été racontées mille fois, leur récit rend toujours incrédule. À partir de juin 1940, et jusqu’en 1944, un pillage systématique des œuvres d’art détenues par des Juifs fut engagé par l’ambassade du Reich à Paris, puis par un service dédié, ERR. On estime que, pendant ces années, 200 collections françaises privées ont été expédiées en Allemagne. S’y sont ajoutées des milliers d’œuvres, prises dans les dizaines de milliers d’appartements ou achetées dans des conditions douteuses sous le manteau ou sur le marché de l’art. Au moins 100.000 objets – statues anciennes, tapis, bijoux, toiles de maître, tapisseries, bibliothèques de livres anciens – auraient été pillés.
«Quête d’excellence»
63.000 sont rapatriés en France à la fin de la guerre. Les Alliés les ont trouvés dans des dépôts, comme les mines de sel d’Altaussee, des châteaux, la préfiguration du musée de Hitler à Linz ou encore dans les maisons des dignitaires nazis – dont Göring.
La France va les exposer et les «ficher» afin que leurs propriétaires puissent venir les récupérer. «Les grandes collections connues et répertoriées, comme celles des Rothschild ou des David-Weill, retrouvées en caisses au château de Neuschwanstein, ont été restituées», raconte Jean-Pierre Bady de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. En 1950, on arrête les compteurs. La période est trouble. Les familles juives ont été décimées ou sont dispersées. 14.000 objets sont vendus aux enchères par les Domaines et 2100, considérés comme ayant de la valeur, financière, artistique ou historique, sont déposés dans les musées, principalement au Louvre. On ajoute, dans le lot, les toiles identifiées comme fausses, pour ne pas qu’elles alimentent le marché. Curieusement, la France autorise également les ambassades et l’Élysée à utiliser ces biens, à des fins de décoration.
«Il y a eu plusieurs périodes dans cette histoire douloureuse: dans les années 1950, on croit que plus personne ne viendra réclamer quoi que ce soit. L’intérêt retombe alors pendant au moins trente ans. Les années 1990 constituent un tournant, notamment grâce au travail de la “mission Mattéoli” mise en place à cet effet», poursuit Jean-Pierre Bady. La chute du mur de Berlin, la diffusion par Internet, un accord de bonne pratique signé par 40 pays en 1998 (principes de Washington) et une prise de conscience internationale – y compris dans les maisons de vente – contribuent largement au changement d’état d’esprit. Mais les faits sont là: entre 1951 et aujourd’hui, seules 79 œuvres d’art de grande valeur vont être restituées à leurs propriétaires. Et six devraient l’être prochainement au petit-fils d’un couple de collectionneurs autrichiens, vivant en France en 1942 avant de fuir.
Pourquoi penser qu’aujourd’hui les résultats seront au rendez-vous? La sénatrice, qui parle d’une «quête d’excellence» estime que la généalogie, grâce à Internet, a fait d’immenses progrès. Et elle transpose la question sur un autre terrain: «Ce travail doit être accompli pour des raisons symboliques, de mémoire et d’histoire, explique-t-elle, et c’est seulement lorsque l’on aura tout fait que l’on pourra tourner la page.»
Par Claire Bommelaer
Illustration Photo de l’entête. Neige au soleil couchant, de Claude Monet. Ce tableau est en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Il est enregistré sous le sigle MNR 1002 et aurait été vendu par monsieur Silberberg, mort en déportation. Crédits photo : Photo Rmn René-Gabriel Ojéda
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Le pillage des oeuvres d’art par les nazis pendant la seconde guerre mondiale ( en anglais)