A documentary cineast, between fiction and sharp reality

Comment rendre le regard et la parole à ceux qu’on observe, comment filmer ? [**Gilles Combet*] a tout au long de sa carrière conduit sa caméra vers des expériences uniques, tout comme Jean Rouch, son mentor.

Être réalisateur d’un film documentaire, c’est déjà vivre une expérience rare. Commande ou idée originale qu’importe, c’est le regard que le cinéaste pose sur le projet qui est important, sa vision des choses, la forme qu’il veut donner, la parole qu’il donne, mais s’il n’y a pas de formule magique, il y a un savoir faire, et rien ne s’improvise.|center>

Olécio partenaire de Wukali

Ce n’est pas Gilles Combet qui nous contredira. Assistant de [**Jean Rouch*] aux premières heures du cinéma-réalité, il est également auteur et scénariste et comptabilise une cinquantaine de films documentaires, souvent réalisés dans des conditions extrêmes (en France, au Sahara, en Afrique noire, en Mongolie, dans la forêt amazonienne de Guyane et du Brésil…) Il signe aussi une dizaine de films télévisés de fiction et de nombreux magazines pour [**France 2*] et [**France 3*]. Il est également réalisateur et cinéaste associé aux travaux du Comité du Film Ethnographique à Paris et au Niger.

Réalisateur d’évènements exceptionnels, il a couvert de nombreuses autres opérations liées à des retransmissions internationales hertziennes ou par satellite comme les Jeux Olympiques ou des captations en direct pour l’événement multimédia « Les hommes oiseaux » de Saint-Kilda, retransmis dans cinq pays d’Europe.

Nous l’avons rencontré à [**Aix en Provence*] où il réside depuis deux ans.


[**Vous êtes diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Lyon (études administratives et financières) et de l’Institut d’Études Cinématographiques de l’Université Paris IV. Ce sont les études idéales pour devenir réalisateur ?*]

Idéales ? Non ! Mais dans mon milieu familial une carrière artistique comme celle de réalisateur ne ressemblait pas à un « vrai métier ». Donc il me fallait un diplôme d’une grande école pour « monter » à Paris et accéder à mon rêve de réaliser des films.

– [**Vous étiez l’assistant de Jean Rouch, l’un des fondateurs les plus éminents du film ethnographique. Que vous a apporté cette collaboration ? *] |left>

C’est avec lui que j’ai appris mon métier. C’est un peu mon maître spirituel.
Jean Rouch est le précurseur du cinéma direct ou « cinéma-vérité ». Mon film « Fragments d’exils » s’apparente à ce cinéma vérité. C’est un mélange de fiction et de film documentaire. Il y avait un casting d’acteurs pour les rôles principaux et des mineurs travaillant et habitant la région alsacienne du bassin potassique. Ils jouent merveilleusement leur propre histoire de travailleurs immigrés. Les spectateurs ont du mal à voir la différence entre « vrais » et « faux » acteurs. Ils parlent tous à la caméra pour dire leur vérité. Il s’agit de filmer avec sincérité le réel et de raconter des histoires vécues. Je filme en respectant la parole et le regard de l’autre.

– [**Justement, « Fragments d’exils » (1983) est aussi un témoignage poignant. Vous l’avez présenté en novembre 2015 dans la salle de cinéma de la Maison de la Région à Marseille. Votre film de fiction se fait le triste écho de l’actualité. *] |right>

Effectivement, ce film est une histoire d’exil, celle de la famille Kowalski ; et une quête, celle de Jacek Kowalski, musicien de 30 ans en 1983, fils d’immigrés polonais, né en Alsace dans le bassin minier. Il rassemble des souvenirs de son enfance à travers des fragments d’histoires vécues et les récits de ses proches. Malheureusement, ces émigrés ont beaucoup de points communs avec ceux qui arrivent actuellement. Il y a une ressemblance au niveau de leurs histoires, de leur volonté de s’intégrer en France, de leur nostalgie du pays quitté. Ces exilés se retrouvent un beau jour dans un pays lointain, avec une famille éparpillée, et pour la plupart ne pouvant plus regagner leur pays d’origine. Le problème de l’intégration dans le pays d’accueil est pour eux très important, et la cause de beaucoup de souffrances. C’est souvent l’abandon de leur propre culture, de leur langue, de leurs coutumes et traditions…

