Phantasms and morbidity through the image of Salome in the recent times

**[**La Belle Époque, l’Art Nouveau et le Jugendstil*]

Si [**Gustave Moreau*] et l’Hérodias de[** Flaubert*] ont été à l’origine d’un regain pictural de la danse de Salomé, c’est bien l’apport du jeune [**Aubrey Beardsley*] qui va en révolutionner le style pour au moins les vingt années qui suivent. Réalisée sur la base du symbolisme de [**Moreau*], et dans l’environnement le plus décadent qui soit en 1893, sa série d’illustrations en noir et blanc pour l’édition en anglais de la pièce d’[**Oscar Wilde*] est une première émergence graphique d’un mouvement artistique qui va inspirer beaucoup d’autres illustrateurs de Salomé (1).

Cet Art Nouveau se met aussi en affiches avec [**Georges de Feure*] (pour le spectacle Salomé de [**Loïe Fuller*], 1895) ou [**Alphonse Mucha*] (Salomé, 1897), et retrouve l’héritage de Moreau dans les étranges Salomé du niçois [**Gustav Adolf Mossa*] (1904-1910).

Olécio partenaire de Wukali

Plus qu’ailleurs en Europe (2), Salomé est présente en Allemagne-Autriche avec les sécessionnistes [**Franz von Stuck*] (trois Salomé en 1906), [**Oscar Kokoschka*] (1906), [**Gustav Klimt*] dans sa période « géométrique » (Judith II /Salomé, 1909), [**Otto Friedrich*] (Salomé, 1912),[** Josef Engelhart, Wilhelm List, Hans Unger*] (1917) et [**Adolf Frey-Moock*], dont le halo verdâtre phosphorescent de la mystérieuse Salomé égyptienne évoque les verreries de [**Gallé*] ou [**Daum*] (1910).

Un autre versant pictural, qui ne revendique pas d’étiquette avant-gardiste, est inspiré par les spectacles et les cartes postales de toutes les Salomé actrices ou danseuses de pantomimes de la Belle Époque, [**Maud Allan, Mata Hari, Lili Marberg, Gertrude Hoffman, Ruth St Denis*] pour les plus connues, ainsi que leurs innombrables imitatrices en Europe et aux USA. Le but du peintre n’est pas seulement d’atteindre le réalisme de la photographie, mais de la dépasser par la couleur, et par un supplément d’érotisme (3), voire d’hystérie.

L’hystérie ! Comme l’explique le Professeur **Laxenaire*] (3/A) (cette névrose fut la grande affaire des aliénistes de la fin du siècle et des inventeurs de la psychanalyse. Les lecteurs qui auront examiné les représentations moyenâgeuses de Salomé contorsionniste (cf. supra,[ « Le Moyen Âge ») seront tentés d’en faire un rapprochement avec ce que l’on a nommé plus tard « l’arc hystérique de Charcot » tel qu’on le voit dans l’Iconographie photographique de la Salpêtrière (1876-1880). Et en ce qui concerne ce « corps renversé », les rapports entre la peinture et l’hystérie, plus particulièrement au XIXe siècle, ont été parfaitement explorés par l’universitaire genevoise [**Céline Eidenbenz*] (4). Mais il convient toutefois de préciser ce qui différencie l’opisthotonos (terme médical, du grec opisthen ὄπισθεν, en arrière, et tonos, tension) de la patiente hystérique, et le cambré de la danseuse, alors que ces deux attitudes pourraient être confondues à l’examen d’une sculpture, d’une enluminure ou d’un instantané photographique. La cambrure dorsale de l’hystérique se fait en hypertonie, voire en catalepsie, la patiente a les yeux révulsés, et elle exprime avec une voix déformée des propos inappropriés. A l’inverse, exécuté par une danseuse orientale ou une danseuse de ballet classique, ou encore une patineuse artistique, le cambré s’effectue dans la souplesse, la vivacité et la variété des mouvements ; la danseuse fait valoir aussi l’éclat de ses yeux maquillés, et elle ne parle pas. Comme l’hystérie, la danse répond à un besoin d’expression corporelle, mais elle s’inscrit dans une activité artistique ; elle entrainera séduction ou plaisir, enthousiasme ou désir, et suscitera une récompense : simple bouquet de fleurs ou grandes richesses (Hérode /Oscar Wilde : « la moitié de mon royaume !»).

