Translated in English by « The Measure of a man», distinguished and nominated during the last Cannes Festival, this French movie should also know a great success in America


La loi du Marché, sorti le 14 Mai 2015, le dernier long-métrage de Stéphane Brizé, également réalisateur de Quelques heures de Printemps et de Mademoiselle Chambon, cartonne dans les salles, et c’est amplement mérité. Vincent Lindon a reçu au Festival de Cannes un prix d’interprétation pour un rôle qui n’a pourtant rien de glamour ou d’extraordinaire.

Le récit suit l’histoire de Thierry, un homme tombé au chômage qui tente de retrouver un emploi. L’homme se tait, encaisse les coups un à un : rendez-vous humiliants à Pôle Emploi, mépris grossier des recruteurs, manque de tact et retournement de vestes de la banquière. Il décroche un job de surveillant dans un supermarché. Le viré, le spolié, doit désormais prendre en charge lui-même le licenciement indirect de ses collègues caissières, et la sanction de voleurs dont la situation économique est semblable à celle qu’il connut. Au bout l’attend un dilemme moral : rejoindre les rouages d’une machine économique qui écrase les individus, et qui avait failli même le broyer, ou démissionner.

Les personnages sont construits tout en finesse, et lorsque le réalisateur tombe dans la caricature, c’est pour faire rire plutôt que pour condamner bêtement, enchaînant discrètement, sans lourdeur, les comiques de situation. Les caissières sont factuellement coupables, mais on apprend leurs situations financières difficiles ; les personnages du monde de l’argent ou de la gestion , la banquière, le chef d’entreprise, le personnel de l’A.N.P.E font preuve d’un manque d’humanité, mais la gestion comptable qu’on leur demande de respecter ne l’est pas non plus. L’auteur dénonce les échecs d’une société et d’un système économique capable de fournir à tous de quoi vivre dans la dignité, sans émettre directement des jugement prétentieux. Le film ne tombe jamais dans un pathos mielleux, et c’est sa force : l’ajout d’un fils handicapé, alors même que les problèmes subis par le personnage principal sont déjà bien conséquents ne fait même pas tomber le scénario dans un pathos lourdingue.

Olécio partenaire de Wukali

Derrière une volonté affichée de coller à une réalité sociale et économique, les effets visuels sont présents, sans fard, sans arrogance, de façon discrète et agréable. Lignes de composition discrètes, plans épaules et plans poitrines qui rendent compte de l’expression d’un personnage – sans pour autant rentrer complètement dans son intimité – mise en scène des corps à travers la danse, flous légers en arrière plan et plans épaules qui autorisent la caméra à mettre en valeur le jeu de Lindon, plans fixes qui accentuent l’incompréhension entre les personnages à qui l’on ne demande pas vraiment de se comprendre, mise en abîme de la caméra pertinente à travers le poste de vigile : l’art est bien présent, mais sans lourdeur et pédanterie aucune. La brutalité de la vie filmée n’empêche pas la délicatesse de la caméra et le raffinement de la composition.

Sur le plan du jeu, Vincent Lindon parvient à rendre compte de la dureté d’une société en crise économiquement, sans tomber dans un pathos à faire pleurer dans les chaumières : c’est le respect et la compassion qu’il suscite, non des larmes béates. Une partie des acteurs ne sont pas des professionnels et jouent leur propre rôle, évitant un casting excessif : Lindon prend toute la place et rajouter d’autres acteurs célèbres aurait peut-être diminuée la touche réaliste du film. Le film s’inscrit avec succès dans le la droite ligne du cinéma italien et d’auteurs-réalisateurs français très talentueux, dont Abellatif Kechiche, Céline Sciamma ou Marie Amachoukeli, qui prennent à bras le corps les problèmes de la société contemporaine.

Ambroise A. Evano


La Loi du Marché. Réalisation Stéphane Brizé avec : Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck. Film français. Prix d’interpétation masculine attribué à Vincent Lindon au Festival de Cannes 2015.


WUKALI 09/06/2015
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