Les [**éditions du Seuil*] viennent de publier un livre pour le moins original : une sorte de journal intime illustré par les œuvres de l’auteur. [**Rao Pingru*] n’est pas un artiste peintre, il s’est mis au dessin et à la peinture que quand il fut retraité, pour autant, il a un vrai talent, un peu naïf mais surtout une façon de mélanger les couleurs qui donne une vraie vie à chaque vignette. Chacune d’entre elles est une façon pour l’auteur de faire revivre des moments de sa vie et surtout de rendre un hommage, de montrer tout l’amour qu’il porte, au-delà de la mort à sa femme [**Meitang*], décédée quand il commence son livre.
Rao Pingru est né en 1922, sa future épouse trois ans après. Ils sont chinois, issus de ce que maintenant nous appellerions la classe moyenne plutôt favorisée. Lors de la guerre sino-japonaise, il s’engage dans l’armée, et continue à servir comme capitaine durant le début de la guerre civile contre les communistes. Il se marie, et avec son épouse finit par s’installer à [**Shanghai*]. Mais, vu ses origines sociales, il est envoyé en camps de rééducation, loin de sa femme et de leurs 5 enfants. Il peut revenir de temps en temps voir sa famille qui connaît au quotidien une grande gène matérielle.
On a du mal, nous Occidentaux, à comprendre qu’à cause des origines sociales des parents, les enfants ont du mal à faire des études, à trouver leur place dans une société dans laquelle les mentalités du passé sont loin d’avoir disparu malgré la Révolution.
Quand Rao Pingru peut revenir à Shanghai, les enfants sont partis, mais il peut enfin vivre avec son Amour. Mais très vite les problèmes de santé de Meitang la rattrapent, toutes les privations qu’elle a endurées l’ont affaiblie, elle perd la tête et elle finit par décéder entourée par sa famille.
Pour continuer, en quelque sorte, de vivre avec elle, Rao Pingru raconte ce lien qui les a unis au-delà de la folie des hommes.
C’est une suite de petites scènes, des petites touches de vie (illustrées par des petites touches de couleur) qui forment un ensemble, un immense cri d’amour. Il arrive en de courtes phrases à faire non seulement revivre Meitang, mais aussi tout un passé, toute une société qui évolue. Une série de petits détails (les époux sont de grands amateurs de bonne chair et le lecteur ne peut que saliver aux plats qu’ils dégustent tout au long de leurs pérégrinations, ce n’est pas pour rien que la cuisine chinoise est inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO !
Il n’y a aucun pathos, aucune pleurnicherie, le lecteur comprend très bien que la vie pour le couple et ses enfants fut particulièrement dure, voire cruelle, mais Rao Pingru ne se plaint jamais, n’émet aucune critique, ne développe aucun ressentiment contre quiconque. Ce qui le motive c’est le lien, l’amour qui l’unit à Meitang.
Les dernières pages sont des passages des milliers de lettres que Pingru et Meitang se sont adressées durant les 22 années ou ils furent séparés. A leur lecture, apparaissent les difficultés du quotidien, les privations, mais surtout cette foi absolue en l’amour.
Si ce livre est si plaisant, c’est aussi grâce à celui dont on ne parle pas assez souvent : le traducteur, en l’espèce [**François Dubois*]. Il a su nous rendre accessible une histoire loin de notre culture. Tout en restant très respectueux de la pensée de Rao Pingru, il permet à nous autres Occidentaux de comprendre que l’amour n’est pas une histoire de culture, mais un sentiment qui est partagé par toute l’humanité. Il a su retranscrire cette histoire avec les mots, la grammaire, les tournures de phrases qui nous sont familiers, tout en nous faisant découvrir une partie de la culture chinoise, non celle des intellectuels, mais celle de la population, des êtres humains plongés dans un quotidien souvent difficile. Qu’il en soit remercié.
[**Notre histoire
Rao Pingru*]
éditions du Seuil. 23€
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WUKALI 07/04/2017