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Lu dans la presse.

Le FIGARO

Publié le 28/05/2013

Olécio partenaire de Wukali

La romancière doit verser 40.000 € à une femme qui s’est reconnue dans Les Petits. Une condamnation rare pour les écrivains qui jouissent d’une liberté de création.

Décryptage.

Le vent est-il en train de tourner pour les écrivains face à la justice? Jusqu’ici, à de très rares exceptions près, les juges étaient indulgents avec les romanciers qui se retrouvaient à la barre des tribunaux. La raison? Au nom du sacro-saint principe de la liberté de création. Les auteurs avaient pratiquement tous les droits: dans La Carte et le territoire, Prix Goncourt 2010, Michel Houellebecq pouvait mettre en scène Jean-Pierre Pernaut et faire passer l’ancien PDG de TF1, Patrick Le Lay, pour un ivrogne ; dans Sévère, Régis Jauffret s’est emparé clairement de l’affaire Stern ; dans Photo-Photo, Karl Lagerfeld était le personnage principal du roman de Marie Nimier ; dans Limonov ou dans D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère ne faisait que parler de proches ou de personnes connues ; et, tout récemment, la vie personnelle de Rachida Dati pouvait être exposée sous forme de bande dessinée…

«Atteinte à l’intimité de la vie privée»

Mais lundi 27 mai, la 17e chambre du tribunal de grande instance (celle qui est spécialisée dans les affaires de presse et d’édition), a été beaucoup moins clémente envers Christine Angot. Avec sa maison d’édition, elle devra verser 40.000 € pour «atteinte à l’intimité de la vie privée». La plaignante est une certaine Élise Bidoit qui s’est reconnue dans le roman Les petits, publié en septembre 2011, puis en édition de poche en avril 2012. Ce n’était pas la première fois, puisque la mère de famille avait déjà attaqué Christine Angot pour les mêmes raisons lors de la publication du Marché des amants (Seuil), l’affaire s’étant terminée par un accord et un dédommagement de 10.000 € en faveur d’Élise Bidoit. Pour bien comprendre les faits, il faut savoir que l’ex-mari d’Élise Bidoit est (ou était) le compagnon de Christine Angot. Dans Les Petits, Angot brosse le portrait d’une femme, mère de quatre enfants, qui illustrerait «le côté sombre de la puissance féminine».

Bien sûr, les avocats de la romancière et des éditions Flammarion, Mes Georges Kiejman et Christophe Bigot, avaient plaidé la liberté de création et estimaient que seule une poignée de personnes (des voisins, de la famille) pouvaient éventuellement reconnaître Élise Bidoit, dont le nom n’est pas cité dans le roman (le personnage porte le prénom d’Hélène). De plus, ils ont ajouté à leur argumentation qu’Élise Bidoit avait donné une interview au Nouvel Observateur, avec photo ce qui la rendait autrement plus identifiable. Enfin, connu pour être l’un des auteurs phares de ce que l’on appelle l’autofiction, une condamnation pourrait briser tout l’édifice littéraire d’Angot.

«Pas d’irresponsabilité juridique de l’auteur»

Mais les juges en ont décidé autrement. Ils ont rappelé avec force qu’«il n’y a pas d’irresponsabilité juridique de l’auteur, spécialement quand on pille systématiquement la vie privée de quelqu’un, y compris quand il s’agit d’une personne anonyme». Cette argumentation, de nombreux écrivains vont la lire et la relire: combien sont-ils à s’inspirer de personnages ou de faits réels? C’est un véritable renversement de jurisprudence en défaveur des romanciers qui est en train de s’établir. Déjà, en septembre 2011, pour des raisons similaires, Patrick Poivre d’Arvor avait été condamné à verser 33.000 € à son ancienne compagne. Et la semaine dernière, c’était autour de Lionel Duroy et de sa maison d’édition Julliard: l’écrivain doit 10.000 € de dommages et intérêts à… son fils qui est évoqué dans Colères!

Interrogé par l’AFP, Me Kiejman s’est dit surpris par la sévérité du jugement condamnant Christine Angot, ajoutant que c’est «une forme de désaveu de l’œuvre» de la romancière. Selon l’avocat, Angot serait «totalement effondrée» car elle estime que c’est une remise en question de sa création. Les avocats devraient faire appel de la décision de justice.


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