Il you like French literature, choose to read this book. You’ll be moved and you’ll like it !


Il s’appelle Foenkinos, un nom grec qui sonne bien pour un écrivain. Il a fait des études de lettres, a étudié le jazz et écrit sans relâche depuis 25 ans. Étrange destin que le sien : la littérature est arrivée relativement tard dans sa vie. Il n’est pas tombé dedans quand il était petit. Il est allé à sa rencontre à la suite d’une grave maladie, et l’un et l’autre ne se sont plus quittés.

Son écriture, une belle évidence, plébiscitée par le public. Jeune quadra, au regard noir mais si doux, David Foenkinos est un homme d’une exquise modestie, avenant et drôle. Discret aussi, même lorsque sa plume se porte sur l’intime.

Décollée l’étiquette de « légèreté » et de douceur ! Il y a tant de profondeur dans l’œuvre de David Foenkinos. Comment pourrait-il en être autrement quand on a frôlé de si près la mort ? Son 13ème livre en témoigne encore. « Charlotte » est une histoire bouleversante. Prix Renaudot 2014 et Prix Goncourt des Lycéens, rien que ça, mais David Foenkinos reste d’une touchante simplicité. Nul doute, avec le succès, il est resté le même qu’à ses débuts. En 2006, le jeune homme avait visité au Mahj l’exposition « Charlotte Salomon. Vie ? ou Théâtre ? ». Cet évènement fut le point de départ de sa fascination pour l’artiste, né à Berlin en 1918, morte à Auschwitz, en 43. David Foenkinos était bien loin des prix… « qu’on court », assurément, et pensait même que « Charlotte » resterait une œuvre confidentielle. Son ambition première était déjà de réussir à écrire ce livre. Ce ne fut pas facile. Il y avait tellement d’émotion.

Olécio partenaire de Wukali

Il y a 6 ans déjà, l’écrivain participait au Goncourt des Lycéens pour « La Délicatesse » son huitième roman. Une salve de prix récompensait le livre et le film, réalisé par David Foenkinos et Stéphane, son frère. 1.300.000 entrées. Il en est encore tout surpris.
« Les Souvenirs » il y a 4 ans avait également participé à l’aventure des lycéens. Le film est sorti l’an passé qui salue le retour d’Annie Cordy au cinéma. On retrouve l’humour et la sensibilité de l’écrivain dans l’adaptation de Jean-Paul Rouve.

L’écrivain nous parle de ses livres, des films, des aventures qui ont changé sa vie et bien sûr de « Charlotte » qui ne le quitte plus.


« Charlotte » connaît un succès incroyable .

Oui, cela est vrai. Ce qui est émouvant aussi, c’est que des lycéens l’étudient. C’était mon rêve que l’on découvre Charlotte et ce qui vient de se passer va bien au-delà de toutes mes espérances. C’est magnifique !

Que vous a apporté « Charlotte, sur le plan personnel ?

Lorsque j’avais fait la tournée du Prix Goncourt des Lycéens, un jeune homme avait l’air inquiet pour moi. C’était assez amusant du reste : « Et vous, m’a-t-il demandé, vous vous en êtes sorti? » Il me voyait « obsédé » par Charlotte Salomon. Je lui ai répondu que l’obsession, l’admiration sont souvent connotées négativement, comme une sorte de névrose pathologique, alors que pour moi, c’était un enrichissement. Il n’y a rien de plus beau que d’admirer quelqu’un, d’être fasciné par une œuvre, fasciné par une vie, par ce qu’elle a de douleur et de force. Charlotte m’a apporté un enrichissement culturel et intellectuel très fort. C’est très rare une émotion comme celle-là qui ne vous quitte jamais. On peut aller voir une exposition, une pièce, être bouleversé, ému, et quelques semaines plus tard, les choses s’estompent. Quand j’ai découvert l’œuvre de Charlotte Salomon, j’ai tout voulu savoir sur elle, et pendant des années, cela ne m’a jamais quitté, cela n’a jamais faibli.

