About Syria and chemical attacks with sarin gas. « Whose sarin » asks Seymour M. Hersh


AGORA

La chronique de Pierre-Alain LÉVY


Presse, information, pouvoirs, contre-pouvoirs, ces termes servent souvent dans le domaine de la sociologie politique à cerner l’idée même de la démocratie et à définir son champ d’application, son étendue, ses limites et ses interférences. Voilà bien longtemps et depuis Machiavel que l’on sait le cynisme dont s’entoure la politique et le gouvernement des hommes, et le coeur des débats sur la chose publique, son explicitation, son décryptage, sa pédagogie comme sa propédeutique sont toujours entachés d’imprécisions, de zones d’ombre, d’ignorance souvent ou d’inadaptation fréquente parfois.

La mise en forme de l’information plus que jamais aujourd’hui magnifiée par les systèmes de communication nés de l’internet a largement parasité les réflexions sur ses conditions d’origine. La diffusion de l’information vers le plus grand nombre combinée à la vitesse cybernétique de sa transmission, la bataille des médias pour conquérir le plus vaste lectorat possible et de ce fait gagner des parts de marché (distribution, droits d’auteur comme droits d’image, marché publicitaire), le manque de recul nécessaire pour valider ou au contraire invalider le flux intarissable de dépêches de presse ou de communiqués de toutes sortes diffusés par des organismes privés ou des agences gouvernementales officielles ou non ont paradoxalement nui à l’exigence de clarté qui théoriquement et un peu vite définirait la démocratie.

Les événements politiques ou plus exactement historiques du siècle écoulé contribueraient au contraire à mettre en relief moins le terme information que celui infiniment plus dangereux de désinformation. Sans remonter au vieilles lunes comme le retour de Daladier de Munich arrivant au Bourget ou pire encore celui de cet inepte Chamberlain à Londres, la prestation que chacun conserve en mémoire de Colin Powell à l’Onu sur les pseudo armes de destruction massive irakiennes pour justifier d’une opération militaire servent de toiles de fond, de modèles ( mais est-ce-bien le bon mot?) à cette désinformation, science devenue, qui fait aujourd’hui office de pont aux ânes pour séduire l’opinion. Cette dernière, autre paradoxe, s’étant faite bien plus malléable et poreuse. On aurait pu penser le contraire du fait de la mise à disposition d’un corpus infini de documentation aisément accessible, mais faut-il au préalable non seulement savoir lire et écrire mais surtout opérer un choix, une qualification, une sélection et c’est bien là où le bât blesse, car pour se faire il faut déjà être éduqué et cela met à mal de nombreuses théories fumeuses rousseauistes et utopiques sur l’enseignement et l’apprentissage de ce nous nous plaisons à appeler joyeusement en France la citoyenneté !

Le tout dernier et parfait exemple en fait de désinformation donné au monde entier, car oui aussi étonnant que cela apparaisse à beaucoup notre monde est mondialisé (cela dit sans ironie ni moquerie, car de nombreuses têtes de ci de là n’ont à ce jour toujours point compris la toute nouvelle civilisation dans laquelle nous sommes dores et déjà entrés) c’est la guerre en Syrie et l’affaire du gaz sarin.

Rappelez-vous c’était il n’y a pas bien longtemps en aôut dernier, le 21 pour être précis, des images effroyables diffusées sur You Tube puis relayées par les média internationaux montrent les souffrances atroces de populations, hommes, femmes, enfants en grand nombre, emportés dans la mort par une attaque au gaz dans la banlieue de Damas. C’est insupportable, abominable, monstrueux, toutes ces victimes surprises et figées dans la mort. Les survivants portent des séquelles pathologiques, et très rapidement on parle du gaz sarin. Les services de renseignement cherchent à déterminer qui se trouve derrière ce crime et quasi simultanément est montré du doigt Assad et son armée bien que celui ci nie immédiatement toutes ces accusations. Il est vrai que le personnage pour le moins ne dégage pas naturellement une sympathie évidente, en tous cas en occident, et l’on a tous en mémoire les sinistres opérations criminelles et les attentats montés par ses services et ses sbires au Liban. Des bruits de botte se font entendre et des menaces d’opérations militaires sont dans les airs. Les grandes puissances s’affrontent par chancelleries interposées pour envisager des mesures offensives contre le régime syrien, les chefs d’état montent en ligne, Hollande, Obama, Poutine se disputent diplomatiquement. Pendant ce temps, on tue, on mitraille, on bombarde, on égorge, on viole, c’est la routine de la mort en Syrie. Mais qui est « on »?

