Jardin touffu comme une clairière
Sur le rivage paresse l’éternelle chanson bruissante du
vent dans les feuillages des filaos
Coiffé d’un léger chapeau de rotin armé d’un grand
parasol de papier
Je contemple les jeux des mouettes et des cormorans
Ou j’examine une fleur
Ou quelque pierre
A chaque geste j’épouvante les écureuils et les rats
palmistes
Par la fenêtre ouverte je vois la coque allongée d’un steamer de moyen tonnage
Ancré à environ deux kilomètres de la côte et qu’entourent déjà les jonques les sampans et les barques chargés de fruits et de marchandises locales
Enfin le soleil se couche
L’air est d’une pureté cristalline
Les mêmes rossignols s’égosillent
Et les grandes chauves-souris vampires passent silen cieusement devant la lune sur leurs ailes de velours
Passe une jeune fille complètement nue
La tête couverte d’un de ces anciens casques qui font
aujourd’hui la joie des collectionneurs
Elle tient à la main un gros bouquet de fleurs pâles
et d’une pénétrante odeur qui rappelle à la fois la
tubéreuse et le narcisse
Elle s’arrête court devant la porte du jardin
Des mouches phosphorescentes sont venues se poser
sur la corne qui somme son casque et ajoutent encore
au fantastique de l’apparition
Rumeurs nocturnes
Branches mortes qui se cassent
Soupirs de bêtes en rut
Rampements
Bruissements d’insectes
Oiseaux au nid
Voix chuchotées
Les platanes géants sont gris pâle sous la lune
Du sommet de leur voûte retombent des lianes légères qu’une bouche invisible balance dans la brise
Les étoiles fondent comme du sucre
Blaise CENDRARS (1887-1961)