L’œuvre des frères Carrache, peintres bolonais, est l’une des plus spectaculaires de la Renaissance italienne après la chapelle Sixtine.
Au Palais Farnèse, qui abrite l’ambassade de France à Rome, une fresque de 132 m², chef-d’œuvre de la Renaissance, va être restaurée grâce au financement du Word Monuments Fund..
Les Carrache s’offrent une toilette. À Rome, cette semaine, un grand chantier s’ouvre au Palais Farnèse, qui abrite l’ambassade de France. Les experts se donnent un an pour nettoyer la fresque de 132 m², œuvre des frères Carrache, peintres bolonais. Dans la galerie qui porte leur nom, elle raconte les amours des dieux: c’est l’une des plus spectaculaires de la Renaissance italienne après la chapelle Sixtine. Il s’agit d’effacer les injures du temps, de réduire les fissures et les crevasses, de redonner vigueur aux clairs-obscurs, force aux perspectives, lumière aux «putti» et au panthéon mythologique plein d’énergie vitale.
Le joyeux triomphe de Bacchus et d’Ariane, au centre de la voûte, va retrouver son éclat. Les blessures sur la croupe de la licorne blanche seront guéries. Les stries et les balafres qui zèbrent le corps laiteux de Vénus, la peau tendre des chérubins, les têtes grimaçantes des faunes et les nus musculeux et charnels vont être gommées. «Il est très émouvant de s’attaquer à l’une des œuvres les plus emblématiques de cette époque. Il faudra la consolider et la restaurer en la respectant, en conservant son harmonie et la patine du temps», explique Bertrand du Vignaud, président du Word Monuments Fund en Europe qui financera le chantier (800.000 euros), sous la tutelle de la Surintendance aux musées de Rome et d’un comité scientifique réunissant les plus grands spécialistes italiens et français de la restauration.
C’est en 1600, au milieu de l’une des années saintes les plus prolifiques pour l’art, que les Carrache livrent ce chef-d’œuvre à son commanditaire, le cardinal Farnèse. Les peintres sont ébahis par tant de hardiesse dans la demeure d’un prélat. L’inauguration aura lieu l’année suivante, pour le mariage de Ranuccio Ier, frère du cardinal.
Étonnante composition
Trois ans avant, les peintres avaient remporté cette commande majestueuse. Avec le concours passager de leur cousin Ludovic, et dans un grand déploiement de couleurs et de drapés, Augustin et surtout Annibal Carrache avaient mis en scène une composition étonnante. S’inspirant de Raphaël, de Véronèse, du Dominiquin, du Caravage et, bien sûr, de Michel-Ange qui a achevé la chapelle Sixtine en 1541.
Cet ensemble de fresques aligné dans une galerie longue de 20 mètres, haute de près de 10 mètres située au premier étage du Palais Farnèse, a déjà subi de nombreuses restaurations. Les premières ont été l’œuvre de Carlo Maratta, un contemporain des Carrache. «Pas question de les retirer. Elles font partie de l’histoire de la fresque», affirme la surintendance italienne. D’autres, plus récentes et moins heureuses, seront effacées. Certaines ont été pour le moins malencontreuses. En 1938 et en 1944, on a perdu des «ajouts» faits de la main des Carrache, une fois la fresque terminée, des ombres mettant en valeur certains volumes ou certains fonds. De même qu’en 1971-1972, une plante peinte à sec par Annibal pour rééquilibrer un volume sur un rocher, dans une lunette représentant Persée et Méduse, a disparu. Dans un magnifique catalogue sur le Palais Farnèse, Silvia Ginzburg, historienne d’art spécialiste des Carrache, documente avec précision les manquements de ces restaurations passées.
C’est avec infiniment de tact et de doigté que les restaurateurs contemporains abordent ce chantier. «Nous serons très respectueux de l’histoire de la fresque», promet la surintendance.
Lu dans la Presse: Le Figaro. Richard Heuzé