Introspection and analysis through Leonardo da Vinci’s paintings
La Madone Litta
Cette oeuvre (42 cm x 33cm) fait partie de la collection italienne du Musée de l’Ermitage de Saint Petersbourg. Huile sur panneau transposée sur toile, en très mauvais état. Deux baies, ouvertes chacune sur le classique paysage montagneux si cher à l’artiste, encadrent la figure de la Vierge.
Le corps et le visage de Marie sont vus de trois-quarts. L’Enfant est quasiment de profil. La Madone donne le sein à son Fils qui tête avec bonheur et véhémence. Le visage de la Vierge est lumineux, irradiant une douceur apaisante. Cette scène est charmante. Dans son immense candeur, le regard étonné du petit Jésus s’attarde sur le spectateur devenu témoin de cette scène de tendresse.
La figure de Marie aux yeux baissés, aux paupières supérieures légèrement proéminentes, au nez droit, aux lèvres étroites, au menton arrondi et aux joues lisses, n’est préoccupée que de son Enfant qui est un bon gros bébé dodu et potelé. Les deux mains portent le petit Jésus. Lui a des cheveux broussailleux. Il nous observe de son œil rond. Il agite pieds et jambes tandis que ses mains saisissent le sein de sa mère, sa source de vie.
La monumentalité domine le tableau : Mère et Fils dégagent une telle densité volumétrique que l’on peut les qualifier de sculptures peintes.
Le rythme de la composition est très enlevé par les alternances des lumières et des ombres sur le visage de Marie. La figure de la Madone est bien détachée sur le fond comme le prouve le débordement de son dos sur la baie ouverte de droite. Le modelé est précis car la peinture colle au dessin sous-jacent. La puissance expressive des couleurs est nette comme l’indique le vêtement bleu-roi de Marie. L’œuvre est bien structurée, agréable à voir.
Les points les plus forts de cette composition sont l’aspect fusionnel de la Mère et de l’Enfant, la densité volumétrique devenant prise de possession de l’espace et la pupille de l’œil droit de Jésus interpellant le spectateur avec naïveté.
En comparant avec le petit panneau de Parme, la Tête de jeune fille échevelée dont nous allons parler, on trouve les mêmes couleurs nettes et un peu lourdes, la même monumentalité, le même angle d’inclinaison de la tête sur le cou, les mêmes ombres portées, les mêmes paupières supérieures légèrement proéminentes.
La puissance du dessin sous-jacent, la monumentalité expressive, la haute qualité technique sont d’aspect léonardien, pas la lumière trop descriptive, trop analytique, trop matérielle.
On peut conclure que la peinture a été achevée par un membre de l’atelier. Ce qui se voit dans les couches picturales finales. De qui peut-il s’agir ?
Au musée Poldi-Pezzoli de Milan est conservée la peinture la plus connue de Giovanni Antonio Boltraffio (1485-1490). Cet élève du maître, doué d’un vrai talent, est le meilleur des disciples. La peinture en question est une Vierge à l’Enfant d’une grande douceur, comme peinte dans l’émail. Elle est d’un raffinement particulier.
Comparons avec la Madone Litta : la réalisation technique montre les mêmes empâtements, la même tendance sculpturale et la même matérialité de la touche, qui est l’écriture du peintre.
On peut donc raisonnablement penser à une participation de Boltraffio dans les finitions, parties secondaires et couches picturales finales de cette madone.
Tête de jeune fille échevelée
, il montre l’apparition d’un visage dans une atmosphère primordiale indéfinie.
La très grande finesse du dessin inachevé saute aux yeux. Le front haut, le nez droit, la bouche aux lèvres marquées, le menton arrondi, sont bien traités. Les paupières supérieures sont légèrement proéminentes. Des ombres portées apparaissent entre la narine gauche et la lèvre inférieure. Cheveux, cou, épaules sont à peine ébauchés. La profondeur de l’espace, l’inclinaison de la tête à 45° sont savamment calculées. La lumière qui éclaire le visage est violente, brutale, crue. La solidité du dessin sous-jacent est impressionnante. Sur cette assise, la peinture prend forme. Elle est d’une haute qualité mais l’œuvre apparaît matérielle et manque de cette spiritualité induite si chère à Léonard, de cette lumière qui transcende le sujet.
Le meilleur rapprochement à faire, c’est avec la Madone Litta, datant à peu près de la même époque. On y trouve les mêmes couleurs franches un peu lourdes, la même monumentalité affirmée, les mêmes ombres portées, le même angle d’inclinaison de la tête sur le cou (45°). La parenté est certaine. Le détail des paupières supérieures proéminentes emporte la décision.
Dans ce tableau comme dans la Madone Litta, le dessin, l’idée, la mise en scène, les premières couches picturales sont de Léonard.
Les finitions sont de l’atelier, sans doute de Boltraffio comme le prouvent les détails décrits antérieurement. La comparaison avec la Madone à l’Enfant du musée Poldi-Pezzoli de Milan, la plus célèbre œuvre de ce disciple de Léonard, est concluante en montrant le même aspect « travail de l’émail ».
Ceci indique bien la proximité du Vinci avec ses élèves à la cour de Ludovic le More : il échangeait beaucoup avec eux, rien n’était figé.
Jacques Tcharny
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WUKALI 08/06/2015
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