Yiddish, a cultural and linguistic amphibology


Le yiddish, parlé par les Juifs ashkénazes, s’écrit en alphabet hébraïque même si ce n’est pas une langue consonantique (on y ajoute les voyelles) comme l’hébreu. Sa grammaire repose sur des bases de la grammaire allemande et son vocabulaire se compose d’éléments de haut moyen allemand (80 %) et sémitiques (10% d’hébreu et d’araméen), de langues romanes et slaves et son développement commence en Lotharingie en 1250. Le yiddish est une expérience du plurilinguisme et de l’écart à une langue. C’est une métaphore d’une ouverture sur l’inconscient dont le Witz, le mot d’esprit, est un modèle, que l’on peut retrouver dans d’autres contextes linguistiques où la parole du sujet ne coïncide pas avec une langue. Il s’agit de s’interroger aujourd’hui après la destruction de la Mitteleuropa à plusieurs niveaux, d’abord sur le plan même de l’état actuel du yiddish dans le monde. Que se passe-t-il exactement ? Quel état des lieux peut-on dresser ? Est-ce une langue vivante, morte, ni vivante ni morte, entre les deux, une langue de culture que l’on centre sur l’étude de la littérature, de la grammaire et du vocabulaire ? Ce paradigme du yiddish est- il opératoire pour analyser d’autres contextes linguistiques aujourd’hui ? Lesquels et comment ?

La famille de [**Sigmund Freud*] provient de Galicie, en pleine zone linguistique yiddish dont le galicien est d’ailleurs une forme dialectale parmi d’autres. Son père, Jacob Kelemen, est né à Tysmenica en Galicie orientale et a vécu à Lemberg où le yiddish prolifère. Sa mère, Amalia Natanssohn, est née à Brodie, en Galicie du Nord. Il se trouve que Freud, lorsqu’il raconte en 1925 dans sa Selbstdarstellung l’itinéraire de sa famille, décrit en même temps ce qui a été le trajet du yiddish:|right>

« Je suis né le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie dans une petite ville de l’actuelle Tchécoslovaquie. Mes parents étaient juifs et je suis resté juif. Je crois savoir de ma famille paternelle qu’elle a vécu longtemps au bord du Rhin (Cologne) et qu’à l’occasion d’une persécution elle s’enfuit au XIVe ou XVe siècle vers l’est, et commença son retour (Rükwanderung) au XIXe siècle, de Galicie vers l’Autriche de langue allemande. Je suis venu à quatre ans à Vienne et y ai fait toute ma scolarité ».

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[**Yosef Hayim Yerushalimi*] rappelle que selon [**Theodor Reik*], la mère de Freud, [**Amalia*], parlait avec son fils le yiddish de Galicie bien qu’elle ait grandi à Vienne et que dire alors de [**Jakob*], son père qui avait grandi en Galicie ? Il relève 13 mots yiddish dans sa correspondance publiée qui sont passés dans le langage courant comme chutzpah (culot) aux États-Unis, par exemple, shammes (bedaud), schnorrer (mendiant), meschugge (fou), parnosse (emploi).Dans l’interprétation de son rêve, « mon fils le myope », Freud dit s’être renseigné pour savoir ce que veut dire geseres dans l’expression Auf Geseres, Auf Ungeseres (de l’hébreu gezer, décision, gozer, décret, en yiddish, goyzer, décret, non favorable) alors que tout le monde sait qu’il s’agit des mesures et des persécutions antijuives. Pour lui d’après ses renseignements, l’hébreu signifie « douleur prédestinée, fatalité » et dans le jargon juif, « plaintes et gémissements ».

C’est le mécanisme même du yiddish au sein duquel Freud se situe. C’est l’écart à une langue qui a permis à Freud la découverte de l’inconscient. Une langue n’est pas là au départ d’où tout découle. Le moindre mot en yiddish convoque l’hébreu et l’esprit talmudique sur plusieurs millénaires d’étude. Cela passe où chez Sigmund Freud et dans la psychanalyse ? L’écart à une langue permet le passage d’une parole et la production de l’analytique. La pensée juive donne de l’importance à la lettre et pas au mot comme le disait[** Claude Sultan*] dans son enseignement talmudique du 24 avril 2017. Les textes bibliques sont faits de suites de noms et d’engendrements. Le verbe hébreu yalad, signifie « engendrer, enfanter », yeled, c’est l’enfant et les engendrements c’est toledot.

Même si le sujet infans n’a pas de langue, Freud est pris dans cet engendrement de mots, de noms, de langues qu’il traduit et qu’il faut essayer de traduire, une expérience clinique du langage, des langues, de lalangue dont parle [**Jacques Lacan*], la langue des origines, la langue archaïque qui fait un lien avec le corps de la mère et qui se traduit par toutes sortes d’affects qui restent énigmatiques et dont il faut se détacher.

[**Max Kohn*]|right>

Lacan, J., Encore, Le Séminaire, Livre XX, Paris, Seuil, 1975.


[([**Autres articles de Max Kohn parus dans Wukali*]

Le préanalytique : Freud et le yiddish

Le récit dans la psychanalyse par Max Kohn

Max Kohn, psychanalyste, sémanticien et passeur d’histoires
)]


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WUKALI 22/09/2017
Illustration de l’entête: Sigmund Freud à sa table de travail

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