One of the greatest musical comedies ever made !


Continuons notre promenade au cœur du Panthéon du cinéma mondial avec ce film américain de George Cukor de 1964, d’après la pièce de George Bernard Shaw  : Pygmalion (1914). Souvent surnommé : « la reine des comédies musicales  » par la critique unanime, Oscar du meilleur film, Oscar du meilleur acteur pour Rex Harrison, un enchantement pour les yeux, une merveille de réalisation où tout semble facile…

La réalité fut très différente : le metteur en scène George Cukor et son décorateur, déjà bien auréolé de gloire, Sir Cecil Beaton, s’affrontèrent en permanence sur le tournage, se détestant, à l’instar de l’acteur principal Rex Harrison et de sa partenaire Audrey Hepburn, car celle-ci avait tendance à lui voler la vedette, ce que ce « vieux cabot » d’Harrison ne supportait pas !

Jack Warner, patron de tout ce beau monde, devait concilier, journellement, des oppositions irréductibles, des affrontements ridicules de personnalités antagonistes : il fallait avancer et terminer le film…A tel point qu’il devint un « maître dans l’art de la diplomatie hollywoodienne  »…Rétrospectivement, que le travail ait pu s’achever sans que l’un ou l’autre ne quitte le plateau tient du miracle : les avocats de chacun furent près d’intervenir !|center>

Olécio partenaire de Wukali

Celle qui souffrit le plus de cette situation surréaliste, à tel point qu’elle en pleura sur le tournage, ce fut Audrey Hepburn dont Harrison ne voulait pas comme partenaire. Il désirait Julie Andrews comme coéquipière, car celle-ci l’avait déjà été pendant la tournée théâtrale mondiale de la pièce, durant laquelle ils s’étaient parfaitement entendus. Mais, à l’époque, la jeune femme n’était pas assez célèbre pour la Warner. La production décida d’offrir le rôle à une « star » internationale qui garantirait le succès du film : Audrey Hepburn. Bien lui en prit : la Warner faillit être mise en banqueroute car le coût du film dépassa, et de loin, son budget initial : 20 millions de dollars au lieu des 5,5 millions prévus, en 1964 … Son triomphe mondial fit se remplir les caisses aussi vite qu’elles s’étaient vidées ! Julie Andrews eut vite sa revanche avec « Mary Poppins  » et « La Mélodie du bonheur  ».

Tout cela ne constitue que l’arrière-plan du film. Intéressons-nous à l’œuvre. Le sujet est bien connu, inspiré de la mythologie grecque : un sculpteur (Pygmalion) tombe amoureux de sa création, une exceptionnelle beauté féminine(Galathée). Il en perd le boire et le manger, ne pense plus qu’à sa belle… Aphrodite décide alors de transmuter la statue de marbre en être de chair et de sang…


Naturellement, la vision, sarcastique, corrosive, de Shaw sera adaptée à son époque : suite à un pari, un vieux beau égocentrique, Henry Higgins, professeur de linguistique passablement immoral, décide de transformer une petite fleuriste des rues en élégante jeune femme de la haute société, que tout le monde prendra pour une aristocrate étrangère de sang royal. Il va aller de surprise en surprise avec «  sa création » qui, devenue indépendante, va lui jouer quelques tours pendables… Amoureux d’elle, il comprendra enfin ce qu’a été la dureté de l’entraînement subi comme celle dont il a fait preuve envers elle…

Rappelons ici que George Bernard Shaw, comme Oscar Wilde, étaient des protestants irlandais, que tous deux naquirent au 19ème siècle sur une île dévastée par la pauvreté et que, quel que fussent leurs succès dans la capitale, ils ne pouvaient pas oublier ce qu’ils avaient vu dans leur enfance. Ce qui implique une certaine distance avec le monde londonien… Voire, quelle que soit leur réussite personnelle, une forme revancharde de triomphe intellectuel et social sur la « bonne société » du temps. C’est si vrai qu’une phrase du « Pygmalion  » de Shaw est reprise, pratiquement à l’identique, du « Portrait de Dorian Gray » de Wilde : « Vous voulez dire que, nous les riches, nous amusons à nous jouer des pauvres ? »…La critique sociale est sous-jacente dans les deux chefs d’œuvre littéraires. Elle reste présente dans le film.

