Pierre Arditi, a popular award-winning French film and stage actor


Une carrière bien remplie, une soixantaine de films, des pièces de théâtre, des séries télévisées, deux Césars, quatre Molières, un Sept d’Or Pierre Arditi semblerait ne plus rien avoir à prouver.

Il est surbooké, ce marathonien passionné de théâtre et de cinéma, pourtant il reste à l’écoute des autres, disponible. C’est merveilleux de voir avec quel appétit il s’empare des projets, accumule les rôles, se laisse guider par le désir et l’émotion pour parler de son métier ou d’une cause à défendre ; il prend parti, il s’engage. Arditi est comme ça dans la vie, il ne la regarde pas passer, il en est l’acteur. On l’écoute et que l’on partage ou pas son discours, force est de reconnaître qu’il ne manque pas d’éloquence et d’élégance. Doué pour la comédie comme pour le drame, pour le théâtre de boulevard comme pour les classiques du répertoire, ce Gentleman des mots à l’humour malicieux est sans contexte l’un des acteurs les plus aimés… de la gente féminine, déjà… Et les hommes ne semblent pas trop lui en vouloir. Son parcours témoigne de ses forces et de ses fragilités, et c’est cela aussi qui le rend attachant pour tous.

L’acteur nous a parlé de sa carrière, de ses projets à l’occasion de « Mensonge », une pièce de Florian Zeller. Jusqu’au 3 janvier 2016 au Théâtre Edouard 7 à Paris.

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– Après « La Vérité », « Le Mensonge » de Florian Zeller. Mise en scène par Bernard Murat, qu’est-ce qui vous a séduit dans cette pièce ?

Ce qui m’a séduit c’est l’originalité de l’écriture de Florian Zeller et l’originalité des ses thèmes. Il possède une palette très large comme auteur dramatique. Il peut aussi bien l’appliquer dans la comédie que dans un registre beaucoup plus grave. Comme « Le père » ou « La Mère », même si là, avec cette pièce, on n’est plus tout à fait dans la comédie. « Le Mensonge » est une variante de « La Vérité ». Quand je jouais « La Vérité », tout le monde me disait que j’étais dans le mensonge. Maintenant que je joue « Le Mensonge », on va surement me demander si je ne dis pas « La Vérité » ! A un moment donné, ça devient trouble. C’est quoi la vérité ? C’est quoi le mensonge ? À quel moment les choses prononcées sont une réalité ou au contraire, totalement provoquées, imaginées, déformées. J’aime beaucoup faire des choses qui ont l’air d’être d’une certaine manière, mais qui, en fait, masquent quelque chose d’autre. C’est ce que j’aime chez Zeller. On est pris par une sorte de vertige du rapport à l’autre.

– Evelyne Bouix est à vos côtés. Ce n’est pas la première fois que vous partagez l’affiche d’une pièce avec votre épouse. Quels effets cela fait il ? Cela vous aide t il ?

On avait envie de s’amuser à se trouver confrontés à cette jolie mécanique qui semble parfaitement huilée, mais qui en réalité va se détraquer complètement. C’est amusant pour nous de nous retrouver à l’intérieur de tout ça, car il est beaucoup question de rapports de couple. C’était encore l’occasion de nous retrouver sur scène ensemble, ce qui n’était pas arrivé depuis un petit moment. Que cela nous aide ou ne nous aide pas ? Je dirais que c’est un mélange des deux ; certaines choses nous aident, d’autres pas. Car il est beaucoup plus difficile de surprendre l’autre, puisque l’on vit ensemble. En même temps, lorsque l’on partage un certain nombre de complicités, forcément, cela simplifie les choses. C’est un mélange, un mélange pervers !

Vous avez dit un jour : « Je suis un menteur professionnel ! »

Oui, je suis un menteur professionnel ! Mon métier c’est de faire du théâtre et au théâtre, c’est le mensonge qui dit la vérité. Et mon métier effectivement, c’est de faire croire à des choses qui souvent n’existent pas. C’est à moi de les rendre crédibles. Dans la vie, je pense que je suis plutôt un homme sincère et j’espère, simple.

– Alain Resnais, Podalydès, Rappeneau, Lelouch, Marcel Maréchal, Jean Michel Ribes, Bernard Murat… et j’en oublie. Travailler avec des amis, c’est très important ?

C’est l’essence même de l’existence. Elle est faite de rencontres. Il y en a qui vous marquent, d’autres qui ne vous marquent pas, certaines vous attachent, d’autres vous détachent. Les gens dont vous parlez, et il y en a d’autres d’ailleurs, font partie de ma vie et au bout d’un moment cela crée une sorte de cercle… C’est rassurant de travailler avec des gens que l’on connaît, on est en pays de connaissance, donc c’est moins difficile. Cependant, il faut parfois aller vers des gens qui ne vous connaissent pas et qui ne vous demanderont pas forcément de faire la même chose.

– 50 ans de vie artistique, et on a l’impression que vous n’êtes pas homme à être rassasié. L’envie est toujours là ?

Si l’envie n’était pas là je ne le ferais plus. On ne fait pas les choses sans envie. Ça n’existe pas ! C’est ma vie. Quand on avance dans le temps, quand on vieillit, on se rend bien compte que tout cela n’est pas éternel. Il me reste beaucoup moins de choses à vivre que je n’en ai déjà vécues. On a alors tendance à brûler la corde par les deux bouts. On se dit que l’on n’a pas le temps d’économiser quoi que ce soit sinon on risque de ne pas faire tout ce que l’on a envie de faire, ou ce à quoi on est vraiment confronté. Je vois bien qu’un certain nombre de choses, à moment donné cesseront. Je ne suis pas une exception. C’est comme cela pour tout le monde. Quand j’avais 25 ans, 30 ou 40 ans, je ne m’en rendais pas compte mais maintenant, je suis bien obligé de regarder cela en face! Cela modifie un certain nombre de comportements. Cela maintient jeune aussi…
En tout cas, cela permet d’être vivant, ça c’est sûr! C’est aussi un moyen de me maintenir en forme, c’est important.

