La Chronique littéraire d’Émile COUGUT.
L’enfer sur terre.
Journaliste au GUARDIAN, Ed Vulliamy vient de passer deux ans à sillonner les 3 200 kilomètres de frontière entre les Etats-Unis d’Amérique et le Mexique. 3 200 kilomètres d’horreurs, et son livre AMEXICA fait voir ce que la violence, l’argent facile, la misère, le mépris de la vie peuvent faire de pire.
Les massacres, l’histoire en est pleine, tous aussi plus horribles les uns que les autres. Ces massacres sont les conséquences des guerres, toutes les sortes de guerre qu’elles soient entre états, civiles, raciales, elles sont rythmées par une longue litanie d’hommes, de femmes, d’enfants, victimes innocentes de la barbarie. Mais depuis la nuit des temps, il est plus ou moins inconsciemment accepté que ces massacres ne soient qu’une regrettable conséquence, un dommage collatéral suivant la dénomination moderne de la guerre.
Ce n’est pas une guerre entre les Etats-Unis et le Mexique, pas plus que l’éradication des quelques derniers indigènes encore présents en ces lieux. La guerre, enfin une guerre qui ne dit pas son nom fait rage depuis des années sur cette frontière : en moyenne, elle fait 10 000 morts chaque années et souvent des « sales morts ».
C’est une guerre non d’un type nouveau, mais inclassable, une guerre économique, politique, dont le seul et unique but est de pouvoir faire très rapidement énormément d’argent.
Entre ces deux pays, en moyenne, chaque jour transitent 8000 camions, 12 millions de barils de pétrole brut et environ 370 milliards de dollars de marchandises diverses et variées. Et même si l’on considère que 3% de ce trafic est de la contrebande, cela représente une moyenne journalière d’un milliard de dollars !
Cette frontière est l’endroit au monde où passe le plus gros tonnage de drogue que l’occident va consommer. Car si un tel endroit existe, c’est parce qu’il existe une très forte demande de produits illicites, essentiellement de la cocaïne et des amphétamines aux Etats-Unis et en Europe. Il y a un marché, des cartels l’occupent et font tout pour pouvoir trafiquer en paix. Depuis Ricardo ou Adam Smith on sait que l’économie, les affaires ne prospèrent que s’il y a de l’ordre, et dans cette partie du monde, se sont les cartels qui se sont arrogés cette mission. Ce n’est pas une zone de non droit, mais une zone où règne la loi des plus forts, à base d’intimidation, de violence de corruption. Du moins du côté mexicain. Car cette frontière pourrait être prise comme un vrai symbole du manichéisme : du côté mexicain : l’enfer, du coté étatsunien : la tranquillité ; Ciudad Juarez ville la plus violente du Mexique, quelques kilomètres en face : El Paso, une des villes les moins criminogènes d’Amérique.
Quand un cartel veut prendre un territoire, il commence d’abord à infiltrer la police : ainsi, on estime à 1 700 les policiers qui travaillent pour les narco trafiquants à Cancun. Le général Mauro Enrique Tello qui voulait mettre fin à cet état de fait a été torturé et exécuté d’une balle dans la tête. Puis, il corrompt les politiciens et enfin il contrôle la presse. Il ne faut surtout pas que l’on sache ce qui se passe au niveau local surtout dans l’est du pays. Ainsi, quand le chef de la police a été tué d’une balle, il n’y a pas eu un entrefilet.
Pour arriver à leurs fins, les cartels disposent de deux moyens : l’agent et la violence. Une violence qui peut toucher tout le monde (plus de soixante journalistes tués en une demi douzaine d’année), et aussi bien les femmes et les enfants. Et surtout une violence montrant un mépris total non seulement pour la mort mais pour la dignité humaine. Une violence de sadique ! Car la mort n’est souvent que l’aboutissement de longues séances de torture. Ainsi ce lieutenant de police qui a vu tués et dépecés ses deux enfants, son épouse violée et brûlée vive, et achevé après quinze jours de torture. Cette torture est le plus souvent faite par des médecins ayant une parfaite connaissance de la biologie humaine et qui s’assurent que leurs victimes restent conscientes le plus longtemps possible.
De plus, quand les corps ne sont pas enterrés dans des charniers où dissous dans l’acide, ils peuvent être mutilés symboliquement. Ainsi, une langue coupée veut dire que le défunt était trop bavard ou un mouchard. Un homme castré a du soit coucher soit regarder de trop près la femme d’un autre, les jambes coupées sont réservés pour ceux qui ont voulu partir du cartel, les bras coupés sont ceux de celui qui n’a pas livré la marchandise qui lui avait été confiée. Une décapitation est un des moyens de prouver sa puissance en lançant un avertissement à toute la population (la tête étant le plus souvent déposée en hauteur dans un endroit passant pour que le plus grand nombre puisse la voir).
Des pages parfois difficiles à lire sans avoir la nausée. On pensait qu’après les horreurs nazis et japonaises de la seconde guerre mondiale, l’horreur absolue avait été atteinte, on avait oublié que le sadisme trouve toujours des moyens pour progresser.
Dès qu’ils sont fermement implantés, les cartels se « décriminalisent » en partie, car une partie de leur argent est investi sur place dans les secteurs de la santé, de l’éducation, rendant par là la population redevable à ceux qui pallient le manque de l’état. Cet investissement n’est pas s’en faire penser aux associations humanitaires financées par des pays du Golfe qui permettent à des populations de survivre dignement. Ecole gratuite pour les enfants, soins médicaux gratuits, etc., expliquent en grande partie une « acceptation tacite » de ces trafics et de cette violence par des personnes qui ne pourraient pas avoir ces services dans un cadre économique légal.
Localement, les cartels ont investi, par des systèmes de prête-nom dans le tourisme. Aller visiter le Mexique, c’est prendre le risque de permettre aux cartels de « blanchir » légalement l’argent de la drogue. Au début de l’année, le ministre du tourisme mexicain qui voulait mettre fin à cet état de fait, a été assassiné…
Mais la grande majorité des gains sont investis à l’étranger. Les Etats-Unis d’Amérique s’en sont « émus » et une commission du Sénat a travaillé sur ce sujet. A cette occasion on a appris qu’en 5 ans, de 2003 à 2008, la Banque Wachovia avait reçu en dépôt des maisons de change mexicaines un peu moins de 400 milliards de dollars. HSBC, banque suisse, dont l’ancien chef exécutif est le ministre britannique du commerce, a reconnu avoir reçu 7 milliards de dollars en cash !
De fait, c’est tout un système économique que nous décrit Ed Vulliamy, un système économique qui a su profiter de la mondialisation, d’une demande de plus en plus forte dans les pays occidentaux qui, de fait, bénéficient des investissements faits avec cet « argent sale » qui ne l’est plus quand ils en bénéficient.
Les milliers de victimes directes et indirectes (les drogués occidentaux) ne sont rien face aux milliards en jeu.
On savait que l’argent n’a pas d’odeur, on sait maintenant qu’il est rouge sang et qu’il est sourd aux cris des torturés.
Emile Cougut
Ed Vulliamy
Éditions Albin Michel. 22€50
Ed Vulliamy est un exceptionnel journaliste d’investigation, un très grand professionnel, et un homme de courage. Chapeau bas!
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Entretien avec Ed Vulliamy ( en anglais)