Intimate History,
Son titre est aguichant: «Polissonnes», c’est celui du dernier livre que vient de publier Pierre Lunel, aux éditions du Rocher
Il y a bien une cinquantaine d’années les Histoires d’amour de l’histoire de France de Guy Breton furent un grand succès de librairie dont on ne compte plus les tirages. Des livres essayant d’expliquer les événements historiques à travers les secrets d’alcôves, il y en a eu beaucoup, et ce qui est certain c’est que les histoires de sexe sont nettement plus plaisantes à lire plutôt que celles portant sur les variations climatiques, les manipulations monétaires ou les crises frumentaires. L’École des annales n’avait pas pris en compte le facteur sexuel pour expliquer l’histoire, sûrement à tort, mais pour autant il ne faut pas surestimer, comme le firent certains, la place du sexe dans la décision politique, même si certains dirigeants étaient ce que l’on appellerait aujourd’hui des « addicts du sexe ». A ce niveau, les travaux de la psychanalyse sur le rapport entre sexe et pouvoir sont là pour amener des éléments théoriques montrant que si « la chair est triste », la domination politique est souvent associée à la domination sexuelle. Cela ne veut pas dire, heureusement, que tous les hommes et les femmes de pouvoir étaient des malades, dirigés par leur cerveau reptilien, mais plutôt que dans leur immense majorité, ils ont profité du pouvoir pour assouvir leurs envies sexuelles. Et c’est, heureusement, bien plus complexe qu’une histoire d’alcôve, mais souvent le résultat de vraies stratégies claniques, la famille de la favorite retirant matériellement des avantages certains. Ce qui est vrai sous l’Ancien régime est vrai aussi actuellement…
Les études historiques, à juste titre, portent de plus en plus sur la place des femmes dans l’histoire. On sort enfin des concepts centrés sur les hommes pour mettre les femmes à l’honneur, tout au moins pour montrer qu’elles ont eu une part non négligeables, mais trop souvent occultée, dans l’histoire. Et même là ou on ne les attend pas toujours comme dans les mouvements ouvriers à la fin du XIXè et au début du XX siècle. On connaît l’importance de Flora Tristan, mais nettement moins, enfin jusqu’aux recherches récentes, celles des femmes des mineurs ou des porcelainiers.
Il ne faut pas non plus tomber dans les travers de certaines féministes, ni de surestimer la place de certaines maîtresses de monarques dans la prise de décision politique. Comme d’habitude, la vérité se situe au milieu.
Pierre Lunel dans son avant propos donne le sens de sa démarche : montrer qu’au cours de l’histoire, il y a eu des femmes qui ont vécu « libres ». Enfin, « libres », suivant une définition quelque peu machiste de ce concept, puisqu’indéniablement pour lui, la liberté est la sexuelle, la femme libre est celle qui a beaucoup d’amants. Il est certain que les vies de Christiane de Pisan, d’Éloïse, de Jeanne d’Arc ou de Marie Curie offrent nettement moins de parties de jambes en l’air à décrire que celles de Pauline Bonaparte, mais elles firent preuve d’une nettement plus grande liberté que Marlène Dietrich. Le titre du livre en soit résume bien le contenu du livre puisque de Julia, fille d’Auguste, à la princesse Diana, ce n’est qu’une suite de coucheries pratiquées par des femmes dite « libres ».
Pourquoi pas, c’est un angle d’optique que pratique Pierre Lunel depuis quelque temps, souvenons nous de son dernier opus « Cocus, même les grands hommes ». Il est certain que la lecture de ce genre de livre détend quelque peu.
Maintenant, on apprécierait aussi (et surtout ) que ce soit un tout petit mieux écrit… A force d’aller vers le graveleux, le style est un peu trop relâché, le langage employé à la limite, non du vulgaire mais du « populaire » c’est à dire un langage « parlé » et non écrit. On peut prendre le pari de raconter l’histoire comme une séries de fables, de contes, mais ce n’est que dans les très mauvaises émissions historiques que l’on emploie ces tournures de phrases. Je ne demande pas un style « savant », mais à force de vouloir en quelque sorte se mettre à ce que l’on croit être le niveau intellectuel du lecteur, ce dernier finit par penser que l’auteur le prend pour un imbécile.
Il est regrettable aussi, que l’auteur fasse autant d’erreurs historiques. Il y en a. Indéniablement, il s’est plus basé sur les ragots véhiculés par l’histoire que sur des faits ou sur les derniers travaux historiques concernant certains de ses personnages : on sait maintenant que Joséphine ne fut jamais la maîtresse de Barras, mais que ce dernier a rependu cette rumeur dans ses mémoires tant il appréciait le sort que lui réserva Napoléon après le 18 Brumaire. Je ne polémiquerai pas sur le chapitre concernant le régent, qui montre un abbé Dubois sous un aspect que même Saint Simon, qui ne l’appréciait pas, n’a jamais décrit : ce fut un homme certes complexe mais un très grand diplomate. Et que dire de Philippe d’Orléans qui n’était pas le dépravé sexuel que ses ennemis ont voulu nous faire croire, mais l’homme qui, avec son ministre Dubois, en 8 ans de régence à réussit à placer la France, non seulement dans une situation financière équilibrée, mais aussi au centre de l’Europe. Je ne remets pas en cause ses « dîners fins », mais à en croire l’auteur à part collectionner les maîtresses, boire, manger, faire de l’alchimie, on se demande quand il a eu le temps de travailler et on ne peut que s’étonner que ses « dépravations » n’aient eu que des répercussions positives sur la politique du royaume. Plus grave, dans la famille de Louis XIV, on finit par ne plus rien comprendre : on croyait comprendre à juste titre que la Duchesse d’Orléans était la fille bâtarde du monarque. Or page 158, on lit : « le duc et la duchesse du Maine haïssent Philippe qu’ils accusent de lui avoir voler la régence. Surtout la duchesse qui est la sœur de sa femme » ! Non ! La duchesse du Maine n’a jamais été la sœur de la duchesse d’Orléans, le duc oui, la femme, non ! Cela voudrait dire que le duc et la duchesse du Maine avaient au moins un parent commun, mais même en cette époque de débauche, l’inceste était puni de mort, et on imagine mal Louis XIV marier son fils préféré avec sa petite sœur.
Et je ne note que pour mémoire des fautes (je pense d’impression), comme la mort d’Agnès Sorel en 1550 au lieu de 1450, ou la princesse de Galles qui, si elle est bien née un 1 juillet, aurait eu 10 ans le jour se son mariage (alors qu’elle en avait 20) si cet heureux événement pour la famille Spencer avait eut lieu en 1971. Plus de correcteurs, moins d’erreurs !
Félix Delmas
Polissonnes
Pierre Lunel
éditions du Rocher. 19€50
WUKALI 06/04/2016
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