– Quels sont vos projets ?

Pour le moment, il s’agit des pré-représentations de la pièce « Le Mensonge ». Nous serons à Aix-en-Provence pour une semaine, puis nous jouerons à Antibes. Nous arrêtons un temps la pièce, jusqu’à sa création au théâtre Édouard VII à Paris. Il y a actuellement dans ce théâtre un spectacle qui marche très bien et qui est prolongé ; nous avons donc accepté de décaler la création du Mensonge à septembre. Entre-temps je vais jouer une autre pièce plus courte, « Pour en finir avec la question juive » avec Daniel Russo. Je vais également tourner un film pour le cinéma, d’après un livre d’Amanda Sthers, « Les Terres Saintes ». J’espère que le tournage se fera en Israël, parce que la situation est actuellement compliquée là-bas. Pour finir, je vais tourner quatre épisodes « Du sang de la vigne ».

– Êtes-vous sensible aux mauvaises critiques ?

Dans mon métier, heureusement ou malheureusement, on est soumis à la critique. Il est plus agréable d’en lire de bonnes que d’en lire des mauvaises. Assez curieusement d’ailleurs, une bonne critique vous fait plaisir cinq minutes, une mauvaise vous embête pendant des mois ! Je ne dis pas que je ne les lis pas, je ne dis pas que cela ne me touche pas, ça me touche puisqu’il s’agit de mon métier. Je préfère plaire, évidemment.

– Vous avez toujours exprimé vos idées, notamment en politique, et d’aucuns vous l’auront reproché. Que répondez vous à ceux-là ?

Chacun fait comme il veut. Je revendique le droit d’avoir des opinions, je revendique aussi le droit de les exprimer si on me les demande. Et de toute ma vie, je n’ai jamais, au grand jamais, invité les gens à penser comme moi. Ils font comme ils veulent, et moi aussi je fais comme je veux. Je suis un homme libre, avec une parole relativement libre, et je n’oblige personne à penser de la même manière que moi. Ce n’est pas parce que je suis un acteur que je ne suis pas un citoyen. Ce serait désagréable et désobligeant d’expliquer aux autres que ce sont des imbéciles parce qu’ils ne pensent pas comme moi et je ne l’ai jamais fait. Et je crois que c’est aussi pour cela que les gens m’aiment bien. Ils respectent mes idées même s’ils ne pensent pas comme moi.

– Drame ou humour. Vers quel registre iriez vous le plus facilement ?

Je vais le plus facilement vers ce qui m’amuse, ce qui m’intéresse. Mon seul plan de carrière, c’est mon désir. Si c’est une comédie et qu’elle est formidablement faite, je vais plutôt là, et s’il s agit de textes plus noirs, plus sombres, plus puissants ou plus profonds, j’y vais aussi. Mais je ne vais pas forcément rechercher n’importe quel rire ou n’importe quel propos soi-disant important et qui serait un propos prétentieux. Je crois que c’est Paul Meurisse qui disait cette phrase que j’aime beaucoup et que j’ai fait mienne : « Dans ce métier il n’y a pas de règles, et il faut les connaître« . C’est une belle phrase.

– Selon vous, la comédie est-elle un genre toujours méprisé par l’intelligentsia ?

Il y a toujours un fond de condescendance… C’est plus noble de faire pleurer que de faire rire et pourtant, c’est beaucoup plus facile de faire pleurer que de faire rire. C’est leur problème, mais le public lui, ne s’y trompe pas. Jusqu’à preuve du contraire, il a aussi besoin de s’aérer, de se détendre, de respirer, de s’amuser et d’oublier très momentanément ce que la vie peut lui faire subir quand elle n’est pas facile pour lui. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas se préoccuper d’un autre théâtre qui serait plus interrogeant, plus … profond – encore que, tout comme Paul Valéry, je n’aime pas trop ce mot ; il m’énerve ! – Disons un théâtre qui aurait d’autres finalités. Il y a cette phrase de Laurent Terzieff que j’aime beaucoup:
« Le théâtre n’est pas ceci ou cela. Le théâtre est ceci et cela. »

– Êtes-vous un acteur confiant ?

J’ai tout de même un peu de confiance en moi, parce que si je n’en avais pas je ne pourrais pas rentrer en scène ! Mais il ne faut pas être trop confiant. C’est bien d’avoir un peu d’estime de soi, sinon on ne peut plus rien produire. Si c’est pour se dire «Je suis nouille, je suis nul et je vais embêter les gens» , ce n’est pas la peine de monter sur scène. Toute modestie mise à la poubelle, maintenant que je rentre dans ma 50e année de théâtre, je me dis que si je suis arrivé là où j’en suis, théâtralement parlant, c’est qu’à un moment donné il devait bien y avoir vaguement quelque chose qui pouvait toucher les autres! Je ne peux pas me le nier. Je me le reconnais, et pour le reste, je continue à travailler.

Entretien exclusif réalisé par Pétra Wauters


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http://www.wukali.com]20/11/2015

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crédits photo : Emmanuel Murat ; Florian Zeller : crédit photo : Patrick Swirc

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