What else to say about this love passion
Parfois je fais vraiment œuvre de persévérance. J’ai horreur de ne pas terminer un livre même quand il ne me plaît que moyennement (et la liste est assez longue car [**Zola*] m’endort, [**Thomas Mann*] aussi, c’est dire que certains « classiques » me laissent hermétique, mais surtout que ce que j’écris c’est par rapport, avant tout, à mes goûts. De fait, je ne critique jamais un livre, je ne fais que retranscrire les émotions, le ressenti que j’ai éprouvé à la lecture. Ce n’est donc qu’un avis très personnel qui n’engage que moi, et, indirectement, Wukali qui publie mes avis. Aussi lecteur de ces lignes il ne faut pas me faire confiance car mes goûts littéraires ne sont pas obligatoirement les tiens. J’ai un ami qui ne comprend pas comment je n’ai pas pu finir la critique de La Métaphysique des mœurs de [**Kant*], car selon lui c’est un texte superbe assez facile d’accès. Soit, il est professeur de philosophie ce que je ne suis pas, et sa profession, pour ne pas dire sa passion, influence quelque peu ses lectures. Bien que, il lit beaucoup de livres d’histoire et de romans, ce qui montre un éclectisme qui l’honore).
Tout cela pour dire que, je l’avoue, il m’a fallu une énergie certaine pour lire [**Fugato*], ce roman d’André Lorant, sans même sauter une ligne. Pourquoi, me suis-je demandé, ai-je autant eu de peine à le lire et à le finir ? Pourtant il avait tout pour me plaire : un metteur en scène d’opéra, Carlo, la soixantaine rayonnante rencontre une jeune violoniste Giovanna. Une histoire d’amour se tisse entre eux, mais elle part grâce à son entregent au Mahler Chamber Orchestra de Venise. Et, comme loin des yeux loin du cœur, et comme le dit la chanson « que c’est triste Venise au temps des amours mortes », cela ne se passe pas particulièrement bien.
Mais voilà, le moins que l’on puisse dire, Carlo ne m’a pas été du tout, mais alors pas du tout sympathique. Il est pleurnichard, soit, mais surtout totalement égocentré : il se veut être Pygmalion, mais de fait ce que ressent Giovanna est le cadet de ses soucis, ce qui l’intéresse dans cette relation, au delà du plaisir de plaire à une femme qui a l’âge des petits enfants qu’il n’a pas (la fierté du Mâle de plaire à une jeunette) au delà du plaisir physique, il cherche le plaisir sexuel et de s’admirer dans un miroir humain, car c’est avant tout lui qu’il aime à travers Giovanna ou plus exactement à travers la Giovanna qu’il souhaite créer. Et que dire de son attitude quand il ne comprend pas que le fait d’avoir couché avec une étudiante chinoise soit ressenti comme une trahison par Giovanna : comme pour lui c’était un petit pas de côté, il ne peut s’imaginer qu’elle ne pense pas exactement la même chose que lui.
Mais voilà, Giovanna, comme par hasard s’avère être une jeune femme dépressive, traumatisée et, comble de sa perversité morale, lesbienne. On a vraiment l’impression que vu le génie de Carlo, seule une folle ne pouvait comprendre tout le « bien » qu’il lui donnait. En plus, preuve de son ingratitude, voire de son mal-être moral, elle l’accuse de le mettre en prison, ce qu’il refuse d’admettre. Elle essaie de lui expliquer l’amour véritable qu’elle lui porte dans des lettres que certains peuvent trouver très belles et d’autre très mièvres, mais lui dans ses réponses parle avant tout de son nombril et ne répond en rien aux attentes de la jeune femme.
Quand ils rompent, lui continue à essayer de l’influencer, montre qu’il n’est pas du tout à son écoute, et donc ne fait donc que la plonger en compagnie de ses démons. Il ne peut comprendre puisqu’elle est folle et lui une sorte Dieu qu’il faut vénérer ce qu’elle ne veut pas.
Mais voilà, j’adore l’opéra, mais les différentes mises en scène à la Scala ou à Bayreuth, sans compter ce que je dois ressentir devant tel ou tel tableau, à l’audition de tel ou tel morceau de musique, à la lecture de tel ou tel roman, je suis comme Giovanna, trop c’est trop, je veux pouvoir en profiter sans qu’on me dise ce que je doit obligatoirement ressentir.
Carlo, comme l’écriture de ce roman est un pédant, antipathique en plus. Et je ne parle pas des digressions qui ne font que ralentir la lecture, car si [**Fugato*] est un guide touristique, musical, artistique, il est aussi un guide culinaire : à Lecce il faut à tout prix déguster « le pain d’Altamura acheté au marché de la Porta Rudiae » (surtout pas à un autre marché), « la saucisse seiche de Naples du traiteur de la piazzetta Congedo « et que dire de l’œuf en gelée du restaurant Guido e Figli (viale Venticinque Lugio) ou des boules à la parigina recouvertes d’une fine pâte de beignet, spécialité du Prato bar de la piazzetta Castromediano. A croire que ce roman est sponsorisé.
[**Fugato*] est une sorte de « contre-roman » tant le personnage principal est égotiste, voir manipulateur. C’est l’exemple parfait du jouisseur autiste, qui au nom de ce qu’il pense être l’art veut vivre dans l’art, comme il pense que l’art nous incite à vivre, sans strictement se préoccuper des dommages collatéraux qu’il cause. On souffre avec Giovanna, on a envie de cracher sur Carlo. Pas certain que c’était le but de l’auteur quand il a entrepris l’écriture de ce livre.
[**Fugato
André Lorant*]
éditions Cohen & Cohen. 21€
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WUKALI 20/07/2017