A nonstop, action-packed thriller
Un homme, brisé depuis le décès accidentel de son épouse et de leur enfant, Sam Dryden, éprouve la nuit l’envie de faire un jogging. Et un soir il récupère une jeune fille de 13 ans qui fuit des hommes armés.
Ce geste d’empathie, qu’il fait instinctivement, va l’amener dans une série d’ « aventures » pour fuir des ennemis nombreux, bien décidés de les éliminer. Heureusement il retrouve les réflexes qu’il a acquis quant il était dans les forces spéciales. La petite fille, Rachel, vient de s’enfuir d’une prison secrète dirigée par une société qui travaille pour le département de la défense qui est prêt à tout pour l’éliminer définitivement. Elle a été droguée pour qu’elle puisse parler dans son sommeil et maintenant elle ne se souvient plus de son passé. Tout au plus s’avére-t-elle être télépathe, mais son secret, cause de ses déboires, est bien autre et on finit par comprendre qu’elle peut entrer dans le cerveau des autres, les diriger et leur faire commettre des actions indépendamment de leur volonté. Vaste problème du libre arbitre et de la responsabilité individuelle, domaines dans lesquels l’auteur ne s’étend surtout pas. En revanche, il nous amène dans le domaine de la neurologie, de la génétique. Il nous montre la collusion entre sociétés privées et défense nationale et aborde, sans émettre aucun avis, les violations des principes démocratiques au nom d’une raison d’état qui ne porte pas son nom, d’autant plus que ce concept ne se résume qu’à la défense d’intérêts privés qui manipulent (avant tout par la corruption) les responsables politiques. Ceux qui font un parallèle avec les vrais motifs de la seconde guerre en Irak doivent être dans le vrai. Quoiqu’il en soit, après bien des rebondissements le passé de Rachel nous est connu, les méchants punis, les « purs » assument leur sens de l’éthique et tout est bien qui finit, à peu près, pas tout à fait, mais à peu près, bien.
Runner est l’exemple parfait d’un certain « politiquement correct » qui se développe dans la littérature : on aborde des sujets qui peuvent poser de vrais débats au vu de nos principes démocratiques (les recherches sur le cerveau ne rencontre sûrement pas les mêmes barrières éthiques en Corée du Nord qu’en France), mais qui ne font que les effleurer, qui ne posent strictement aucune question qui puisse « déranger », faire réfléchir le lecteur. Ce dernier est avant tout considéré comme un consommateur d’un objet de loisir (le livre), sûrement pas comme un citoyen pouvant réfléchir, voire s’opposer, donner une opinion.
De fait, je pense qu’il faut lire Runner ainsi que toute la production de ce genre venue des États Unis d’Amérique, comme on doit lire un bon roman feuilleton du XIXè siècle. Pas ceux d’Alexandre Dumas, mais plutôt ceux de Ponson du Terrail, l’immortel auteur de Rocambole, qui allait jusqu’à faire ressusciter des personnages découpés en morceau quelques chapitres avant, enfin qui n’hésitait pas devant des approximations, des contradictions, qui par une sorte de baguette magique faisait changer les « méchants » en « gentils », pour parfois les faire revenir à leurs turpitudes premières. N’oublions pas que Ponson du Terrail est l’auteur qui a usé et même abusé pour finir ses chapitres de formules du style : « il ouvrit la porte et poussa un cri d’épouvante . » La suite à la prochaine livraison, maintenant c’est la suite au prochain chapitre. Que fait le lecteur « normal », il achète le journal du lendemain ou il lit le chapitre suivant pour savoir ce qui épouvante tant le héros. Vieille ficelle d’écriture qui permet maintenant de dire, « c’est vraiment un roman haletant, palpitant, je ne pouvais pas m’arrêter de lire », sans avoir conscience que la qualité du roman n’y est strictement pour rien mais que ce n’est que le résultat d’une sorte de convention d’écriture que tous les bons ateliers apprennent aux apprentis écrivains à manier. Le lecteur veut savoir ce qu’il y a et cela lui évite de réfléchir au fond du roman, à ses contradictions, ses invraisemblances, sa lecture devient ad-dicte et non objective. Et à ce niveau, je n’ai strictement rien à dire, Patrick Lee a bien retenu la leçon et sait manier avec brio ce genre de conventions littéraires.
Alors pour celui qui apprécie ce genre littéraire, surtout quand toutes les ficelles sont parfaitement mises en place, il ne doit pas hésiter et se précipiter chez son libraire pour acheter Runner.
Émile Cougut
[**Runner
Patrick Lee
éditions Albin-Michel. 22€*]
WUKALI 02/06/2016
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