Je me disais que je ne pouvais pas ne pas écrire ce livre. Cela a toujours été joyeux pour moi. J’adorais aller à Berlin, prendre des notes, savoir qui elle était. Dès que je pouvais avoir un nouveau document ou rencontrer un nouveau témoin, c’était formidable. Difficile aussi. Face à son œuvre j’étais parfois effrayé. Quand on travaille sur les derniers moments de la vie de la jeune femme, c’est très dur, et c’est pour cela que je n’arrivais pas à écrire le livre. Il y avait trop d’émotions. C’était trop fort. Des témoins m’ont décrit l’horreur. Une femme de 26 ans, enceinte de 5 mois, arrachée brutalement à sa vie, c’est insoutenable. Charlotte était au degré ultime de la souffrance, et qu’elle arrive à transformer cela en une exaltation, une œuvre pleine de vie et de lumière, c’est merveilleux. Elle est un grand exemple pour moi.

Qu’est-ce qui vous a fasciné dans l’œuvre de Charlotte Salomon ?

Ce qui m’a fasciné, c’est l’entreprise narrative et picturale. C’est à dire, des centaines de gouaches qui racontent une histoire. Il y a des tableaux qui me bouleversent plus que d’autres, mais je suis fasciné par l’inventivité extrêmement moderne et novatrice, cette façon de raconter sa vie avec des indications de musiques, des pièces chantées. On voit le degré de souffrance dans lequel elle est lorsqu’elle démarre cette œuvre. C’est extraordinaire de pouvoir ainsi transformer la vie en art théâtral, pictural pour pouvoir la surmonter. Je pense à cette séquence où elle nous fait revivre son histoire d’amour avec Alfred. Elle dessine le visage de cet homme des dizaines de fois, avec tous les mots de cet homme. Ce tableau est bouleversant. On sent l’obsession de vouloir faire revivre le passé à travers une œuvre.|left>

Et après « Charlotte » ?

Je viens de finir un nouveau roman qui paraîtra en avril 2016 chez Gallimard. Par ailleurs en mai sortira le Folio de «Charlotte.» Je travaille toujours sur la promotion de Charlotte dans tous les pays où il va sortir. Au delà de mon livre, je fais tout qu’on découvre cette artiste. J’organise des expos notamment. Par ailleurs, des plaques commémoratives ont été installées partout où elle a vécu : Villefranche-sur-Mer, Nice, Saint-Jean-Cap-Ferrat… C’est au-delà de ce que j’espérais. Je me disais, au départ du livre, que ce serait déjà formidable si quelques dizaines de milliers de personnes découvraient Charlotte, Mais voilà qu’on compte des centaines de milliers de lecteurs, le livre est traduit en plusieurs langues, une édition intégrale de son œuvre, un livre d’art «Charlotte Salomon, Vie ? Ou Théâtre ?» est sorti aux Éditions Le Tripode. Une première mondiale qui me remplit de joie.

La critique n’a pas toujours été tendre…

Oui, mais avec l’arrivée du succès, c’est un classique ! Quand on a du succès, on est davantage attaqué. Pour « Charlotte », l’accueil était assez étonnant et ça m’a fait du bien. Mais c’est une question bien plus compliquée que cela en fait. Cela a un lien avec l’honnêteté intellectuelle. Certaines critiques ne sont pas tout à fait honnêtes. Elles jugent à travers le prisme de qui on est. Ces critiques-là, je ne peux pas vraiment les juger. Quoique je fasse je me ferai attaquer. Cela étant dit, il y a des journalistes qui ont un rapport sain au travail des artistes. Ils vont essayer de juger honnêtement. Je pense à un journaliste en particulier qui avait critiqué sévèrement mon livre « Je vais mieux » sur Canal +. Il a en revanche adoré « Charlotte », et m’a invité sur France Inter. J’aime ça ! Je suis sensible au fait qu’il dise qu’il n’aime pas et ne le fait pas par rapport à qui je suis.|left>

