Excellent French movie, Paris in the aftermath of the war, when jazz trumpeted great in the caves of St Germain des Prés
[**Sartre*] et [**Beauvoir,*] l’existentialisme, Saint-Germain des Prés, le jazz, [**Boris Vian*] et sa trompette….Autant de noms qui font rêver notre époque : que n’a-t-on pas écrit, ou dit, sur le sujet ? Cette efflorescence intellectuelle de l’immédiat après-guerre conserve un je-ne-sais-quoi de magique aux yeux de nos contemporains. Surtout que le roi Boris est mort jeune ( à 39 ans), que presque tous les acteurs de « ce moment privilégié » ont disparu… D’innombrables livres et articles de journaux ont été publiés sur le sujet, des chansons y font référence (« il n’y a plus d’après »…), on en connaît quelques photos célèbres publiées et de vagues documents cinématographiques, très courts, se rencontrent dans des archives ( INA…). Mais d’authentiques films, du temps, consacrés à ce bout de « terre allogène » en plein Paris et aux autochtones qui y habitaient ? Quels étaient leurs moyens et leurs modes de vie ? Leurs espoirs ? Cette jeunesse avait-elle un idéal ? Autant de questions sans réponses direz-vous ? Pas exactement, car le cinéaste [**Jacques Becker*] (1906-1960) a mis en scène le seul et unique long métrage de cette période qui traite du lieu et de ses fameuses « caves » (les Lorientais, le Tabou…) où s’éclatait une jeunesse dont le besoin de s’amuser était exacerbé parce que le monde sortait d’une effroyable guerre aux dizaines de millions de morts… Il s’appelle « Rendez-vous de juillet » et date de 1949.
Nous sommes toujours, mais plus pour très longtemps, à la belle époque de Saint-Germain des Prés : Boris Vian n’a pas encore déposé sa couronne ni rangé sa trompette, [**Sartre*] et[** Beauvoir*] se montrent, déjà moins fréquemment, à la terrasse du « Flore » ou des « Deux-Magots », tandis que Juliette Gréco s’apprête à quitter le « Bar vert » et l’hôtel « Montana » pour emménager « rive droite »…
Le cinéaste [**Jacques Becker*] est quelqu’un de connu en ce temps là : il fut l’assistant de [**Jean Renoir*] dès 1931, qu’il seconda sur « La Chienne » et sur « La vie est à nous ». Prisonnier de guerre à la débâcle de 1940, il est libéré suite à une intervention de la Croix-rouge en 1941 : son état physique déplorable en sera le motif. Il réalisera trois films sous l’Occupation : Dernier atout (1942), Goupil Mains Rouges (1943) et Falbalas qui ne sortira qu’en 1945. C’est le second qui aura le plus de retentissement : toute la population s’y retrouvant un peu. Membre de la Résistance, Becker défendra [**Clouzot*] devant la commission d’épuration.
L’argument de « Rendez-vous de juillet » est simple, un groupe de jeunes a des aspirations diverses : certains préparent une expédition chez les pygmées africains, d’autres veulent devenir comédiens et tous passent pas mal de leurs soirées dans les boîtes de jazz…La vie et rien d’autre en somme.
La justesse de ton du metteur en scène est remarquable : ses dons d’observateur, son talent dans la direction des acteurs, sa fine analyse des caractères de ses personnages, l’équilibre judicieux qu’il crée entre une mise en scène, précise et discrète, et l’expression des sentiments et des tempéraments de chacun, un optimisme évident malgré les déboires, les déceptions et les aléas de l’existence que subissent tous ces jeunes gens, permirent au film d’obtenir le prix « Louis-Delluc » ( 1949) puis le prix « Méliès »(1950). Bien reçu par le public et la critique, ce très joli long métrage aura un succès incontestable à l’étranger, et pas qu’en Europe : au[** Japon*], il figure parmi les films français les plus vus…
La caméra suit les acteurs, jamais inquisitrice. Elle les regarde vivre, sous le charme, sans porter le moindre jugement. Le maniement du noir et blanc est d’une adéquation équilibrée : ni trop ni trop peu, exactement ce qui est nécessaire. Le réalisateur esquisse plus qu’il n’insiste, le temps de l’adolescence passe si vite…C’est [**Claude Renoir*] qui en fera la photographie, tandis que [**Marcel Camus*], le futur créateur d’Orfeo Negro, y sera l’assistant du cinéaste.
