With Hergé, Tintin’s creator, in Brussels


1953,1954? Suite à un début de pleurésie, je fus expédié dans un aérium du Morvan. J’avais donc quitté le cours préparatoire de l’école primaire au bout de trois mois…Sans savoir lire vraiment…Revenu au bout d’un an, je me jetais sur les bandes dessinées pour rattraper mon handicap. Ce monde inconnu me faisait rêver…Persévérant dans ce domaine, j’eus l’opportunité, une dizaine d’années plus tard, d’aller à Bruxelles dans le but, bien précis, de découvrir ce qu’était réellement cet univers.

Pourquoi à Bruxelles? Parce que les journaux, les éditeurs de BD, les dessinateurs de ce temps-là, étaient, essentiellement, belges.

Suprême cadeau du destin, j’eus la chance, incommensurable, de rencontrer les créateurs de l’époque qui devinrent partie intégrante de ma vie. Je les ai tous connus: Franquin, Hergé, Roba, Macherot, Peyo, Jacques Martin, Maurice Tillieux, Jacobs etc…

Olécio partenaire de Wukali

Voici comment tout a commencé…

J.T


Un jour, en compagnie de François Rivière, aujourd’hui écrivain reconnu, rencontré vers 1966 à la librairie Dupuis, située à l’angle de la rue Saint-Jacques et du Boulevard Saint-Germain, un rendez-vous fut organisé avec Jacques Martin à Bruxelles; le créateur d’Alix et de Lefranc travaillait au Studio Hergé. Plus tard, il le revit seul au 162 avenue Louise, sanctuaire mythique où officiait le « Pape de la bande dessinée ».

C’était une fin d’après-midi d’hiver, la nuit était tombée. Ce n’est pas sans appréhension, voire sans angoisse, qu’il s’y rendit. Le hall d’entrée était vide. Au fond était l’ascenseur. Il l’appela. Quelques secondes s’écoulèrent qui lui parurent durer un siècle. La porte s’ouvrit enfin. Il lut «Studio Hergé»

au deuxième étage. Il appuya sur le bouton, « alea jacta est » pensa le  » César moderne au tout petit pied ».

Quelle ne fut pas sa surprise quand les portes s’ouvrirent: devant ses yeux incrédules, il vit une double patère portant les chapeaux et les cannes des Dupont-Dupond, un grand totem représentant le chevalier de Haddoque, ancêtre du capitaine ami de Tintin (Le Trésor de Rackham le rouge)et, dans une vitrine de côté, les modèles réduits des diverses voitures utilisées par l’infatigable reporter. C’était fascinant. Une jeune et jolie femme vint lui ouvrir. Martin lui expliqua la topographie des lieux. Un couloir de circulation desservait sur la gauche le local du Baron Van Der Branden, l’atelier de Martin et le grand bureau ovale d’Hergé. A droite, on trouvait les coloristes et Bob de Moor, toute l’équipe au complet.

Il revint voir Martin assez régulièrement mais il était hypnotisé par le bureau du patron.
Il se demandait comment arriver jusque chez Dieu le père.

La solution lui apparut soudain, telle une révélation divine: trouver un exemplaire de « Tintin au pays des soviets » et le faire dédicacer par le maître. Ce n’était pas une mince affaire: c’était la BD la plus rare et la plus chère. Cela prit du temps mais il finit par réussir dans cette entreprise. L’incunable était en mauvais état: la tranche avait quasiment disparue mais le prix était accessible et il s’en empara. il le fit restaurer à Paris avant de demander à Martin de lui organiser un rendez-vous avec « qui-vous-savez« .

Un samedi matin de printemps, son exemplaire sous le bras,il se dirigea gaiement vers l’avenue Louise. Le monde était son royaume. Un peu de timidité tout de même: ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un « être de lumière »!

Martin lui ouvrit la porte, lui demandant d’entrer du côté de l’atelier des coloristes et ouvrit un très long et très étroit meuble rempli de tiroirs contenant la quasi-totalité des planches originales des aventures de Tintin. Un vrai miracle aux yeux du fan époustouflé. Martin ajouta qu’Hergé serait présent d’ici quelques minutes, que lui devait partir mais qu’il le laissait en bonne compagnie puisqu’il pouvait contempler l’œuvre de Dieu!|left>

Quel éblouissement ressenti! Une seule comparaison lui paraissait possible: Edmond Dantès découvrant la fortune des Spada au fond d’une grotte de l‘île de Monte-Cristo…

Il osa à peine manipuler ces reliques, le faisant avec un zèle religieux. Il s’agissait de grandes planches originales, d’un format inhabituel par rapport à ce qu’il connaissait. Le support était différent, plus léger, plus souple. Il se mit à rêver, passant un long moment dans un univers parallèle. La notion de temps disparue et ses coordonnées temporelles devinrent aléatoires comme disent les physiciens quantiques.

Enfin un bruit de pas résonna dans le couloir et un homme de taille moyenne apparut. Il devait avoir la soixantaine, portait un magnifique pull bleu et une superbe écharpe rouge. Il était bronzé, souriant, lui tendit la main. Il était ouvert, amical, amusé. Le jeune homme se dressa, mû comme par un ressort. Son heure de gloire arrivait. C’était l’instant de son triomphe. Celui pour lequel il s’était tant battu et tant préparé. La conversation s’engagea avec aisance par l’attitude sympathique du talentueux créateur qui l’interrogea:

-Où l’avez-vous trouvé? Combien l’avez-vous payé? Vous êtes collectionneur?

Lui répondait avec empressement et précisions. Il lui avoua qu’il n’avait vu que ce moyen pour le rencontrer.

-Mais non voyons, vous n’aviez qu’à me demander une entrevue! s’écria Hergé.

Le jeune homme fut séduit par la simplicité du créateur. Il se promit de recontacter le Titan de la bande dessinée qui lui faisait face…Il le fit quelquefois..

Jacques Tcharny


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WUKALI

08/06/2015

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Illustration de l’entête: Le Lotus bleu


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