A l’opposé, la grande attaque hystérique effraie et fait fuir les témoins, et selon les circonstances entrainera une paire de gifles, une douche froide, le recours à un exorciste, voire la condamnation au bûcher ou la mise à mort immédiate (Hérode : « Tuez cette femme ! »).

C’est après les premières représentations de la pièce de [**Wilde*] et de l’opéra de [**Strauss*] que les peintres figurèrent Salomé en danseuse hystérique, avec les yeux exorbités et une expression de folie sur le visage (5), comme on peut la voir encore de nos jours dans certaines productions de l’opéra (6).

Il faut citer aussi deux peintres en rupture complète avec tout ce qui avait précédé, d’abord le précurseur de l’expressionnisme qu’était [**Edvard Munch*], représentant sa torture morale à trois reprises (7) puis [**Pablo Picasso*] avec sa jeune saltimbanque intégralement nue levant haut la jambe devant Hérode – un grand battement jamais exécuté par la danseuse avant ce dessin de 1905 – et une Danse des voiles cubiste de 1907.

Place à la laideur et au comble de la nécrophilie : en 1913, le tableau expressionniste de [**Max Oppenheimer*], proche [**d’Egon Schiele*], annonce la fin de la Belle Époque ; on y voit une femme nue à l’anatomie disloquée, et seul le rouge du sang tranche sur un ensemble ocre délavé ; le prophète est non seulement décapité, mais émasculé, et le baiser ne se fait plus sur la bouche, mais sur le sexe…


**[**L’entre-deux-guerres*]

Après les horreurs de la Grande Guerre, l’égyptomania est devenue un sujet bien futile. La débauche de cartes postales de Salomé Belle Époque a saturé le public, et le sujet n’intéresse plus les peintres. Désormais, Salomé n’est plus une image, elle est devenue une musique : pour les siècles à venir, ce sera l’opéra de [**Richard Strauss*], et pour les dancings des Années folles, les valses et fox-trot de Messieurs [**Joyce*] et [**Stolz*] (1A). Non pas que la pièce d’Oscar Wilde ait déjà été oubliée, puisque plusieurs nouvelles éditions avec des illustrations de style Art Déco voient le jour (2A), mais il y a aussi le cinéma, qui commence à supplanter la scène. La grande star du muet [**Theda Bara*] (Carmen, Cléopâtre, Madame du Barry…) incarne Salomé à l’écran en 1918. Le film Salomé avec [**Alla Nazimova*] (1923) reste fidèle à Oscar Wilde et à l’imagerie d’Aubrey Beardsley. En peinture, en revanche, le déclin semble inexorable. La Salomé de [**Rupert Bunny*] (1919) est juste un souvenir des Ballets Russes ; celle de [**Jean Metzinger*] (1924) est le portrait Art déco d’une danseuse des Folies Bergère, mais qu’a-t-elle à voir avec le mythe ? Parmi les dernières visions décadentes, le tryptique de [**Salvino Tofanari*] peut garder une certaine séduction perverse, tandis que le tableau de [**Charles Ricketts*] (1925), premier décorateur de la pièce d’Oscar Wilde en 1892, est franchement déprimant. Les Salomé de [**Julio Romero de Torres*] (1917, 1926) sont un peu banales de la part de ce symboliste tardif souvent plus inspiré.

Peintres de la femme, [**Hugo Boettinger, Kees Van Dongen*] (Mademoiselle Geneviève Vix dans le rôle de Salomé, 1920, [**Louis Icart*] (1920 et 1928) et [**Hans Hassenteufel*] (1927, en style Belle Époque) font de Salomé un passage obligé, et non sans charme. [**Axel Linus*] la représente en danseuse de cabaret oriental (1930).

Plus original avec sa série « Transparences », [**Francis Picabia*] superpose sur la même toile plusieurs scènes du banquet d’Hérode et une Salomé au visage vaguement botticellien (1930). Mais tout cela ne laisse pas un grand souvenir…

Avec une belle palette de couleurs, [**Federico Beltran-Masses*], semblant reprendre une idée d’[**Henry Ossawa Tanner*] de 1900, fait un petit scandale à Londres avec sa Salomé entièrement nue dont on ne distingue pas le visage (1918) ; dans un style Art Déco plus tardif, il peint aussi une Salomé en extase aux côtés de Jean Baptiste (1934) et une belle Salomé dénudée aux yeux verts (1932) en qui on peut reconnaître une dame de la haute société anglaise qui a eu aussi un portrait officiel plus décent, [**Lady Anthony Rothschild*] en Princesse égyptienne.

