Dans le contexte initié par l’affaire Snowden, cet article sur la Guerre froide paru dans la presse espagnole fait actualité et traite d’un sujet peu connu : le rôle des artistes et des peintres américains, chefs de file ( notamment ceux appartenant au mouvement de l’expressionnisme abstrait), de leur capacité d’influence et leur récupération par la CIA. Déjà à la fin des années 70 avait été révélée l’ Operation Mockingbird, mise en place par la CIA pour manipuler les media et sa révélation au public américain avait à l’époque fait grand bruit.
Gramsci avait décrit voilà bien longtemps le rôle révolutionnaire de la culture, ce que nos nommons aujourd’hui le softpower, autrement dit l’entropie culturelle .
Nous reproduisons cet article. On doit cependant à la vérité de préciser que les informations données ne sont nullement nouvelles et avaient fait l’objet de différents travaux et publications tant aux Usa qu’en Europe. Parmi les ouvrages les plus intéressants, nous recommandons tout particulièrement The CIA and the Cultural Cold War Revisited écrit par James Petras (London Granta Books)
La force de la démocratie c’est la transparence et la liberté dont les media sont les garants. Notre société hyper médiatisée est à un tournant, et les technologies de la communication dont nous sommes tous friands et qui aujourd’hui permettent ce colossal bouleversement économique et sociétal qui secoue toute la planète sont comme la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses.
Dans le domaine de l’histoire de l’art, faut il rappeler que Pierre-Paul Rubens, fut non seulement un grand peintre mais aussi un grand agent de renseignement pour ne pas dire un espion. Et notre cher Voltaire eût bien aimé prétendre à ce rôle à la cour de Frédéric II, mais il n’aboutit pas.
Tout puissant, tout souverain tout homme de pouvoir a toujours su utiliser les artistes et les arts pour donner de son règne, prestige et influence dans les cours étrangères et hors des frontières. Ce qui fut vrai voila des siècles demeure tout autant juste aujourd’hui et en France nos monarques républicains ont toujours su jouer de cette corde sensible et flatteuse, il en va de même chez nos voisins, ce n’est qu’une question d’échelle !
Les soviétiques quant à eux utilisaient de même manière leurs artistes aux fins de propagande pour vanter l’URSS, et les choeurs de l’Armée Rouge remplissaient pour les plus grands publics une fonction essentielle. La différence entre les deux pratiques, américaine ou soviétique, est cependant marquée : il n’y avait pas de commissaires politiques derrières les artistes américains…!
Pierre-Alain Lévy
Lu dans la presse étrangère. Descubrir El Arte (Espagne.)
Le guerre froide s’est aussi déroulée dans les musées où les USA et l’URSS s’affrontaient pour la suprématie culturelle. Picasso et le cubisme se languissaient à Paris tandis qu’un mouvement artistique, l’expressionnisme abstrait, faisait tout doucement son chemin à New York. La CIA toujours en quête d’analyses pour détecter les dynamiques de la société mit tout son talent pour promouvoir partout dans le monde les artistes appartenant à ce nouveau courant de peinture, cette avant garde qui venait de voir le jour aux Etats-Unis et faire de New York une nouvelle capitale artistique.
Il faut savoir de la fin des années quarante au début des années cinquante, une grande partie des américains considérait l’expressionnisme abstrait, les œuvres de Mark Rothko, William de Kooning ou Jackson Pollock, comme la manifestation d’un art dégénéré et subversif et parmi les plus en pointe contre ce courant artistique on trouvait, il fallait s’y attendre, le sénateur Macarthy ou le magnat de la presse William Randolph Hearst, qu’elle n’eût point été leur surprise s’ils avaient découvert qu’avec l’agent des contribuables l’agence américaine de renseignement nouvellement créée (1947), la CIA, promouvait en secret ces artistes tant aux Etats-Unis même qu’à l’étranger.
Il est tout à fait cocasse de remarquer que si la CIA a utilisé l’expressionnisme abstrait dans son bras de fer avec l’URSS sur le plan de la culture, ce même expressionnisme abstrait qui était devenu un des critiques les plus perspicaces sur l’art de son temps.
C’est ainsi que douze peintres et sculpteurs américains(1953) et le courant de la New American Painting (1957) furent promus par la CIA et firent le tour du monde annonçant ainsi la suprématie américaine, et cela sous les auspices des hommes de Langley au demeurant ! Cette offensive culturelle sans précédent avait pour objectif de présenter, hors circuit officiel, politique ou diplomatique un autre aspect de la société américaine constitué pour l’essentiel de marginaux et d’étrangers, et rendant ainsi compte de ce qu’était le monde libre.
Les stratèges de Washington avaient découvert peu de temps avant la fin de la seconde Guerre mondiale que la confrontation avec Moscou ne serait pas militaire, et ils furent encore plus renforcés dans cette conviction quand en 1948 l’URSS se dota de la bombe atomique. Il s’agissait bien de lutter sur tous les fronts inimaginables et aucun axe ne fut négligé par les deux grandes puissances.
Afficher sa culture était une façon astucieuse d’afficher son mode de vie tout en discréditant l’adversaire, et qui plus de récupérer ainsi les artistes et intellectuels indépendants pour soutenir cette vision. Mais cette stratégie avait ses limites et il convenait de mettre en place un stratagème plus subtil.
C’est ainsi que pour contrer l’influence soviétique, l’OSS (Office of Strategic Services) puis la CIA qui lui succéda, mirent en place un programme visant à soutenir clandestinement les intellectuels non conservateurs et des artistes engagés de gauche ou d’ex communistes parfois critiques du capitalisme comme George Orwell, et qui au demeurant avaient toujours catégoriquement rejeté le stalinisme.
C’était une façon astucieuse de procéder, car non seulement ces personnalités n’exprimaient point en public ou en privé le point de vue de Washington, mais surtout elles s’exprimaient comme chefs de file dans le domaine artistique au cœur du bloc capitaliste tout en dénonçant le totalitarisme soviétique, ce qui était avant tout le but premier de l’opération. La CIA a donc ainsi infiltré toutes les disciplines culturelles, en particulier la philosophie, la littérature, la musique et la peinture…
Tom Braden, l’agent de la CIA qui a mis en place toute la stratégie et coordonné toute l’opération en rend ainsi compte : « Il fallait montrer les réalisations de la culture américaine et notamment saper les stéréotypes négatifs qui prévalaient en Europe et tout particulièrement en France dont les élites moquaient la stérilité culturelle des USA . »
Dans ce contexte, Jackson Pollock apparu très rapidement comme le modèle archétypal de la quintessence américaine à savoir un américain authentique né au Wyoming, un fermier qui plus est, un peu frustre et rude, qui exprimait à travers son art une forme radicale de la peinture.
Julio MARTÍN ALARCÓN
Traduction et adaptation WUKALI.
Illustration de l’entête: Pollock dans son atelier pendant une séance de « dripping ».
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