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La chronique littéraire d’Emile Cougut.
Une jeune femme, Prema (amour en sanscrit), d’origine népali (et non népalaise) émigre à Los Angeles et y découvre une autre façon de vivre et l’amour.
Depuis les lettres persanes de Montesquieu, le thème de l’étranger décrivant les coutumes qui ne sont pas les siennes dans son pays d’adoption a fait l’objet d’un grand nombre de variations. Certaines sont brillantes, d’autres sont à oublier sitôt la dernière phrase lue, du moins quand on arrive à finir le livre… Ce qui n’est pas du tout le cas du livre de Manjushree THAPA : Les saisons de l’envol.
Prema, à part trouver une certaine légèreté aux américains et une méconnaissance de la réalité, n’émet aucune critique ni aucune description plus ou moins sociologique de sa société d’adoption. Le livre de Manjushree THAPA ne décrit pas non plus les difficultés d’intégration dans une culture qui n’est pas la sienne, mais les tourments d’une jeune femme qui souffre, qui a mal à vivre à cause de son passé, de la personne qu’elle est, qui fait qu’elle est unique avec toute sa complexité, ses envies et surtout ses blessures, qui n’arrive pas à communiquer profondément avec les autres.
Le pays d’origine de l’héroïne, le Népal, n’est pas celui dont les français et les américains maîtrisent parfaitement la culture et l’histoire. Bien sur on connaît Katmandou, l’Himalaya et ses sherpas, mais en ce qui concerne la vie des autochtones, nous sommes des ignares. Dans une première partie, l’auteur aborde certains aspects de la vie quotidienne de ce pays. Pas à la capitale, mais à la campagne où les effets du sous développement se font souvent durement sentir, où la guérilla maoïste est omniprésente justifiant les abus des autorités au nom d’une guerre civile qui ne finit pas, où une certaine forme de peur règne continuellement, où la corruption est une évidence, même chez les maoïstes, où un futur autre que le présent et le passé semble n’être qu’une chimère. « Lorsque la brume se dissipait, elle pouvait voir le mont Everest depuis son village natal : « Mais il y avait toujours de la brume; » »
Pourtant, Prema qui travaille pour une O.N.G. s’occupant de la gestion des forêts et du bilan carbone, n’a aucune envie de partir. Pour faire comme un collègue, elle participe à une loterie organisée par l’ambassade américaine pour obtenir une green card et à la chance de gagner sans la désirer. Elle a joué, pour tout son entourage, elle a gagné.
Prima se retrouve alors à Los Angeles, dans Little Népal, puis en collocation, en couple. Elle commence à travailler dans un restaurant, une épicerie coréenne pour finir auxiliaire de vie auprès d’une personne âgée. Elle est loin de son métier dans la « foresterie », loin d’avoir le niveau de vie qu’elle avait dans son pays d’origine. Pour elle, les États Unis, du moins certains quartiers, n’ont rien à envier à son pays sous développé.
Elle est seule, pauvre, déçue mais ne souhaite jamais repartir pour son pays natal.
Au bout de trois ans, elle rencontre Luis, un américain d’origine guatémaltèque qui lui fait découvrir Los Angeles et le mode de vie américain, mais surtout il arrive à combler un manque qu’elle n’arrivait pas à définir : l’amour et la sexualité.
Mais, malgré son amour, elle n’arrive pas « à trouver sa place dans ce monde », rompt avec son amant, renoue avec son passé sans pour autant arriver à panser toutes ses blessures.
Travaillant dans une association pour la protection de l’environnement en Californie, elle finit tant bien que mal par assumer son passé, son passif et revenir vers l’amour.
Une grande humanité se dégage de ce livre. Tous les personnages, et avant tout Prema, sont décrits dans toute leur complexité, toujours poussés par une fuite sans fin, sans vivre l’instant présent : ce peut être en travaillant dans l’espoir d’un futur meilleur ou en se réfugiant dans un passé heureux.
Prema porte en elle son passé, sa culture, les déchirements dus à la guerre civile, en décalage avec son entourage. Les autres n’arrivent pas à percevoir qu’elle est la jeune femme qu’elle est à cause de ce passé et de cette culture. La communication, autre que superficielle, est alors impossible, d’où parfois l’impression que tous, dont Prema, sont des égoïste qui n’arrivent pas à montrer l’empathie qu’ils ont pour les autres.
Les Saisons de l’envol est avant tout un livre sur les difficultés de communiquer dans notre société en particulier et pour tous les êtres humains en général, d’où la solitude ou l’impression de solitude dans laquelle nous croyons être plongée.
Bien sur, il y a des passages qui peuvent être perçus comme caricaturaux ou politiquement corrects, comme la scène de la renaissance dans la mer ou le message écologique sur les dangers que les hommes font peser sur la nature. Mais ils ne détruisent en rien le plaisir que l’on trouve à lire ce roman et les réflexions que l’on ne manque pas de se poser sur les relations humaines, sur l’échange et la communication avec autrui.
Il est à noter que la traductrice a fait un travail remarquable, sans trahir l’auteure, elle nous fait lire un roman que l’on aurait pu croire être écrit directement en français.
Manjushree THAPA a une écriture précise, des petites phrases, quelques mots pour décrire un lieu ou une atmosphère. Le roman est construit à partir d’une série de petites touches qui s’harmonisent parfaitement les unes dans les autres et qui le rendent si intéressant.
Ce livre fait penser à un tableau de Georges Seurat, fondateur du pointillisme.
Émile COUGUT
LES SAISONS DE L’ENVOL
Un roman de Manjushree Thapa.
Éditions ALBIN-MICHEL. 22€50