Ajoutons que si Shaw a pu se maintenir au premier rang à Londres, malgré ses « opinions avancées », car la lecture de Karl Marx fut une révélation pour lui, c’est dû, essentiellement, à son mariage réussi avec la douce Charlotte Payne Townshend (1898) qui polira son tempérament comme son caractère…Au contraire d’Oscar Wilde dont l’union fut catastrophique et mena au terrible procès qui l’envoya en prison, puis en exil…

La caméra de Cukor suit les personnages, les caresse presque : on sent la sympathie naturelle du metteur en scène à leur égard. Il les oriente, les met en valeur, les décrit simplement mais avec efficacité. Il connaît son métier, ce Hongrois d’origine exprimant l’âme américaine : lui-même oscille entre la culture européenne et un Hollywood de légende au bord du précipice. Mais c’est le plus grand décorateur de l’époque, Sir Cecil Beaton, qui va vraiment faire basculer le film dans cette synthèse magique que l’on pourrait résumer par : ce qu’il y a de meilleur dans la culture européenne, servi par les moyens colossaux du cinéma hollywoodien. La musique n’est pas en reste avec les chansons écrites par Frederick Loewe.

Toutes les scènes furent préparées sur maquettes. Beaton recréât une rue de Londres (Soho ou Mayfair) des années 1900/1910 (règne d’Edward VII) dans un grand hangar des studios où l’on aperçoit même un allumeur de réverbères !|center>

Naturellement, la perfection de la mise en scène, la beauté des costumes, l’esthétisme naturel des images, le rythme du film, sont uniques. Le jeu des acteurs est parfait, les décors somptueux, le monde est sublime…

Laissons la parole à George Cukor : « My Fair Lady est un film charmant… Audrey a joué avec beaucoup de brio. Elle est inventive, modeste… Et drôle. Quand vous travaillez avec elle vous n’imaginez pas qu’elle est une super-star. Elle est pleine de tact, c’est la créature la plus charmante du monde. Rex Harrison est magnifique, il a réalisé une grande performance comme il l’avait fait sur scène  »…

On croit rêver : tout le monde est beau et gentil. Comme indiqué plus haut, c’est complètement faux !


Mais rien n’apparaît de tous ces problèmes et le film semble couler de source… Les moments les plus forts sont, bien évidemment, la course des chevaux à Ascott où la jeune femme va s’écrier : «  bouge-toi le c.. . Glover !  », prouvant que sa transformation est encore incomplète et le grand bal de l’ambassade où son triomphe sera total. Mystifiant même l’ancien élève du professeur Higgings, le dénommé Zoltan Karpathy, « détecteur d’impostures » au rabais.

Le rôle de la reine de Transylvanie étant assuré par une baronne de Rothschild de ce temps…

On notera que les seconds rôles ( Stanley Holloway, Gladys Cooper, Wilfrid Hyde-White, Jeremy Brett et Théodore Bikel) ont des personnalités très affirmées, des interprétations solides, brillantes, qui participent à la réussite éclatante du film: que l’on pense à la célèbre chanson interprétée par Jeremy Brett devant la maison d’Higgins où vit Eliza… Ou à l’expression, amorale et un tantinet anarchiste, du père de la jeune femme qui surprendra Higgins comme Pickering  : «  si vous étiez aussi pauvre que moi, vous n’auriez aucune moralité !  »

Autre aspect inhabituel : la présence des fleurs que l’on rencontre partout, du début à la fin du film, dans un immense marché où la jeune femme gagne sa vie et qui redonnent un sentiment d’humanité à cet univers difficile, voire hostile.

Quand Eliza y reviendra, après avoir achevé sa transformation, personne ne la reconnaîtra…

Un moment, tout s’arrête : les personnages se fixent sur place, c’est la nuit, puis repartent au jour qui se lève… Cette idée et sa transposition cinématographique sont peu courantes.

Tous les aspects possibles de l’art cinématographique sont abordés ic : utilisation de la caméra et des couleurs, jeu des acteurs, décors hors-du-temps, rythme du déroulement de l’action, beauté intrinsèque, esthétisme naturel, joie de vivre, musique adaptée au rythme…

Les chefs d’œuvre du cinéma ne meurent jamais : ils gardent leur intemporalité, pour l’éternité…« My Fair Lady » en est un exemple parfait.

[**Jacques Tcharny*]|right>


WUKALI 25/02/2016
Courrier des lecteurs : redaction@wukali.com


Ces articles peuvent aussi vous intéresser