Prison vs warden
Dans ce roman, **Sylvie Dazy*] nous fait vivre l’univers carcéral vu du côté d’un gardien, récemment dans son roman [ Quartier femme écrou 10970, [**Dominique Bohpetit *] nous décrivait ce même univers mais vu du côté d’une détenue. Ces deux écrivains sont tout aussi légitimes pour parler de la prison car c’est un endroit qu’elles connaissent bien, qu’elles ont et qu’elles continuent de fréquenter de par leurs obligations professionnelles : Sylvie Dazy a suivi une formation d’éducatrice et s’est vu confier la réinsertion des détenus des prisons de [**La Santé *] et de [**Fleury-Mérogis*], Dominique Bohpetit est une avocate spécialisée dans le droit pénal. Deux visions d’une même problématique (l’enfermement) à partir des deux protagonistes : la détenue et le gardien, deux visions différentes soit, mais de fait pas si antithétiques qu’il n’y paraît de prime abord : la prison est un lieu qui détruit, broie, transforme pas obligatoirement en bien la personnalité de ceux qui la fréquentent.
Le héros de Sylvie Dazy, Christo, un gars du Nord qui a grandi à proximité de la prison de Bapaume, n’a aucune vocation pour devenir gardien de prison, mais que faire avec une licence d’anglais ? Aussi passe-t-il le concours (il serait sûrement devenu gendarme ou CRS s’il avait grandi près d’une caserne) et se trouve muté à la Santé. Il y arrive avec la volonté de comprendre, se veut devenir l’ethnologue de ce lieu. De fait, il assimile, comprend tous les rites qui continuellement rythment la vie carcérale, les accommodements avec certains détenus, l’utilité des mouchards, la pesanteur de la hiérarchie. Mais à trop vouloir comprendre, analyser, il se marginalise, ses collègues l’excluent de leur groupe et il devient une sorte de bouc émissaire dès qu’un problème se pose avec des détenus. Mais son chef comprend sa démarche et sait percevoir l’invisible qui est en lui. Aussi l’incite-t-il à passer des concours internes pour progresser dans la hiérarchie. Christo se métamorphose, devient le gardien « modelé », une référence. Mais ce n’est pas parce que l’on est dans les sommets de la hiérarchie que l’on est assez fort pour éviter tous les chausses-trappes qui nous entourent.
Christo est un personnage très complexe, ni bon, ni mauvais, comme tout un chacun, sa personnalité évolue, se transforme, se métamorphose au gré des circonstances. Soit il est libre, dispose de son libre arbitre, mais pour vivre, voire survivre dans cet univers, il est obligé, parfois à son corps défendant, d’en épouser la « culture », les « rites », les « passages obligés ».
Sylvie Dazy nous dit que la prison, l’enfermement détruisent ceux qui y sont condamnés, mais qu’ils ont aussi par ailleurs des effets dévastateurs sur la personnalité de ceux qui sont chargés par la société de garder les détenus. Eux-aussi sont dans une sorte de processus de survie et, sans le vouloir, mais sans pouvoir lutter contre, deviennent des sortes de robots sans grande humanité. D’ailleurs, n’est-ce pas quand on se comporte avec empathie avec un détenu que les ennuis arrivent : rejet par les collègues, danger de se faire manipuler par le détenu ?
Certes le dernier chapitre de ce livre est « faible », il fallait bien trouver une chute, mais la description de l’évolution de Christo, de sa métamorphose, montre de la part de Sylvie Dazy, une connaissance certaine de ce métier de gardien de prison et de cet univers carcéral qui est impitoyable pour tous ceux qui le fréquentent des deux côtés des barreaux.
[** Émile Cougut*]
[**Métamorphose d’un crabe
Sylvie Dazy*]
éditions Le Dilettante.15€.
(Sortie en librairie le 22 août.)
WUKALI 10/08/2016
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