Les djihaddistes européens affluent en Syrie où sunnites, alaouites, chiites se combattent allègrement, et au sein même de ces familles spirituelles, de ces fractions, de ces dissidences, les scissions politiques font rage, les rivalités s’exacerbent, les clans rivaux et les groupes armés se multiplient, y retrouver son latin ou plus exactement son arabe littéraire dans ce chaudron infernal est rien moins que difficile. Les puissances régionales ou qui se voudraient comme telles, se combattent par milices ou trafics interposés: Iran et son allié libanais le Hesbollah, Arabie saoudite,Turquie, Irak, Quatar. Les mots semblent avoir perdu leur sens, les extrémismes se côtoient et s’affrontent pour le paradis d’Allah (enfin c’est ce qu’ils disent!) La grande mosquée d’Alep ( voir les nombreux articles de Wukali sur ce sujet, cf.recherche : Syrie) est vandalisée, bombardée et son minaret détruit par les Djihhadistes (une video diffusée sur You Tube et que nous avons visionnée l’atteste où l’on voit et entend les combattants d’Allah crier «Allah akbar» quand une roquette qu’ils viennent de tirer fracasse ce monument magnifique, patrimoine de l’humanité).

Le gaz sarin a tué en Syrie cela est certain, dès la diffusion de la nouvelle informations et démentis se succèdent à vive allure, chaque jour des images affluent plus insupportables les unes que les autres, des inspecteurs des Nations-Unies arrivent à Damas pour effectuer des contrôles, Assad est toujours montré du doigt, mais cependant l’on peut entendre dans certains milieux et dans certaines presses des mises en doute sur sa responsabilité.

Très rapidement Assad fait profil bas et accepte le démantèlement de ses unités de production et la destruction de ses stocks toxiques. Des questions continuent à se poser sur ce bombardement chimique, des noms circulent, l’écheveau syrien est inextricable et il est pour le moins bien compliqué de s’y repérer. En septembre, dans un entretien avec la radio suisse Carla da Ponte, ancienne procureur général dur TPI fait savoir que les rebelles syriens ont déjà dans des attaques fait usage du gaz sarin. On apprend par ailleurs les tentatives de ces mêmes rebelles pour se procurer du gaz sarin en Turquie

Des journalistes fiers du métier qu’ils exercent cherchent à comprendre, à recouper les sources, tracer les genèses des informations données, en déterminer avec précision l’origine, trouver les documents explicites et les responsables, c’est ce que vient de faire dans la presse anglaise Seymour M. Hersh qui dans The London Review of Books a écrit un article retentissant intitulé  » Whose sarin » ( il est à qui ce sarin). L’article est très long, documenté et passionnant ( nous le mettons en ligne, si vous possédez l’anglais il vous suffit de cliquer sur le nom du magazine anglais, disposerions-nous de plus de temps et serions-nous plus nombreux dans notre plus que modeste rédaction nous vous l’aurions traduit) certes il ne se lit pas très facilement mais il a l’énorme avantage de déterminer un calendrier, une énumération de faits, de rapports et d’analyses provenant de multiples sources de renseignement qui incriminent dans cette attaque au gaz le groupe islamiste al-Nusra, un de ceux faut-il le rappeler qui prône la charria.

Dans ce nid de frelons syriens où se côtoient tous les protagonistes et laudateurs de l’islamisme radical et du Djihad tout est possible. Le travail de recherche considérable conduit par Seymour M. Hersh laisse à penser que l’objectif recherché à travers ce bombardement monstrueux était de conduire les gouvernements occidentaux et particulièrement américain, à ordonner des frappes ciblées, à intervenir militairement, à décapiter le pouvoir d’Assad et son armée, laissant ainsi le champ libre à la folie islamiste, sa soif de pouvoir et ses extrémités de conquête. Il fallait pour cela provoquer l’écoeurement maximum, le rejet absolu, notamment par une politique d’image, refaire le coup de l’incendie du Reichstag pour provoquer l’opinion.

Information, Désinformation vous avez dit ? Tout cela est sensible. Notre système d’information ou tout du moins les mécanismes qui l’actionnent fonctionnent sur l’affect, le sentiment, et ne s’embarrassent pas d’analyses approfondies, d’introspections scientifiques dans le sens intellectuel du terme, cela d’ailleurs constitue une des fragilités de nos systèmes démocratiques. Montrer des images insupportables de petits enfants morts, tués par inhalation de gaz toxiques est à juste titre insupportable, une abomination, une barbarie sans nom et pourtant…

Parfois les réactions épidermiques et premières des individus à un événement peuvent servir de levier pour peser sur des décisions politiques et pousser les dirigeants à épouser la vox populi sans que cela ne soit forcément juste. Le cynisme en politique n’est pas nouveau et dans ce registre que constituent les politiques proches-orientales, les leaders de tous poils et de tous keffieh qui ont manipulé leur opinion sont légion. Le travail conduit par Seymour M. Hersh est remarquable, espérons qu’il soit attentivement analysé et étudié et non seulement serve d’exemple dans les écoles de journalisme mais diffusé bien au delà des cercles restreints de la politique étrangère et de la diplomatie.