On a encensé « La Délicatesse ». Le livre était sur le Goncourt, le Renaudot, le Fémina, le Médicis, l’Interallié… La Presse était extraordinaire quand il s’est vendu à trois mille exemplaires. Quand il est devenu un phénomène à plus d’un million d’exemplaires, on a commencé à le juger négativement. Ce faisant, je ne vis pas dans le monde des « Bisounours » où tout le monde doit aimer mon travail. Après, cela n’a pas énormément d’importance dans ma vie. Si on me demande si je préfère la reconnaissance du public ou des critiques, je vais bien sûr dire les deux ! Sur Charlotte, être à la fois un gros succès littéraire, obtenir le prix Renaudot, le prix Goncourt des Lycéens, être le livre préféré des libraires à la rentrée et des critiques, c’est magnifique. Je savoure.

Le film « Les Souvenirs » a également obtenu un beau succès !

Oui, et n’en ai un sentiment de grand bonheur. C’est moi qui avais contacté Jean-Paul Rouve car j’avais envie que ce soit lui qui fasse le film. On a la même façon de voir les choses. On a donc coécrit. J’étais très heureux de l’adaptation. Son film n’est pas prétentieux. Il essaie de raconter des choses simplement, avec un peu de mélancolie. Jean-Paul Rouve a beaucoup travaillé et s’est beaucoup investi sur ce film là, et cela se sent. Les acteurs sont légers. Je suis très heureux du succès du film déjà, parce que personne ne voulait le financer au départ ! Personne ne croyait non plus en Annie Cordy ! De fait cette histoire-là est encore plus belle !

Vous avez subi d’une opération à cœur ouvert à l’âge de 16 ans. Cela a changé votre vie ?

Oui, complètement. Pendant des années je n’en ai pas parlé. Maintenant, je le peux. Cela a complètement modifié mon existence de manière très forte et très positive. Je ne m’encombre pas de noirceur ! On n’a pas la même énergie non plus. Tous ceux qui ont été gravement malade connaissent ça. On a une énergie de survivant. Pas le même rapport à la beauté non plus. On est plus jouisseur. Le rapport à la vie est plus intense. Je me suis mis à lire, à écrire, à aimer la peinture. Peut-être que mon destin aurait été le même sans cette maladie, mais j’ai l’impression en tout cas que cela a été un accélérateur, comme si cela avait permis d’éveiller ma sensibilité. Et l’écriture ! C’est toujours étrange. On ne sait pas pourquoi on a des idées ! Il n’y pas d’études pour cela. Certains n’y arrivent pas. Ça ne veut pas dire que j’ai un mérite particulier. C’est d’ailleurs étrange comme sensation. Cela ne s’explique pas.

Pétra Wauters


Des expositions

Au-delà du livre, David Foenkinos met beaucoup d’énergie pour qu’on redécouvre Charlotte Salomon. A partir de février 2016 et pendant 3 mois, il y aura une grande exposition Charlotte Salomon à Nice, au musée Masséna.

Il y a eu aussi celle organisée au Centre Fleg dans le cadre de l’opération : Au nom de la mémoire, Charlotte Salomon.

Entre 1940 et 1942, Charlotte Salomon, jeune artiste juive allemande réfugiée près de Nice, décide, face à une fatalité familiale, face à un monde en décomposition, de peindre, d’écrire et de mettre en scène sa vie sous la forme d’une pièce de théâtre en musique. Dans l’urgence, elle réalise 1325 gouaches, en choisit 769 qui formeront la version autorisée de « Vie ? ou Théâtre ? », dont ce livre est la première édition en français. « C’est toute ma vie », dit-elle en remettant cette œuvre unique, totale, à l’ami qui la sauvegarda. Quelques mois plus tard, elle fut assassinée à Auschwitz.


Charlotte
David Foenkinos

Éditions Gallimard.18.50 €

Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ?
traduit par Anne Hélène Hoog et Michel Roubinet
Éditions Le Tripode.95€ – 820 pages -28×28 cm – plus de 1100 reproductions – 4 600 grammes – Relié par une toile.


WUKALI 15/02/2016
Courrier des lecteurs : redaction@wukali.com

Illustration de l’entête : David Foenkinos. éditions Gallimard. Photo C. Hélie


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