L’ambiance du film est résolument joyeuse, d’une gaîté presque gênante étant donné que la guerre est finie depuis peu. Dans les « caves » de Saint-Germain, on fait la fête. Plus exactement, des jeunes gens y font la fête. Ils ne représentent pas toute leur génération, loin de là : nous sommes au cœur d’un microcosme parisien. Mais leur besoin de liberté nous emporte dans son tourbillon et, malgré toutes les excentricités qu’ils peuvent faire, ils attirent la sympathie. Un exemple ? Lorsqu’ils demandent au pilote de l’avion de s’arrêter pour que Roger Moulin( Maurice Ronet) puisse embrasser et se réconcilier avec sa fiancée Thérèse Richard ( Brigitte Auber) qui arrive sur une voiture, l’aviateur en rira…
Une immense douceur, une empathie immédiate, saisissent le spectateur qui devient complice de ces doux rêveurs qui ne le sont pas tant que cela puisqu’ils arriveront à concrétiser leur idée. En attendant que l’âge adulte arrive avec sa cohorte de soucis et de responsabilités. Nous devinons qu’ils rentreront dans le rang, qu’ils se disperseront au hasard des événements de leurs vies mais peu importe : vivons le moment présent avec eux. C’est peut-être là que le film montre sa plus grande intensité : vivre l’instant présent sans se préoccuper du passé ni du futur.
Ce film, datant de près de 70 ans, est d’une jeunesse surprenante. Enthousiasme, entrain, légèreté, bouffée d’air.. .Bel représentation d’une époque, presque exotique pour nous qui savons ce que fut la suite. Quelques fils conducteurs s’enchevêtrent : l’expédition bien entendu mais aussi les cours de théâtre et le lieu qui a tant changé. Ils se baladent dans une voiture amphibie bizarre ( un ancien tank bricolé?) avec laquelle ils traversent la Seine, Paris est radieux : c’est le plein été comme l’indique le titre du film. Tout se déroule vite : nous passons d’un cours de théâtre désordonné aux caves enfumées où la musique éclate devant des couples enthousiastes. Les rues du Quartier Latin sont bondées de piétons pressés. Les filles portent de belles robes, la vie explose. Quelques moments savoureux : les retrouvailles au Jardin des plantes devant l’éléphant, la lecture de la pièce devant l’antipathique metteur en scène joué par [**Bernard Lajarrige*]. Les comédiens sont sincères, ouverts, attachants, leur jeu est pétillant.
Mais derrière tout cela, une autre réalité apparaît : Pierrot Rabut ([** Pierre Trabaud*]) va piquer un gigot dans la chambre froide de la boucherie de son père pour le troquer contre 10 litres d’essence : le marché noir existe encore car le rationnement n’est toujours pas abandonné. Quant aux couples qui se forment, ils ont leur limite : la sexualité, mot « tabou » en ce temps là. Un soir, chez l’un d’entre-eux médecin, ils font une grande fête ; au son du piano qu'[**Alexandre Astruc*] manipule, un peu nonchalant et nostalgique, les couples s’isolent…Et Roger ( [**Maurice Ronet)*] de demander à Thérèse ( [**Brigitte Auber*]) de devenir, immédiatement, sa femme. La réponse sera non, sous forme réprobatrice : « ne sois pas vilain ». On ne joue pas avec ces jeux là ! Franchir le pas, alors que l’époque est, sur ce sujet, fondamentalement conservatrice et ignorante, est bien difficile à concevoir. Les mœurs ont évolué. Aujourd’hui, les jeunes en sourient et pourtant ce monde préhistorique n’est pas si éloigné de nous. Le directeur du Museum, le professeur du collège de France, engoncés dans leurs costumes, parlant comme on discourait en chaire avant 1914, sont, eux, aux antipodes de leurs collègues actuels. L’opposition jeune-vieux ressurgit… Éternelle querelle des anciens et des modernes.
C’est, d’une manière rapide et primesautière, le portrait d’une génération particulière évoluant dans un univers spécifique, le tout rendu avec intelligence et sensibilité par le metteur en scène. Tout était possible, tout était envisageable. Le résultat ? A chacun sa vérité…
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WUKALI 25/03/2017