Care for cows
Voilà un livre de Christian Laborde pour le moins original du moins au niveau de sa catégorie (ce qui pose des problèmes quant à son rangement dans une bibliothèque) : est-ce un pamphlet, est-ce une poésie en vers et en prose ? Je suis tenté de penser que se sont les deux à la fois : La cause des vaches est un pamphlet poétique. Un pamphlet contre l’élevage industriel des vaches en particulier et des animaux en général (à l’exception notable des canards, voire des oies destinés au gavage), et en même temps un poème sur la vache en particulier (pour ne pas dire une longue et belle déclaration d’amour pour ce ruminant), la vie animale et surtout une certaine philosophie de la vie rurale.
Christian Laborde rappelle de multiple fois qu’il n’est pas réactionnaire, qu’il ne souhaite pas un « retour en arrière », car défendre la vie animale c’est défendre la vie c’est à dire l’avenir (et à ce niveau, le lecteur que je suis ne peut être que d’accord avec lui), mais quand même, il n’arrête pas de dire que quand il était petit, la vie en Bigorre était nettement plus plaisante qu’actuellement. A force de dire et de redécrire un monde passé, parfois quelque peu fantasmé, on finit par ne plus croire à sa volonté de se projeter dan l’avenir.
Soit la traite des vaches à la main c’était extraordinaire, proche du rythme du cycle de la vie, en tout cas nettement plus respectueux de l’animal que les machines automatiques des fermes laitières. C’est un fait, mais il semble oublier que même les éleveurs « respectueux des bêtes » opèrent la traite avec des machines et non plus manuellement. Et c’est sûrement là que le bât blesse pour la défense de sa cause : il semble qu’il n’y a aucun intermédiaire entre l’élevage dit « traditionnel », celui qui a peu évolué en quelques millénaires et les « usines d’élevage », il oublie qu’en moins de cinquante ans l’élevage a évolué, s’est « modernisé » au profit des agriculteurs et ce sans que les animaux en souffrent. Oui, les agriculteurs ne vivent plus au rythme du soleil, oui l’agriculture a changé de philosophie, oui la France n’est plus un pays rural, oui les éleveurs ont droit eux aussi à du repos voire même à des vacances : le monde rural lui aussi souhaite bénéficier des bons côtés de notre société et non pas vivre et entretenir une sorte de réserve pour des urbains qui viennent rechercher leurs racines rurales. C’est peut-être dommage mais c’est un fait : la modernisation de l’agriculture en général et de l’élevage en particulier, a servi aussi au bien-être des agriculteurs et des éleveurs ! Dans mon village du Gers, pas si loin de la Bigorre de Christian Laborde, je connais un agriculteur qui n’a voyagé qu’une fois hors de nos frontières : en Algérie lors de son service militaire. Et je ne vous raconte pas l’expédition que représenta pour lui le voyage à Toulouse (150 kilomètres) pour le mariage de sa fille. C’est un homme charmant, humain, extraordinaire, mais un des derniers représentants d’un univers qui n’existe plus. Son fils qui a repris l’exploitation familiale, s’est battu pour avoir une couverture internet digne de ce nom, part régulièrement en vacances, même à l ‘étranger, et pourtant quand vous le voyez avec ses vaches (de race bazadaise donc à viande et non à lait) vous percevez qu’un lien existe entre eux, un lien fort. Le fils est un agriculteur, un éleveur qui vit avec son temps sans pour autant percevoir son cheptel comme des billets de banque sur pattes.
Il est une chose, qui m’a toujours énormément gêné quand je travaillais dans la Somme et que je me suis occupé des problèmes (réels) que pose la « ferme des 1000 vaches ». Il est certains opposants (pas la majorité soit, mais la minorité la plus « activiste », celle qui a quasi monopolisé l’accès aux médias) qui en plus de dénoncer les conditions abjectes de vie des vaches dans cet endroit, font passer un tout autre message : le végétarisme. N’oublions pas qu’ils sont contre la centrale de méthanisation, c’est à dire qu’il n’y a aucun impact sur la couche d’ozone alors qu’ils se disent avant tout écologistes. Ce sont les mêmes, exactement les mêmes, qui au nom de l’atteinte à l’environnement (les pets des vaches et des moutons sont les plus terribles ennemis de la couche d’ozone) causée par les ruminants, disent qu’il ne faut plus faire de l’élevage et que l’homme peut très bien se contenter d’avoir qu’une alimentation végétale (ils sont contre la corrida, en oubliant que s’il n’y a pas de corridas, certains races de taureaux disparaîtront, position plus que paradoxale pour des défenseurs de la diversité animale). Au moins Christian Laborde ne va pas aussi loin qu’eux, il reconnaît aimer manger de la viande. Mais le groupuscule L214 dispense une idéologie que je ne puis partager à titre personnel, n’oubliant pas que s’ils sont « bien propres sur eux » en France, leurs homologues anglais et américains (L214 n’est pas une création française mais américano-anglaise) ont commis de vrais actes terroristes et certains sont allés jusqu’à l’assassinat au nom de leur idéologie. Quand on cite ses sources, ce qui est la preuve d’une grande honnêteté intellectuelle qui est tout à l’honneur de Christian Laborde, il est bon parfois de dire exactement ce qu’elles défendent, voire de donner les financiers. On a parfois de sacrées surprises.
Cela mis à part, c’est un vrai plaisir de lire La Cause des vaches. Christian Laborde a de l’humour et un style très agréable: la répétition de « sont enfermées sous le hangar lugubre ceint de miradors électroniques, avec, au-dessus, le ciel qui pleure », rythme son récit et montre toute l’horreur de ce style d’élevage. Et puis comment ne pas rire à la nouvelle signification de l’acronyme FNSEA : Fédération Nationale pour la Soumission et l’Extinction des Agriculteurs.
Tout ce que j’aime, de l’humour, de la poésie, de la caricature, une dose de mauvaise foi, une grosse pincée de nostalgie, et l’ouverture d’un débat. Tant que l’idéologie ne s’en mêle pas, Christian Laborde fait œuvre d’utilité publique.
Pierre de Restigné
La cause des vaches
Christian Laborde
éditions du Rocher. 15€
WUKALI 09/05/2016
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