Luc Bondy signs Tchekhov at the Odeon Theatre in Paris
Un nouveau talent, une nouvelle plume, un nouveau regard, un nouveau critique rejoint WUKALI, bienvenue à Ronan Ynard qui signe sa première chronique sur « Ivanov »de Tchékhov, mis en scène par Luc Bondy au Théâtre de l’Odéon .
Micha Lescot est décidément devenu la muse de Luc Bondy, inquiétant et troublant Lenny dans Le Retour puis virtuose Tartuffe dans la pièce éponyme, dans Ivanov, l’acteur incarne un héros ordinaire pour ne pas dire un anti-héros, désabusé, désillusionné, face à des personnages encore épris de passions. Un contraste qui se retrouve subtilement et très justement dans le jeu de tous les comédiens de cette nouvelle production du théâtre de l’Odéon.
Ivanov est une tragédie, une tragédie de personnages bas qui luttent pour se maintenir dans une noblesse de caractère, pour paraître dignes de la tragédie qui se joue. Mais à forcer l’illusion c’est une comédie pathétique qu’ils montrent, le spectateur ne s’y trompe pas, la confiture de groseille, les cigares, et le vin mousseux ne sont que de la poudre aux yeux. Luc Bondy réussit une mise en scène subtilement métathéâtrale. Dans une monumentale maison découpée à même le manteau d’Arlequin, les personnages vivent, ou du moins jouent à vivre. Mais sitôt qu’ils ont mis les pieds sur l’avant scène, sitôt qu’ils ne sont plus dans l’illusion, ils libèrent leur vraie nature, leurs pulsions, leurs vices. Ils deviennent eux mêmes spectateurs du pathétique en observant la scène depuis les petites banquettes situées au niveau des loges, censées accueillir de jeunes spectateurs en mal de notoriété.
Il est intéressant de voir à quel point Luc Bondy ne peut s’empêcher de dépasser le cadre de scène, comme si l’immense scène de l’Odéon ne lui suffisait pas, il concentre ses personnages sur ce proscenium, ici ils échappent aux lois du théâtre, si le rideau tombe, ce sera derrière eux, ils sont dans la salle, ils sont libres et ils s’adressent au spectateur qu’on oublie volontairement de plonger dans le noir, troublante sensation que d’écouter Ivanov nous parler dans une salle toute allumée, voir les autres spectateurs, le théâtre, être conscient que nous sommes au théâtre. Les personnages franchissent le quatrième mur, matérialisé par cette paroi en béton comme on en trouve dans des entrepôts, et ne jouent plus, ils s’exposent. Ivanov non plus ne joue pas, il attend patiemment collé contre ce faux rideau de fer, que tous les spectateurs se soient assis pour entrer dans la grande illusion de la vie.
Micha Lescot intériorise son jeu, retient ses mots, pour mieux exploser quand la situation devient insoutenable face à une Marina Hands digne jusqu’à la mort. Si toute la distribution, sans fausse note, participe de cette tension dramatique, Christiane Cohendy et Marie Vialle en caricatures de petites bourgeoises apportent humour et légèreté dans cette atmosphère pesante.
Luc Bondy a, d’une main de maître dirigé ce casting éblouissant dans le jeu et dans l’espace, mais, quid du décor de Richard Peduzzi, certes monumental, mais peu audacieux, sans grande inventivité, plus décoratif qu’utile. Fort heureusement il laisse aux acteurs une grande liberté pour nous livrer une performance bouleversante.
Ronan Ynard
Ivanov d’Anton Tchekhov.
Mise en scène Luc Bondy avec Marcel Bozonnet, Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Ariel Garcia Valdès, Laurent Grévill, Marina Hands, Yannik Landrein, Roch Leibovici, Micha Lescot, Chantal Neuwirth, Nicolas Peduzzi, Dimitri Radochévitch, Fred Ulysse, Marie Vialle, et, en alternance, les musiciens Philippe Borecek (accordéon) – Philippe Arestan (violon) et Sven Riondet (accordéon) – Alain Petit (violon), et les invités Coco Koënig, Quentin Laugier, Missia Piccoli, Antoine Quintard, Victoria Sitjà
Illustration de l’entête: Luc Bondy
WUKALI 30/01/2015