Le peintre russe [**Nicolai Kalmakov*] a émigré en France en 1920 ; trop fier pour vendre ses tableaux, il est mort dans la misère, et n’a été réhabilité que récemment, lorsque son stock de tableaux a été découvert dans un marché aux puces. C’est certainement lui qui a peint avec La Sphinge jouant avec la tête de Saint Jean Baptiste (1928) la Salomé la plus décalée de l’entre-deux-guerres (3A), tandis que la composition la plus ingénieuse est sans aucun doute celle des sœurs jumelles Hérodiade-Salomé du peintre gallois [**Alfred Janes*] (1938).

Avec la Salomé de l’américaine [**Macena Alberta Barton*] (un autoportrait ?), on a pour la première fois une femme nue volontairement anti-érotique, dont le cimeterre sanglant accentuera encore la répulsion qu’elle peut inspirer à la gent masculine (1936). En 1937, [**Salvador Dali*] réalise une Reine Salomé surréaliste, puis plus tard des décors et costumes pour l’opéra de Strauss au Royal Opera de Londres (1949) et La fille d’Hérodiade dansant (1965, pour illustrer une Bible), mais ce sont des œuvres bien mineures dans la production du seul très grand nom de la peinture de cette période à s’être encore intéressé à Salomé.

**[**Et maintenant ?*]

On n’attendait pas que la danseuse [**Ludmilla Tcherina*] nous donnât la Salomé la plus poétiquement érotique de la deuxième moitié du XXe siècle (1). Il faut dire que les nouveaux courants de la peinture et l’art contemporain ne sont guère favorables à Salomé. Seuls quelques artistes « visionnaires », héritiers des symbolistes et des surréalistes, ont illustré la danse de Salomé ou son tête à tête avec Jean Baptiste (2). Mais moins de tableaux en un demi-siècle que Gustave Moreau à lui tout seul cent ans auparavant, c’est bien peu…

En ce début du XXIe siècle, le thème semble reprendre un peu de vigueur, dans des styles extrêmement divers (3) ; si l’on devait attribuer une prime du grotesque humoristique, ce serait à Salomé et Jean-Baptiste de John Drake Moore, seul tableau upside-down de notre recensement.

Remplaçant les pinceaux et les cimaises, les logiciels et le Web donnent à tous la possibilité d’exposer leur vision de Salomé, et c’est désormais l’art numérique qui vient redonner un peu de fantaisie à ce mythe deux fois millénaire (4).

[**Pierre Dambrine*]

à Suivre …prochaine mise en ligne Samedi 14 octobre: 5/ Salomé, statufiée


[([**

Bienvenue*]

Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée… ainsi débute le serment d’Esculape, celui que tout médecin prononce, et qu’un jour eut à dire [**Pierre Dambrine*], car oui notre très éminent et estimé collègue par Apollon et par Orphée, historien d’art fervent et passionné, investigateur curieux, l’auteur de cette remarquable étude sur Salomé, appartient à cette famille illustre qui compta naguère Elie Faure parmi les siens. C’est dire !

Pierre Dambrine à étudié la Médecine à la Faculté de Nancy et fait l’essentiel de sa carrière comme Chef de Service de Cardiologie de l’Hôpital de Freyming-Merlebach ; il est membre de nombreuses sociétés savantes et fondateur en 1990 de l’Association Image Son et Culture de Saint-Avold.

Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir et de vous publier, Monsieur, sur Wukali. En prologue à sa« Missa Solemnis», [**Beethoven*] avait noté : «du coeur vers le coeur» , ce sont des mots, je crois qui parlent pour vous et vous correspondent. Merci !

[**Pierre-Alain Lévy*])]

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Contact : redaction@wukali.com
WUKALI 07/10/2017


[( [**Notes et bibliographie*]

