The essence of light and divine beauty
Voilà une exposition qui vaut son pesant d’or et de lumière. Des ors dans des paysages irradiés de soleil, des reflets qui s’empourprent dans l’eau, qui s’embrasent dans les lointains, à l’horizon…
Turner pour la première fois au Louvre, en 1902
Justement, l’horizon … Le Lorrain faisait des horizons un paradis terrestre, bousculant les codes de la peinture d’histoire qui délimitait l’éclairage le plus vif au premier plan du tableau. Tout comme lui, Turner saura retenir la leçon. Il guide l’œil du spectateur vers l’infini et le lointain, le temps de sublimer quelques compositions. Les deux peintres nous paraissent indissociables, et la belle histoire nous donne raison. Turner aurait exigé de la National Gallery que deux de ses toiles qu’il lui léguait soient exposées entre deux tableaux du Lorrain. Turner a copié et avec brio comme nous le montre la première salle : l’apprentissage de la couleur et l’étude des grands maîtres.
On songe à sa version plus tumultueuse du Déluge de Nicolas Poussin, une œuvre qu’il trouvera « sublime », avant de critiquer les couleurs et le dessin trop précis du Français. La seconde salle nous montre justement comment Turner va bouleverser les codes tradtionnels de la peinture de paysage.
« Richard Wilson, peintre gallois va l’influencer toute sa vie. Turner va peindre sur les pas du paysagiste. » commente Ian Warrel, le commissaire général, ancien conservateur à la Tate Britain, spécialiste et auteur de nombreux ouvrages à propos de Turner.
Turner dépassera les Maîtres mais sera critiqué férocement. Déjà pour ses jaunes, sa couleur, qu’il déclinera à l’infini. Il prendra tous les risques avec elle, mais aussi avec ses « recompositions audacieuses », qu’il fera le plus souvent en atelier, car sa prodigieuse mémoire lui permettait de recréer les souvenirs des choses vues, des ambiances, des sensations… Il était tout aussi capable de saisir sur le vif, en plein air, les phénomènes de la nature, leurs variations chromatiques mais si les formes s’atténuent de plus en plus dans la lumière qui les baigne, à y regarder de plus près, on discerne presque toujours une solide structure, un dessin soignement composé.
Tuner s’intéressera aux théories scientifiques et philosophiques de la couleur, tout comme Goethe, ou encore Newton et aimera plus que tout expérimenter. Et si d’aucun le trouvaient illisible, qu’importe ! L’artiste imposera sa patte, diluant les formes dans des atmophères toujours plus lumineuses : on parle même de « fièvre de la couleur : Chromomania » (salle 8).
On suit Turner, le peintre et l’homme mystérieux, l’aventurier qui relève tous les défis. C’était audacieux en 1805/1806 de préparer sa toile avec un fond blanc pour peindre à l’huile. Cela ne se faisait pas. Les peintres démarraient leur peinture sur un fond noir, précisera le commissaire. Ses tableaux n’en seront que plus lumineux mais cette méthode était très controversée à l’époque. Controversé aussi le fait de peindre parfois ses aquarelles sur un papier bleu.
Une peinture contestée :« Matin glacial », toile superbe, qui, si elle n’avait pas trouvé d’acquéreur, fut très appréciée de Monet, qui écrira : « il s’agit d’une des peintures les plus extraordinaires de l’artiste. Turner a peint les yeux ouverts ».
Des carnets, des croquis, du génie
« Nous possédons de nombreux carnets de croquis de Turner, commente Ian Warrel. Un dispositif numérique nous en montre quelques uns et on peut faire le lien avec des tableaux qui se trouvent dans la salle » . Il y a aussi beaucoup d’œuvres gravées à découvrir. Un travail magnifique.
Joseph Mallord William Turner n’a que 27 ans lorsqu’il est admis membre à part entière de la Royal Academy. Déjà, adolescent, il est rapidement repéré par des antiquaires ou encore des architectes. Un surdoué. « Dans les premières aquarelles que Turner réalise, des architectes sauront tout de suite reconnaître ce talent qu’il avait pour dessiner les bâtiments et il va gagner dès 14 ans un petit peu d’argent grâce à ses dessins » confie Ian Warrell.
De nombreuses expositions lui ont été consacrées, mais on est heureux de trouver dans celle d’Aix autant d’aquarelles, technique dans laquelle il excelle. Certaines n’avaient jamais été présentées.
Il parcourt l’Europe en tous sens, des séjours qui vont marquer un tournant dans son œuvre car la représentation des effets de lumière va désormais prendre une importance croissante, au détriment de l’aspect narratif. L’illustration parfaite : la « Plage de Calais à marée basse », peinte en 1830, ou encore ses vues de Margate. Une salle l’annonce : Margate, les plus beaux ciel d’Europe. On est en Angleterre, dans le Kent, où il vit une nouvelle aventure sentimentale, avec Mrs Booth, propriétaire de la pension où il loge régulièrement. Des œuvres de cette époque n’ont pour certaines jamais été exposées en France, confie Ian Warrell.
« Sun is God », (« Le soleil est Dieu ») aurait-il prononcé sur son lit de mort.
Tous ces voyages, en Italie, en France, en Allemagne, en Suisse, de Petworth House à Gênes en passant par Avignon, ou encore Rome, ont nourri son art et lui ont permis d’innover. Son rendu « inachevé », cette façon de dissoudre les formes annoncent l’impressionnisme. Mer déchaînée, les torrents, les tempêtes, cette nature démontée ont fait de lui un romantique.
Le commissaire de l’exposition voulait proposer une exposition différente de toutes celles que l’on a pu voir sur Turner. Mission réussie ! On réalise à quel point Turner a révolutionné la peinture du XIXeme siècle. On se laisse envahir d’ondes lumineuses, mais si on se rapproche de ses œuvres et de l’homme, le peintre reste un mystère. Certes, l’exposition nous donne de beaux éclairages indédits, mais Turner au fil des salles se dissout, un peu comme dans ses tableaux étincelants, éblouissants, dont il avait le secret.
A découvrir 130 œuvres de l’artiste (dont 36 en provenance de la Tate Gallery de Londres mais aussi, des archives, des livres, des matériaux de peinture ayant appartenu à l’artiste. Un film
Pétra Wauters
Turner et la couleur
du 4 mai au 18 septembre 2016
Hôtel de Caumont. Centre d’art, Aix en Provence, Caumont Centre d’Art se situe à 1 min à pied du cours Mirabeau.
L’Hôtel de Caumont est ouvert tous les jours même le lundi.
Du 1er mai au 30 septembre : 10h-19h – Nocturne le vendredi jusqu’à 21h30 pendant l’exposition // du 1er octobre au 30 avril : 10h-18h.
Le Café Caumont est ouvert à partir de 11h30.
3, rue Joseph Cabassol 13100 Aix-en-Provence. Tél: 04 42 20 70 01
Qu’on se le dise…!
WUKALI 09/07/2016
Initialement publié le 07/05/2016
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Illustration de l’entête: Départ pour le bal (San Martino) – Exposé en 1846 – Huile sur toile – 616 x 924 mm – Tate. Accepté par la nation dans le cadre du legs Turner, 1856 © Tate, London 2015