Dans le maelström syrien la force de la violence et de la haine deviennent irrépressibles et s’effritent tous les encadrements moraux qui définissent un tant soit peu l’idée même d’humanité. Montent alors du fond de l’abîme les pestilences, les remugles méphitiques, les vomissures excrémentielles, le crime le plus atroce, celui de l’enfant, holocauste venu de la nuit des temps, des ténèbres et de la barbarie, une tache indélébile sur les monstres qui se croisent.

Après plus de cent vingt mille morts comptabilisés dans cette guerre arabo-musulmane avez vous observé dans nos villes, dans nos rues de grandes manifestations de foule, de pieux intellectuels auto-célébrés, se répandre pour fustiger le massacre et faire cesser le bain de sang? Non, vous n’avez comme moi rien vu, rien remarqué, bizarre non…?

Pierre-Alain Lévy


Lu dans la presse: Marianne

Syrie : Du gaz sarin dans l’arsenal djihadiste mais Obama s’est tu!

Pour mieux accuser Bachar al-Assad de l’attaque chimique du 21 août dernier dans la banlieue de Damas, l’administration américaine aurait caché que le Front al Nosra disposait de gaz sarin…

Le camp du bien contre le camp du mal dans la tragédie syrienne ? Cela fait longtemps que la réalité a balayé cette thèse lénifiante. S’il reste encore des Candide, les dernières révélations du journaliste américain Seymour Hersh vont mettre leur angélisme à rude épreuve. Des infos si sensibles qu’aucun journal de son pays n’a eu le cran de les publier !

C’est la London Review of Books, le magazine littéraire britannique, qui a accueilli l’enquête de Seymour Hersh, célébrissime aux Etats-Unis pour avoir dénoncé naguère le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam et, plus près de nous, le scandale des sévices infligés aux prisonniers irakiens dans la prison d’Abou Ghraib.

Selon ce scoopeur sans peur, l’administration Obama aurait délibérément caché les conclusions d’un rapport secret sur les capacités du Front Al Nosra, la milice des rebelles syriens djihadistes, à produire du gaz sarin. C’est un haut responsable de l’Agence chargée du renseignement militaire qui aurait réceptionné le document.

Un document très étayé qui citait les noms des petits chimistes préférés d’Al Nosra, dont un certain Ziyad Tarik Ahmed, ancien militaire irakien spécialiste des armes chimiques. Ces informations capitales précédaient de deux mois la fameuse attaque du 21 août dans la banlieue de Damas, imputée par (presque) la totalité des médias au régime de Bachar. Cette tragédie a failli entrainer une intervention internationale en Syrie, dont François Hollande s’est révélé l’un des plus chauds partisans tandis que Barack Obama opérait assez rapidement une volte-face spectaculaire.

Selon Seymour Hersh, Obama a « sélectionné » les renseignements qui lui avaient été transmis. Pas question de jeter l’opprobre sur le camp du bien, alias les révolutionnaires opposés au tyran. Pas question d’évoquer à l’époque la guerre qui opposait déjà les rebelles à d’autres rebelles, pas plus que les crimes de guerre commis par ces anges déjà très sanglants. Pourtant, des rapports alarmants sur les massacres de civils commis par les preux révoltés étaient déjà sortis dans les ONG et la première mention du gaz sarin aux mains d’Al Nosra remonte à la fin 2012 !

Les conclusions du document auquel se réfère le journaliste américain sont donc, non seulement plausibles, mais presque tardives. Le fait qu’elles aient été dissimulées par l’administration américaine, comme le soutient Hersh, constituerait donc un scandale d’Etat, aussi énorme qu’a pu l’être en son temps – février 2003- le mensonge de Bush et Colin Powell sur l’arsenal biologique de Saddam Hussein.

Tous les médias américains, tétanisés par ces accusations, se bouchent le nez. Rappelons qu’ils s’étaient tous alignés sur les mensonges bushistes à la veille de l’intervention en Irak. Seymour Hersh était seul alors. Comme aujourd’hui.

Martine Gozlan


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