A gorgeous Spanish stone carver


Aujourd’hui, avec le recul du temps et les nombreuses exégèses à lui consacrées, nous avons une vue globale, très large, de ce que fut la révolution de l’art moderne : en gros la période qui s’étend de 1870 à 1940.

Ce qui étonne le plus le commentateur novice, c’est le bouillonnement créatif de cette époque qui vit l’épanouissement de nombreux génies, quelles que soient les disciplines artistiques (peinture, sculpture, arts décoratifs, architecture, cinéma…).

En ce qui concerne l’art tridimensionnel, la « figure de proue » en est [**Constantin Brancusi*] bien entendu, mais d’autres ont prouvé au monde toute l’étendue de leur palette sculpturale, à commencer par les tailleurs de pierre comme l’espagnol [** Mateo Hernández *].

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A ce point de notre exposé, il est indispensable d’expliquer les deux méthodes de travail de la pierre, terme qui regroupe tous les matériaux utilisés par ces artisans de la taille : la mise aux points et la taille directe.

La mise aux points : le sculpteur est plus un modeleur à main libre qu’un praticien de la pierre, il invente donc un modèle, en argile ou en cire principalement, dont lui ou un spécialiste prendra l’empreinte en plâtre. C’est à partir de ce moule qu’un technicien pratiquera l’élargissement, toujours en plâtre et à la grandeur voulue, qui servira comme modèle de fonderie pour une édition en bronze, tandis qu’un plâtre grandeur nature sera présenté au salon des beaux-arts dans l’optique qu’un amateur fortuné, voire une institution nationale ou l’état lui-même, commande la réalisation en marbre, d’un prix de revient très élevé. Cette dépense dépassait de beaucoup les moyens d’un sculpteur de talent et seuls quelques génies reconnus ( [**Rodin*] par exemple) se permettront ce genre d’excentricités. Ces marbres étaient, généralement, ébauchés par des ouvriers de la taille avant d’être, potentiellement mais pas systématiquement, terminés par l’artiste lui-même.

La taille directe : véritable artisan de la taille, l’artiste utilisera un bloc de pierre ( marbre blanc, marbre de couleur, onyx, diorite, basalte…) pour créer le sujet qu’il désire. L’œuvre finale est donc préexistante dans le matériau et l’artiste «  n’a plus qu’à l’extraire de sa gangue originelle ». Ce qui n’est pas une mince affaire !

Il fallait s’appeler [**Michel-Ange*] pour oser frapper de son marteau et user de son ciseau le bloc en face de soi, en ayant la certitude de donner une vie extraordinaire à la sculpture ainsi réalisée.|center>

Naturellement, ces deux méthodes ne s’excluent pas et l’on connaît d’innombrables sculptures taillées auxquelles tous les membres d’un atelier d’artiste mondialement célèbre ont participé : ainsi [**400*] sculptures sont sorties de l’atelier de Rodin ! On imagine bien que le maître de Meudon ne travaillait pas seul : [**Bourdelle*] était son chef d’atelier dont [**Schnegg, Desbois, Escoula, Camille Claudel*] et bien d’autres étaient les praticiens…Idem pour un génie comme [**Le Bernin*] dont l’  « Apollon et Daphné », universellement admirée, fut une œuvre commune avec ses assistants, comme[** Finelli*] qui réalisa les passages les plus complexes dans la chevelure de la nymphe.

Ainsi rien n’est si clair, on peut le comprendre : les analyses des critiques d’art ont trop tendance à suggérer que les deux méthodes sont incompatibles, par volonté délibérée de simplification quelque peu excessive…

En revanche, les débuts du vingtième siècle virent un regain d’intérêt pour la taille directe absolue, considérée comme seule authentique : la majorité des nouveaux talents du temps venaient de la masse des tailleurs de pierre qui n’auraient jamais accepté une quelconque compromission de leur art, à l’instar de [**Joseph Bernard*] ou de Mateo Hernández (1884-1949), vedette de cet article.

[** Mateo Hernández *] (1884-1949) est originaire de la ville de Bejar, près de Salamanque en Espagne du nord-ouest. Il est issu d’une dynastie de tailleurs de pierre mais son père devint un « architecte, constructeur en granit  ». Suite à un mariage raté, il part étudier aux Beaux-arts de Salamanque en 1906. On le retrouve exposant au salon de Madrid en 1908( quatre œuvres). Il s’installe à [**Paris*] en 1910. |left>

Il ne retournera qu’une fois dans son pays natal, pour une courte période, mais il ne reverra jamais son épouse. Sa fille tentera, vainement, de le rencontrer en France où il vit maritalement, dès 1912, avec une jeune française : [**Fernande Carton*].

Très vite, Mateo pratique la taille directe de blocs de pierre. Ses sujets sont les animaux du Jardin des plantes qu’il observe journellement. Dès le départ, il pratique le granit, la diorite, le basalte…C’est dire que ses aptitudes à la taille directe n’ont d’égales que ses capacités à sentir, à respirer la pierre, dans l’intention de rendre l’essence de l’animal, dont il saisit la vérité intrinsèque, et non la réalité extérieure.

