A non attained majesty
[**Pietro Tacca (1577-1640)*] est un artiste florentin formé dans l’atelier de [**Jean de Bologne.*] Il est le meilleur sculpteur toscan du Baroque commençant, ce qui ne signifie pas qu’il soit plus qu’un homme de talent, loin de là.
Entré à l’âge de quinze ans chez son maître qui était, lui, un authentique génie, il en devint le premier assistant en 1601. La mort de son patron en 1608 en fit le nouveau chef de l’atelier puis, en 1609, il fut nommé sculpteur officiel du grand-duc de Toscane. Ce qui signifie un manque de grands talents dans l’Italie de l’époque, début de l’âge Baroque.
Il réalisa de nombreux travaux pour son commanditaire principal mais son chef d’œuvre fut sa dernière commande : le grandiose monument à[** Philippe IV d’Espagne*] sur la place d’Orient à [**Madrid*], sur lequel il travailla de 1634 à sa mort en 1640, moment auquel la sculpture était terminée. Elle fut créée sur un dessin de [**Velázquez*]. Le Roi monte à cheval dans une position complexe car cette statue-équestre est la première de l’Histoire présentant un cheval cabré : elle est en appui sur les pattes arrières et la queue de la monture. Philippe IV souhaitait qu’on le présente en majesté, dans une œuvre plus belle que celle dédiée à son père Philippe III.
Pour arriver à ses fins, le sculpteur interrogea et se fit conseiller par [**Galilée*], expert scientifique s’il en est : la question de la stabilité de la sculpture dépassant, et de loin, les capacités de l’artiste.
Le problème consistait à ramener le centre de gravité de l’œuvre vers le bas. Certes, la queue posée au sol servait de « troisième patte » mais cela ne suffisait pas à maintenir fixe l’ensemble « cheval et cavalier », vu la position acrobatique du sujet. Il fallait « fondre mince » la partie antérieure de la statue-équestre ! Nettement plus mince que la partie postérieure en tout cas. Cet exploit à réaliser trottait dans la tête de tous les sculpteurs et fondeurs de ce temps. Comme nous dirions aujourd’hui : c’était dans l’air…
Observons la résultante de cette réflexion collective. La démonstration de puissance est évidente dans le couple cheval-cavalier : la statue du Roi, raide mais en majesté, incarne la force et l’esprit de domination, voire un aspect « justice immanente ». Le cheval obéit à son Maître qui tient le bâton de commandement en l’air.
Serions-nous sur un champ de bataille ? Le souverain n’a pourtant jamais dirigé les troupes lui-même… Cette utopie de la victoire reste donc purement allégorique. Ce serait plutôt un mouvement étudié dans une école de cavalerie espagnole, à l’instar de celle de [**Vienne*] (Autriche). D’ailleurs, l’auteur de cet article a eu la chance d’assister à une de leur démonstration…
Parures et fanfreluches ornent l’animal: tapis de selle décoré, mors et rênes ouvragés, crinière large dans le vent…Le roi est montré en armure d’apparat, les bottes impeccables, les étriers ayant des éperons à molettes (récemment inventés).
Alors pourquoi insister sur le manque d’inspiration de l’artiste ? Pourquoi dire qu’il a un petit talent ?
La vérité c’est que le cheval est énorme, lourd, arrêté dans sa tentative d’animation de l’espace environnant par un ventre tellement mou et flasque que l’on se demande si la monture ne serait pas une jument gravide !
Mais il n’est pas le seule à exprimer une pareille mollesse : le langage corporel du cavalier exprime une même pesanteur physique confinant à l’ennui, son visage est inexpressif et son regard est atone. L’inintelligence du souverain régnant explose : yeux tristes, moustaches de mannequin et couperose des joues.
L’inexpressivité manifeste de cette physionomie glauque tourne à la farce. Le manque de relief, donc l’absence de vivacité intellectuelle du monarque devenant flagrante… Lui qui, tombé amoureux d’une nonne, la rejoint alors qu’elle l’attend dans un cercueil un crucifix à la main… La Cour en fera des gorges chaudes…
Alors, dans de telles conditions, pourquoi présenter cette sculpture de qualité moyenne ? C’est qu’elle est la PREMIERE de ce modèle ! Et si la tentative est manquée du fait des « talents limités » de l’artiste, et aussi du fait des capacités techniques réduites de cette période, il n’en demeure pas moins qu’elle existe.
Jacques Tcharny
[* À suivre… *] prochain article: [** BERNIN: Louis XIV en Marcus Curtius*], parution prévue : Jeudi 25 août
Récapitulatif des articles déjà parus dans cette étude de Wukali sur la statuaire équestre
–[** Les Chevaux de Saint Marc*]
– [**Donatello: Le Gattamelata*]
– [**Verrochio : Le Colleone*]
– [**Leonard de Vinci : Le cheval Sforzza et le monument Trivulzio*]
WUKALI 20/08/2016
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