– [**Comment-vous est venu l’idée de ce film ?*]

C’est l’histoire d’une famille polonaise, celle d’un ami, Lew Bogdan. Il m’a raconté de nombreuses histoires avec des personnages hauts en couleurs. Nous avons essayé de conserver l’essentiel de ces histoires d’exilés souvent compliquées. Le fil rouge est gardé justement par le personnage de Jacek, musicien, qui revient à la mine dans le bassin potassique au sud de la ville de Mulhouse, en Alsace. Ses parents ont vécu dans cette région de mineurs. Ils étaient enseignants de polonais pour que les enfants d’émigrés ne perdent pas leur langue d’origine et leur tradition. Ce film raconte l’histoire de Jacek de retour dans le bassin minier. Les mineurs étaient extrêmement reconnaissants de voir que le film racontait leur histoire avec sincérité.

– [**Comment s’est passé le tournage ? *]

La préparation de ce film a été longue et minutieuse. On avait besoin de la complicité de tout le village proche de la mine et du bon accueil des mineurs. Nous avons passé pas mal de temps à expliquer ce que nous voulions faire. Il y a eu d’abord une certaine méfiance ; mais avec les parents de Lew Bogdan, qui vivaient encore dans ce village minier, les choses se sont arrangées et la méfiance a disparu.

Nous leur avons dit que l’on filmerait avec de « vrais » acteurs pour raconter leur histoire, mais aussi que l’on avait besoin de leur concours pour être plus proche de la réalité. Je voulais qu’ils racontent leur histoire d’exil, telle qu’ils l’avaient vécue. Ils ont accepté, avec beaucoup de gentillesse, de faire de la figuration pour le film : par exemple à l’occasion d’un enterrement, lors d’une fête polonaise au village, ou encore lors d’un pèlerinage à la vierge noire.

Les protagonistes ont parlé de manière très émouvante de leur exil. Ils ont joué le jeu pour ce film d’une manière exceptionnelle et avec enthousiasme. Par ailleurs, il a fallu faire preuve d’ingéniosité au montage pour intervertir les scènes de fiction et les scènes de témoignages. Il était important que l’ensemble du film reste fluide et compréhensible.

– [**Pour en revenir à Jean Rouch, son cinéma était en prise directe avec le réel. La question que l’on pourrait se poser, est de savoir si ce réel est déformé ou au contraire magnifié par la présence de la caméra. *]

Quand on filme une scène, le filmeur ne montre que ce qui est dans son cadre. Le « hors-cadre » est évidemment ignoré !

Donc forcément le réel est, en partie, déformé. Ce que l’on veut montrer avec la caméra est une image forcément un peu « magnifiée », parce que choisie, mise en exergue pour raconter une histoire. Ensuite, avec le montage des images, le sens du réel, d’une « certaine réalité » peut changer, et même être déformé… ! Mais c’est un long débat.|left>

– [**Les réalisateurs de la nouvelle vague font partie de cet esprit « cinéma vérité » ?*]

Tout à fait. En 1960, Jean Rouch crée, avec le sociologue Edgar Morin, un film intitulé « Chronique d’un été. » Avec ce « cinéma-vérité » un mouvement se met en marche pour devenir un genre cinématographique à part entière et effectivement il accompagne les cinéastes de la nouvelle vague : [**Jean-Luc Godard, François Truffaut, Chris Marker, Claude Chabrol, Louis Malle*]. Mais aussi des documentaristes comme [**Richard Leacock*], 1921-2011, [**François Reichenbach*], cinéaste français 1921-1993, ou encore l’américain [**John Cassavetes*] (1929/1989) et ses films de « fiction-vérité ». Ces cinéastes aspirent tous à une proximité avec le réel filmé. Edgar Morin a beaucoup écrit sur ce sujet, il disait ceci notamment :