Son talent est immédiatement reconnu par ses pairs mais c’est seulement au Salon d’automne de 1920 qu’il explosera avec sa « panthère », vendue 60.000 francs au [**baron de Rothschild*], une somme fabuleuse pour l’époque.

A partir de ce moment, la confiance lui vient, il est en pleine possession de ses moyens. Avec ce triomphe, tout embarras d’argent disparaît et l’artiste peut travailler les matériaux les plus difficiles. Il présente ainsi à l’Exposition internationale des arts décoratifs, en 1925, sa fameuse «  Panthère de Java » en diorite, sculpture de plus de deux mètres de long aujourd’hui conservée au Metropolitan Museum de New-York. Il recevra le grand prix de la sculpture pour cette merveille. On y verra aussi : La grue couronnée, L’aigle royal ( schiste)… L’artiste est alors célébré dans toute l’Europe comme en Amérique.

Les critiques, unanimes, le considèrent comme le roi de la taille directe par sa parfaite maîtrise technique qui lui permet de s’attaquer au granit, au porphyre, ou au basalte, comme à la diorite. Tous des matériaux très délicats à travailler.|center>

Sa première exposition en Espagne se tiendra à [**Madrid*] en 1927. Il montre 37 sculptures, toutes en taille directe naturellement. Ce sera un succès total, avec des achats de la famille royale.

En 1928, le couple qu’il forme avec Fernande s’installe à [**Meudon*], dans une vaste demeure ou il place de nombreux animaux, parfois exotiques, à l’instar de l’ourse Paquita qui finira ses jours au Jardin des plantes, après la mort de l’artiste…

En 1930, il reçoit des mains du président de la République [**Gaston Doumergue*] la Légion d’honneur, en récompense de son labeur acharné, heureusement confirmé par tous les acteurs du marché de l’art du temps, y compris aux États-Unis. En 1936, il présente un groupe de chimpanzés en granit noir qui sera à nouveau exposé en 1937. En 1938, ce sera un nouveau chimpanzé de granit noir, mais cette fois grandeur nature… Sa gloire devient internationale. Malheureusement survient la Seconde Guerre mondiale et l’activité artistique disparaît presque entièrement. Sa santé décline et il décède peu après à Meudon (1949).

Suite à divers événements, son œuvre sera regroupée le plus complètement possible au musée de Bejar, sa ville natale. Madrid et certains musées importants, comme le Metropolitan de New-York, possèdent certaines de ses sculptures. Au musée « La piscine » de [**Roubaix,*] on voit une biche couchée en diorite. Au musée de Cambrai, on remarque un marabout en pied de granit noir…|center>

Ce qui caractérise le plus son œuvre, d’une modernité évidente que personne ne conteste, c’est une recherche poussée de l’expression des volumes et des formes, issue de sa faculté particulière à rendre, impeccablement, la pureté des lignes de force qui sous-tendent l’œuvre finale. A cet égard, son « Chimpanzé marchant » en montre toutes les apparences.

Mateo Hernández n’est donc pas quelqu’un pour qui le mouvement est une donnée à prendre en compte. C’est un artiste dont toute réalisation est immédiatement reconnaissable par son aspect hiératique, à la sensibilité proche de celle des artistes de l’Égypte pharaonique. Il cherche à rendre la nature profonde de ce qu’il regarde, dans un respect absolu du métier de sculpteur : chez lui, aucune fantaisie décorative mais une épure sculptée, pas de fioritures, pas d’excès, pas de négation de la forme, seulement la vérité de l’art tridimensionnel.

Naturellement, les prix atteints par ses œuvres, rares en ventes publiques, sont de plus en plus élevés… Ce qui a provoqué un scandale voilà quelques années : s’apercevant de ce « manque de marchandise » sur le marché de l’artiste, certains personnages peu scrupuleux se sont arrangés pour « tirer des surmoulages » de sculptures de l’artiste qu’ils pouvaient approcher ici ou là… Et, à partir de ces derniers, réaliser des éditions de bronzes, vendus comme des originaux de Mateo Hernández  !|right>

Soyons clairs : jamais l’artiste n’a envisagé l’édition de ses œuvres, dans quelque matériau que ce soit. Il s’agit d’un déni des recherches et du travail de ce génie qu’était Mateo Hernández . Ce genre de pratique doit être, fermement, condamné.

De nos jours, son immense labeur créatif est entré au Panthéon de la longue histoire de l’art. Si l’homme s’est effacé devant son œuvre, celle-ci nous est devenue familière, sympathique et respectable. Nul doute qu’il en est heureux mais ne nous trompons pas : il savait avoir du génie…

[**Jacques Tcharny*]|right>


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WUKALI 09/06/2017

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