A very moving novel published by an inspired young editor
[**Alexis Ruset*] est un écrivain pour le moins atypique et sa carrière professionnelle est à l’image de son talent, riche et variée. Tour à tour professeur de lettres, Sous-Préfet, administrateur civil au ministère de l’Economie, membre du cabinet de Pierre Bérégovoy, collaborateur de Jean-Claude Trichet et conseiller pour l’Afrique à la Direction du Trésor, président de la Caisse Centrale de Réassurance. cadre dirigeant dans la réassurance puis dans le transport, il profite de son temps libre pour s’adonner à l’écriture. [**Pour que la mort ne crie pas victoire*] qu’il vient de publier aux éditions Zinedi est un grand livre.
Un homme d’une laideur absolue, petit, tordu, arrive dans un hameau d’un petit village dans la montagne vosgienne. Monté sur un bouc, il fuit, pour des raisons que peu connaissent, l’Alsace alors territoire de l’empire allemand. Il connaît le pouvoir curatif des plantes, a un vrai don de rebouteux. Sa laideur, son origine font qu’il est rejeté par la société villageoise, à l’exception d’une veille femme et surtoediut de Joseph, un ancien paysan qui l’accueille régulièrement chez lui. Ses enfants, Léa ouvrière dans la filature locale et Octave le maréchal-ferrant apprennent à connaître cet homme étrange et lui le « fort du village » prend systématiquement sa défense. Car le « petit homme » est en butte à l’hostilité des villageois.
Bien sûr on fait appel à lui quand les moyens traditionnels n’arrivent pas à soigner un homme ou une bête, mais il n’est pas « d’ici », de la communauté et surtout il fait un parfait bouc émissaire au moindre problème. Celui qui a le plus de haine contre lui est Désiré, adjoint au maire et surtout le vétérinaire qui lui a nettement moins de résultats quand il s’agit de soigner une vache laitière. Tous les moyens sont bons pour expulser l’étranger : on l’accuse d’être un suppôt du diable, d’être un contrebandier, un espion à la solde des Allemands. Mais rien n’y fait, aucune preuve ne pouvant être apportée, à par la haine, les autorités ne l’ennuient pas.
Arrive la guerre en 1914, Octave est mobilisé dans la cavalerie, le village se trouve à proximité de la ligne de front. Désiré et l’instituteur fou tentent de dénoncer le petit homme comme étant un espion allemand, mais en vain. Lors d’une contre-attaque, les Allemands envahissent le village. Désiré aidé de son affilié Lucien et de l’instituteur qui a depuis toujours les signes d’une totale démence, le dénoncent aux Allemands. S’ensuit un lynchage en règle auquel participe tous les villageois. Seul Joseph s’insurge mais il est tué par un officier.
Du front et quand il revient en permission, Octave, aidé par Léa veut venger ces morts injustes, celle de son père et du petit homme, punir les coupables mais aussi tout le village. Au-delà de la vengeance, Octave combat contre l’ennemi, tombe amoureux d’une paysanne en Picardie, se lie d’amitié avec Gaston qui va l’aider dans sa démarche. Lui c’est de Léa qu’il tombe amoureux. Il finira pas atteindre son but lors d’une vraie cérémonie de constriction et de repentir de tout le village.
[**Alexis Ruset*] signe ici un beau roman autour du thème du bouc émissaire sur fond de mentalité rurale de ce début du XX siècle dans les Vosges. Vos connaissances en patois local vont s’accroître à cette lecture. La mort est omniprésente, mais aussi la lâcheté, l’intolérance, la peur de perdre ce que l’on a, la peur de l’inconnu, de l’autre, de ce que l’on ne comprend pas car ça sort de notre cadre étroit de pensée. L’auteur dans le cadre de cette fiction agit en véritable anthropologue en nous montrant l’engrenage infernal qui broie les individus quand le groupe dont ils font partie, se cherche un exutoire à leurs peur, à travers un bouc émissaire. Alexis Ruset doit être un grand lecteur de l’œuvre de [**René Girard*] !
Mais ce roman est aussi un bel hymne à l’amour, à l’amitié qui lient les hommes (et les femmes) bien au-delà des vicissitudes de l’Histoire. Et puis il y a un sentiment trop rarement décrit : l’honneur, l’honneur gratuit, celui qui reste à travers son panache à [**Cyrano de Bergerac*], celui qui éloigne la mort, celui qui confère une dignité certaine à celui qui l’a en lui et qui rachète de fait les turpitudes et les lâcheté du groupe. Car ce qui sauve ce n’est pas le sacrifice d’un bouc émissaire, mais l’honneur symbolisé par une seule personne.
Le lecteur à la fin de Pour que la mort ne crie pas victoire a du mal à croire qu’il vient d’achever une fiction, tant cette histoire paraît réelle. C’est tellement rare qu’il est impossible de ne pas l’écrire.
[**Émile Cougut*]
[**Pour que la mort ne crie pas victoire
Alexis Ruset*]
éditions Zinedi. 20€
*Sélection Wukali
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WUKALI 10/04/2017