« Si les innovations techniques sont fascinantes, la nouveauté de ce cinéma repose avant tout sur un dispositif plus large incluant l’implication du cinéaste et des protagonistes filmés, qui, loin d’être passifs, oublieux de la caméra, s’en servent pour laisser émerger leur vérité profonde, la sève même de leur vie »

Je trouve cette définition du cinéma-vérité très belle et juste.
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– [**D’après vous, quels autres cinéastes peuvent être considérés comme les fondateurs de ce mouvement cinématographique ?*]

[**Dziga Vertov*] est le fondateur de ce genre. Il parcourait la [**Russie*] dans les années 1918, 1919 et 1920, juste après la révolution pour rendre compte de la guerre civile. Il était à bord de son train-cinéma et il filmait tout : la fin de la guerre civile, les paysans dans leur campagne, les procès expéditifs et les réformes… Il est notamment très connu pour le film « L’homme à la caméra ».

– [** Parmi tous ces films documentaires ou de fiction qui vous ont conduit sur des terres lointaines, il y a celui de la Mongolie.*]

Ma famille a longuement vécu en Russie. J’avais un sujet sur la [**Mongolie*] après la chute du mur de Berlin et la fin de l’ex-[**URSS*]. Lorsque je l’ai proposé à France 3, la direction m’a dit qu’elle était intéressée, mais qu’il fallait coller au plus près de l’actualité. On était dans les années 95 et il ne faut pas oublier que la Mongolie extérieure était l’un des pays satellites les plus fidèles à l’Union Soviétique. France 3 m’a donné son accord pour le tournage mais avec quelques contraintes. Il fallait que j’interroge des gens de la ville et des nomades, sur leur confort de vie et ce qui avait changé après la chute du mur.
J’avais cependant en tête un scénario, mi fiction – mi documentaire, sur un manuscrit secret qu’aurait écrit [**Gengis Khan*] au 13ème siècle. J’ai pris quelques acteurs mongols et tourné des scènes de fiction et de guerre avec Gengis Khan (acteur) et son armée (800 militaires). Ca faisait pas mal de monde dans la steppe mongole ! J’ai effectué de nombreux témoignages de nomades qui avaient caché, lors de la grande répression stalinienne des années 1930, des manuscrits tibétains dans leurs yourtes. Ce film était à la fois très écrit et très documenté.

– [**Est-ce que la télévision soutient encore ce type de films, documentaire-fiction ? Sur le plan financier, on peut imaginer que ce genre nécessite des moyens plus importants.*]

Concernant « Fragments d’exils », le film était produit en totalité par France Télévisions. Les budgets se discutaient, certes, mais on pouvait tourner dans de bonnes conditions, sans problème, ni contrainte. Lorsque l’on avait le feu vert de la chaîne, il n’y avait pas vraiment de difficulté. Pour ce qui est de la Mongolie, dans les années 1990, on était obligé de passer par des sociétés de production externes. La télévision, publique ou privée, s’est détournée peu à peu de ce type d’émissions. On travaillait avec des producteurs, et de ce fait le réalisateur rencontrait davantage de difficultés. Il fallait négocier les budgets, réduire les temps de tournage, le financement de la chaîne était long à obtenir. Mais au final, et même avec de plus petits budgets, on arrivait à se débrouiller.

