A medieval tale of visual splendor
Les metteurs en scène du septième art ont abordé tous les sujets, créant des genres différents. Certains sont entrés, tôt, dans la légende : le western en est le prototype. D’autres furent esquissés dès l’époque du muet mais, nécessitant des effets spéciaux particuliers, ne purent être vraiment traités en profondeur que dans l’immédiat avant-guerre voire après, du fait de l’évolution technologique appliquée : le fantastique en est la meilleure expression.
Le mot « fantastique » recouvre tellement d’aspects variés que nous essayerons de le caractériser plus précisément en disant qu’à partir du réel, un événement se produit qui provoque l’apparition d’un phénomène paranormal transformant les situations vécues, comme les destins individuels des héros et héroïnes de l’histoire racontée en images.
Cette définition peut apparaître réductrice mais elle est nécessaire pour bien saisir le postulat suggéré. Nous sommes donc bien loin des films utilisant l’arsenal des effets spéciaux contemporains. Le modèle proposé sera ce très esthétique et très maîtrisé film de [**Richard Donner*] : [**« Ladyhawke, la dame de la nuit »*], conte fantasmagorique décrivant un Moyen-Age lié au cycle arthurien et aux romans de [**Chrétien de Troyes*] : donc une recréation intellectuelle de notre temps. Car, contrairement aux apparences, le scénario original est d'[**Edward Khmara*], qui le proposa en 1982 au réalisateur. Ce dernier le fit partiellement ré-écrire. Le film fut tourné en décors naturels et en studio, en Italie. S’il reçut un accueil plutôt favorable de la critique, il fut un échec commercial à sa sortie aux États-Unis. L’Europe lui fut plus bienveillante, sans plus.
La musique d’Andrew Powell mélange allègrement chants grégoriens, orchestre traditionnel et rock progressif, le tout donnant un mélange inattendu, discutable et discuté.
Dans cette terrible histoire, deux amants, Étienne de Navarre (joué par [**Rutger Hauer*]) et Isabeau d’Anjou ( [**Michelle Pfeiffer*]) fuient la colère du trouble et détestable évêque d’Aquila (John Wood), fou amoureux de la jeune femme qui, en s’acoquinant avec les puissances des ténèbres, leur a jeté un sort : le jour elle devient faucon, la nuit le transforme en loup. Ils sont toujours ensembles et toujours séparés. Un jeune voleur, Philippe Gaston ( [**Matthew Broderick*]), réussit à s’évader de la prison du prélat-dictateur. Avec l’aide du vieux moine Imperius ([**Leo Mckern*]), il va alors aider Navarre et Isabeau à combattre le démon mitré afin de retrouver, en permanence, leur aspect humain.
Certains voient dans le film « un conte de fée élégant », « romantique » « au final prévisible » et « aux effets spéciaux limités » ; d’autres « un conte de fée agréable », « bien fait », « aux décors et costumes authentiques », « un tourbillon d’aventures sans temps mort »…
La réalité est toute autre car le film n’a vraiment rien d’un conte de fée ! C’est un cauchemar, qui sert de toile de fond à cette épouvantable damnation, et seul un miracle peut sauver les amants. Il se produira mais quel parcours du combattant : des embûches, des chausse-trappes, des scènes d’horreur absolue comme celle où le chasseur de loups apparaît avec les peaux des bêtes qu’il a tuées, aux yeux épouvantés d’Isabeau, très brillamment interprétée par une [**Michelle Pfeiffer*] à la présence nocturne un peu décalée, au charme d’un érotisme incontestable quoique assez discret. Elle incarne parfaitement la dame de cœur de ce jeu subtil.
Le preux chevalier, tout de noir vêtu, chevauchant un coursier noir, à la fois paladin de l’épée et guerrier arbalétrier, bien rendu par un [**Rutger Hauer*] au sommet de sa forme, est d’une solidité et d’une permanente force expressive. Lui ira au bout de cette tragédie, sans faillir et quoi qu’il lui en coûte. Ce qui le pousse à l’affrontement avec le diabolique évêque d’Aquila le dépasse : littéralement, il est le bien se dressant contre le mal absolu qu’est son ennemi, ce manichéisme étant une nécessité du scénario.
[**Matthew Broderick*], le juvénile voleur évadé, meneur de jeu, témoin et acteur de ce maléfice, est en porte-à-faux par son dialogue unilatéral avec Dieu. Il fait parfois sourire le spectateur mais il ralentit la continuité et la cohésion du récit : le critique du NewYork Times a raison. On comprend aisément le désir de créer une diversion du metteur en scène : la noirceur des événements vécus nécessite un grain de fantaisie souriante, mais l’effet obtenu est loin d’être en adéquation avec ce que recherchait [**Richard Donner*].
En revanche, une mention spéciale doit être décernée aux animaux filmés et à leurs dresseurs : le loup noir est extraordinaire de présence, de puissance et de vérité. Quant il massacre le chasseur lancé à sa poursuite par l’affreux évêque, nous applaudissons sans retenue. S’agit-il d’un chien-loup ou vraiment d’un loup ?? Quant au faucon, magnifiquement filmé dans ses circonvolutions aériennes, sa souffrance est déchirante.
Les amateurs d’heroic-fantasy démonstrative ou de guimauves hollywoodiennes moyenâgeuses en sont pour leurs frais : ici, rien de ce type, aucun code lui correspondant. Tout au contraire, c’est un drame qui se développe sous nos yeux, sans temps mort. Un drame qui fait appel au roman médiéval, pas au merveilleux héroïque. La légende de Tristan et Yseult n’est pas loin, celle de la fée Mélusine non plus, comme la Cour des miracles et ses tire-laines et autres coupe-jarrets.
La reconstitution est nette,impeccable : aucune forfanterie, pas de fioritures, pas de détour au-travers d’un onirisme de supermarché. On part d’un point précis vers un final inexorable. De la simplicité dans les dialogues, du dépouillement dans des effets spéciaux réduits, des images poétiques magnifiques dont on ne lasse pas, un tourbillon superbe de couleurs adaptées aux situations vécues ( noir dangereux de la nuit, rouges de braises du soir, bleus intenses du matin, gris indéfinissable de l’éclipse solaire…) ne sont pas les moindres attraits de ce film étonnant, surprenant, quasiment hors-catégorie, qui se termine en une apothéose de couleurs inconnues, d’images sensorielles positives, d’expressions de sentiments retenus : amour, amitié…
C’est probablement là qu’il faut chercher son insuccès : le public pensait aller se délasser, passivement, à la vision d’un film du style Narnia (avant l’heure), il tombe sur une œuvre faisant appel à la réflexion, à l’intelligence et à la participation active du spectateur…
Avoir raison trop tôt est une certitude d’échec, quelque soit la qualité du travail effectué. Lentement, mais sûrement, cette « dame de la nuit », fragile et sublime, rejoint le panthéon du septième art comme le reconnaissent, aujourd’hui, critiques et public, enfin à l’unisson.
**Voir ici le film en version originale intégrale en anglais et sous-titrée :*] [**[Ladyhawke*].
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WUKALI 01/07/2017