Tributes to a unique conductor and musician
Harnoncourt a la trajectoire d’une météorite. « Comme une pierre venue de la lune » – voilà d’ailleurs ce qu’il disait à propos de la 9è symphonie de Bruckner, qu’il chérissait particulièrement, et dont il présenta à Salzbourg, en août 2002, les fragments du final, qu’il introduisait lui-même par de passionnantes explications. Puis avec les Wiener Philharmoniker, l’Orchestre qui lui était le plus cher – après « son » Concentus Musicus – il en donnait une exécution minérale, inspirée, d’une grande hauteur de vue. Il en existe un enregistrement (dont je réécoute le premier CD, entièrement consacré aux fragments, tout en rédigeant ce texte). Il faut écouter « son » Bruckner, tout comme sa 9è symphonie de Schubert et le Concert du Nouvel An 2001 avec le même orchestre qu’il dirigea de si nombreuses fois, dans tant de concerts et d’enregistrements. Même si pour nous, français, il existe un regret impossible à effacer : depuis deux grandes décennies, l’Orchestre Philharmonique de Vienne vient chaque saison au Théâtre des Champs Elysées, à plusieurs reprises. Mais ce ne fut jamais sous la direction d’Harnoncourt.
«Un artiste qui se met au service du goût de son temps ne mérite pas le nom d’artiste».
Nikolaus Harnoncourt
Le comte Johann Nikolaus de la Fontaine und d’Harnoncourt-Unverzagt ne viendra plus. Il est mort ce samedi 5 mars 2016, à 86 ans. Nous restent des écrits [[Il y a d’abord « Le discours musical », premier opus de 1982. Mais il ne faut pas manquer « La parole musicale » éditée en 2014 ; ces « propos sur la musique romantique » sont plus que passionnants]], des heures de musiques, de nombreux enregistrements filmés (ses Monteverdi à Zurich avec Ponelle !) et tous ces souvenirs de ce que Baudelaire nommait un phare. C’est sans doute le musicien qui aura laissé la plus grande empreinte sur toutes les dernières décennies.
Avec lui, ce n’est pas la fin d’un monde : celui d’une épopée musicale sans pareille qui changea tout, bouleversa tout, des années 1950 à 2015. Ce très grand Monsieur (à tous les sens, d’ailleurs, avec son bon mètre quatre-vingt dix) a été un révélateur en nous amenant à entendre différemment, avec d’autres instruments, d’autres approches intellectuelles – d’autres oreilles. En retournant aux sources, en retravaillant sans cesse les partitions – et son tout récent enregistrement des 4è et surtout 5è symphonies de Beethoven le clame haut et fort avec une jeunesse sans cesse réinventée.
Enfant, la musique se pratiquait en famille ; il en garda ce goût du partage, de la gourmandise musicale comme du jeu intellectuel. Jeune, il fut fasciné par Gershwin et son « Porgy and Bess », dont son père possédait une des premières partitions – une œuvre qu’il voulut absolument enregistrer, ce qu’il fit en 2009 pour ses quatre-vingts ans. Violoncelliste émérite, il avait beaucoup appris, comme musicien du rang, au sein de l’Orchestre Symphonique de Vienne, en travaillant sous la baguette de Clemens Krauss (un modèle pour lui) comme d’Herbert von Karajan, Böhm et « quelques » autres. Il y apprit que l’autoritarisme n’est pas très musical, la « tradition » non plus. Alors, il a frayé son chemin, seul avec sa complice de toujours, sa femme Alice, la merveilleuse violoniste. En créant un OMNI, cet objet musical non identifié à sa naissance : le Concentus Musicus de Vienne, dès 1953. En quittant le circuit des orchestres traditionnels – avant d’y retourner comme chef, que ce soit au Concertgebouw d’Amsterdam, à la Philharmonie de Berlin ou à l’Orchestre de Chambre d’Europe. Ce que les tenants purs et durs du baroque et des interprétations « historiquement informées » (comme l’on dit maintenant) ne lui pardonnent pas. Il a beaucoup dérangé. Il fut beaucoup moqué.
Je me souviens, comme si c’était hier, que ce fut le cas lors de la sortie de son premier Oratorio de Noël de Bach, en 1974. UneTribune des critiques de disques voyait alors l’ineffable Antoine Goléa se draper dans sa superbe et dénoncer ces chanteurs qui chantent faux, ces gamins qui braillent, ces instruments et leurs couacs. Nous étions au début d’un long chemin qui fit école tant du côté du chant que du côté de la pratique instrumentale et de la facture, lancée dès lors dans des défis aussi stimulants qu’excitants. Et Goléa de clouer au piloris, par la même occasion, les premiers volumes des cantates de Jean-Sébastien Bach, dont l’enregistrement de l’intégrale avait débuté en 1971 et s’acheva avec le succès que l’on sait en 1988. Jacques Bourgeois avait beau tempérer, rien ne trouvait grâce aux oreilles du violoniste critique. Et il était loin d’être le seul. Harnoncourt était alors plus que controversé. Marginal et droit dans ses bottes de sept lieux, il inventait de nouveaux horizons, tellement excitants. Certains ne l’aimaient pas du tout, voire ne le supportaient pas. C’est d’ailleurs encore le cas (comme ici : et c’est logique.
Après tout, ses réussites sont innombrables. Mais ses excès aussi. Dans telle symphonie de Haydn ou de Schubert, vous le vivez absolument novateur à l’écoute des deux premiers mouvements puis vous trouvez que pour le scherzo et son Ländler il chausse des semelles de plomb. Vous admirez les voix de certains solistes dans Bach et regrettez vivement qu’il ait assez systématiquement donné une place à sa fille, la soprano Elisabeth von Magnus, dont les qualités vocales ne sont pas toujours celles qu’exigerait une telle vision. Vous vous enthousiasmez pour l’atmosphère mystérieuse qui ouvre une symphonie de Mozart ou de Dvorak, avant d’être déstabilisé par ses coups de poing à répétition, ses exagérations dynamiques, ses contrastes qui sont marque de fabrique d’un style Harnoncourt, reconnaissable entre mille.
Si Dieu existe (Harnoncourt le catholique y croyait de toute évidence) et qu’il vomit les tièdes, c’est sûr qu’il vient d’accueillir à bras ouverts celui que l’on a surnommé, un peu perfidement, « le pape de la musique baroque ».
Marc Dumont
Une biographie : Alice et Nikolaus Harnoncourt, l’intelligence du cœur par Monika Mertel (Versant Sud – 2003)
-Premiers hommages :
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– [Wukali
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WUKALI 06/03/2016
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Illustration de l’entête: photo Styriarte