– [** Quel-est le budget moyen de ces documentaires fiction ?*]

Un budget comme celui de « Fragments d’exil » à l’époque, était l’équivalent de 500 000 € à 600 000€. Concernant le film en Mongolie, nous sommes partis avec deux petites équipes, et le budget était bien moindre, 300 000 € environ.|left>

– [** « Les Ors de la République » est un documentaire sur le patrimoine national que vous avez réalisé avec Nadège de Peganow, en 2008. Pouvez-vous nous parler de ce travail à deux ?*]

Il y a l’écriture du dossier – c’est très important pour avoir le financement de la télévision et du CNC – (Centre National du Cinéma), l’écriture du documentaire et la réalisation du film.
Nadège est très douée pour le travail d’écriture et moi j’ai 25 ans de réalisation de films, magazines, captations télévisuelle etc. Chacun apprend l’un de l’autre. Donc notre collaboration a très bien fonctionné.

– [**Les documentaires sont souvent programmés tard dans la soirée.*]

C’est exact et les audiences sont très différentes entre le prime time et la deuxième partie de la soirée. Les films «Sur les traces de Gengis Khan », « Les trois vies de Germaine Tillion » ou « Pour l’amour d’un prêtre », ont fait beaucoup d’audience sur [**France Télévisions*]. Nous sommes parfois jugés à l’audience que font nos films. C’est ainsi. C’est la loi du marché. Le film sur [**Germaine Tillion*] réalisé en collaboration avec [**Jean Lacouture*], était important. Elle avait plus de 85 ans et il fallait recueillir et enregistrer son témoignage rapidement sur son action en [**Algérie*], dans le camp de [**Ravensbrück*], dans les pays du [**Sahel*] en Afrique. Elle a maintenant, depuis 2015, sa place au Panthéon parmi « Les grands Hommes à la patrie reconnaissante » |center>

– [**« Saint Kilda, l’île des hommes oiseaux. » est un documentaire dans votre filmographie que l’on qualifie d’exceptionnel. *]

Je pense qu’il l’était. C’est une collaboration avec [**Lew Bogdan*], metteur en scène de théâtre. Il s’agit à la fois d’un film mais aussi du premier opéra ubiquiste de l’histoire du répertoire. La retransmission se faisait en direct de l’Ile de Saint Kilda, (archipel des Hébrides en Ecosse) dans les théâtres de 5 pays européens, en [**Ecosse*], en [**France*], en [**Belgique,*] en [**Allemagne,*] et en [**Autriche*].

C’est une histoire vraie et poignante d’une communauté gaélique qui a été évacuée en [**Angleterre*] par l’armée britannique. L’armée a chassé ce peuple car elle souhaitait installer une base militaire et des radars pour espionner la[** Russie*] à partir des années 1930. La musique et les acteurs gaéliques occupaient une place majeure dans cet opéra ubiquiste.


– [**La musique est-elle importante dans vos films documentaires ? *]

Oui très importante ! Les films documentaires doivent communiquer une certaine émotion aux spectateurs. La musique permet de mettre en valeur des séquences fortes et peu bavardes. Par ailleurs, elle est nécessaire pour soutenir certaines témoignages et transmettre une certaine émotion ou permettre au réalisateur de ménager des respirations afin d’apporter au film un peu de lyrisme.

– [**Est-ce que le film documentaire a beaucoup évolué ces dernières années ? *]

Avec le portable et les nouveaux appareils photos, c’est à la portée de tout le monde de faire un film documentaire et de le diffuser sur le Web. C’est autre chose de le diffuser à la télévision. Souvent la qualité de l’image est médiocre et tout le monde ne peut s’improviser réalisateur. C’est un métier !

Cependant pour des faits divers exceptionnels, attentats ou guerres civiles, comme on le voit régulièrement à la télévision, des images de téléphones portables peuvent être parfois diffusées comme « vérité de terrain.»

Avec le numérique, les techniques de tournage sont simplifiées et beaucoup moins chères. Je reste pour ma part fidèle à une image de qualité et à des documentaires bien construits.

[**Pétra Wauters*] |right>


WUKALI 23/10/2016
*Courrier des lecteurs *] : [redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Saint Kilda, l’île des hommes oiseaux, documentaire de Gilles Combet, capture d’écran.

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