La Belle époque, l’Art Nouveau et le Jugendstil

1) Otto Eckmann (illustration Und Salome tanzt pour Herodias de Josef Lauff, 1896) ; Lucien Pissarro (Salomé, gravure sur bois pour Moralités légendaires de Jules Laforgue, 1897) ; Paul Berthon (Salomé, lithographie de Concubines célèbres, 1898) ; Henry Chapront (Salomé, La Critique, 1900) ; Marcus Behmer (1903) ; Julius Klinger (Salomé, 1909) ; Hugo Kraus (Salomé, 1910) ; René Bull (Tamara Karsavina en Salomé – The Russian Ballet, 1913) ; John Jack Vrieslander/ Hans Zarth (Salomé, 1914) ; José Moya del Pino (illustration pour La Muerte de Salomé d’Emilio Carrere, 1915) ; Lotte Nicklas (1915) ; René Gockinga (Salomé, date ?) ; Kaizo Osawa (Salomé, 1922) ; Mac Harshberger (1922) ; Nina Fogt-Zilberstein (Vision of Salomé, 192?) ; Richard Bruce Nugent (c. 1925-1930) ; Donia Esther Nachshen (c 1940).
2) Vardges Surenyants (arménien, 1907) ; Laurits Regner Tuxen (danois, 1910) ; Juan Sala (catalan) ; Jan Konupek (tchèque) ; Vittorio Zecchin (italien, 1918) ; Edward Okun (polonais, 1925).
3) Leopold Schmutzler (1903) ; Josef Wenig (1907) ; Robert Henri (2 fois en 1909, avec Ruth St Denis en costume de danseuse indienne pour modèle) ; Julio Borrel Pla (1910) ; Gaston Bussière (1914).
3/A) Professeur [**Laxenaire*] : professeur Honoraire de Psychiatrie au Centre Hospitalo-Universitaire de Nancy et Président de l’Institut Français d’Analyse de Groupe et de Psychodrame
4) Céline Eidenbenz : Expressions du déséquilibre. L’hystérie, l’artiste et le médecin (1870-1914), thèse de doctorat, Genève 2011. L’âme renversée. L’arc hystérique et ses corps à rebours autour de 1900, in Pulsion(s) -Art et déraison, catalogue de l’exposition du Musée Félicien Rops de Namur, Renaissance du Livre, 2012, pp 51-89. Salomé, une « déesse de l’immortelle Hystérie » au temps du symbolisme, in La Rumeur Salomé, sous la direction de David Hamidović, Éditions du Cerf, 2013, pp 137-158.
5) Franz von Stuck (1906) ; Gyula Eder (1907) ; Leopold Schmutzler (1910) ; Franz Paul Maria Guillery.
6) La captation vidéo de la scène finale réalisée à Berlin en 1990 avec Catherine Malfitano dans le rôle-titre illustre parfaitement cette Salomé hystérique
7) Un portrait sur fond rouge, étranglé dans une vulve géante (Salomé Paraphrase, 1898) ; avec sa muse Eva Mudocci (Salomé, 1903) ; décapité avec une femme vieille et grotesque (Salomé II, 1905).

L’entre-deux guerres

1) Voir Salomé en musique; Bulletin de l’AISC n°102, nov 2015
2) Frits van Alphen (1920) ; Alastair (pseudonyme du Baron Hans-Henning von Voigt, 1922) ; John Vassos (1927, fig. 45) ; Manuel Orazi (1930).
3) Il avait déjà fait un dessin « klimtien » pour un costume de Salomé en 1908 et peint une Salomé très originale en 1918.


Et maintenant ?

1) Visible sur salome.orchesis-portal.org/index.php/1951-2000. Danseuse étoile, chorégraphe, actrice de cinéma, romancière, peintre et sculpteur, Ludmilla Tcherina (1924-2004) avait dansé Salomé pour un ballet télévisé de Maurice Béjart en 1969.
2) Ernst Fuchs (années 70) ; Jaime Zapata (Salomé, 1986) ; Danny Malboeuf / Kolaboy (Salomé à l’araignée ; Young Salomé, 1989 ; Salomé by the Sea, 1997) ; Edward Ulan (Le festin d’Hérode, 1992) ; Alexander Voronkov (1993) ; Gino Rubert (El beso ; Salomé).
3) Léonard Muca (La Danse de Salomé, 2001) ; Jennifer Linton (2002) ; Glen Vause ; Vania Zouravliov (fig. 52) ; Takata Yamamoto (2006) ; Joanna Chrobak (2007) ; Rocco Normanno (2008) ; Sergey Sotnikov (2009) ; Chie Yoshii ; Caroline Smith (2010) ; Ray Donley (2010) ; Roberto Ferri (2011) ; Nani Serrano (2014).
4) Henno Drop ; navate ; Mataro da Vergato (2004) ; vkacademy ; Shelly Wan (Self-portrait as Salomé, 2007) ; Paula Andrade / Derrewyn (2010) ; Viki Ye (2012) ; dani-lachuk (2013), et de nombreuses autres images sur le site DeviantArt où chacun peut exposer ses créations.)]

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