A secret letter of Marie-Antoinette deciphered
Les historiens, paléographes, collectionneurs et autres amateurs de l’histoire auront bien des raisons de s’intéresser à la vente d’un manuscrit crypté, une lettre de **Marie-Antoinette*] à [**Axel von Fersen*] (ou plus précisément du marquis de Bouillé) préparant la fuite de Varennes; qui aura lieu le jeudi 17 mai chez [Ader à Paris.
Un document tout à fait fantastique révélé par [**David Chelli*] et le mathématicien [**Philippe Moutou*] professeur au lycée Henri IV qui ont réussi à percer les codes de cette lettre. Outre le décryptage en soi passionnant, une découverte surprenante: le code des lettres politiques est le même que celui qui servait entre les deux amants pour leur correspondance amoureuse.
Laissons à David Chelli le soin de nous révéler dans Wukali le contexte politique de l’époque et d’évoquer les problématiques liées au décryptage
[**P-A L*]
[**Lettre codée par le Marquis de Bouillé à Axel de Fersen, avril 1791*]
– [**1) Le contexte *]
Début [**1791*], le roi est réticent à une possible fuite. Mais les événements révolutionnaires vont hâter la décision du roi : le 17 avril 1791, le roi annonce qu’il se rend au Château de Saint-Cloud pour fêter Pâques avec sa famille. La population amassée devant les grilles des Tuileries l’en empêche, de peur qu’il ne s’agisse d’une tentative de fuite. [**Louis XVI*] renonce à utiliser la force, et rentre aux Tuileries. Cet événement, souvent surnommé « les Pâques Inconstitutionnelles » fait comprendre à Louis XVI qu’il est réellement prisonnier, et que seul un coup de théâtre peut faire changer le cours des choses. [**Marie-Antoinette*] écrit « il faut partir ou périr ». Louis XVI donne son aval au projet de fuite élaboré par [**Bouillé, Fersen*] et le [**Baron de Breteuil*], ancien ministre du roi.
Le but est de faire évader le roi et la famille royale en les déguisant. L’équipée est censée se diriger vers une place forte à la frontière belge, dans le village de Montmedy, sous la protection du [**Marquis de Bouillé*], pour pouvoir imposer à la France une nouvelle Constitution. En cas d’échec, Louis XVI pourrait alors faire appel aux troupes étrangères toutes proches. L’Empereur d’Autriche, [**Leopold II,*] frère de Marie-Antoinette n’est toutefois pas décidé à intervenir car son intérêt n’est pas de se mêler des problèmes de la France. Mais il accepte finalement d’engager des troupes à a frontière de la France pour aider Louis XVI si les choses viennent à mal tourner. Les villes belges de Mons, Arlon ainsi que la frontière luxembourgeoise sont à plusieurs reprises évoquées dans les préparatifs. Il convient de rappeler que la Belgique et le Luxembourg étaient à l’époque sous domination autrichienne. Leopold II peut donc y disposer des troupes à son gré.
C’est dans ce contexte que prend place la lettre codée que j’ai déchiffrée. Nous sommes le [**21 avril 1791*], soit quatre jours après l’événement de Saint-Cloud. Le Marquis de Bouillé organise les mouvements de troupes, et essaie de trouver les moyens nécessaires pour payer les soldats. Cette lettre est décisive : elle donne la date de la fuite, l’organisation géostratégique, et prouve la détermination des protagonistes de cette aventure.
– [**2) Le décryptage*]
La table de déchiffrement, qui se trouve dans les papiers – oubliés depuis longtemps ! -de Fersen aux Archives Nationales de Suède (référence exacte : STAFSUND SE/RA/720807/10/20) a été exhumée par [**Evelyn Farr*]
Cette table a été une première fois publiée en 1931 par un certain [**Yves Gylden*] dans une revue de criminalistique, puis redécouverte en 2008 par les cryptologues [**Valérie Nachef*] (Université de Cergy-Pontoise) et [**Jacques Patarin*] (Université de Versailles) (publication commune : article scientifique « Je vous aimerai jusqu’à la mort »). On appelle ce type de cryptage un « chiffrement poly-alphabétique », par opposition à un simple décalage.
– Un livre était convenu à l’avance entre les deux correspondants. Le [**duc de Choiseul*], dans ses Mémoires, nous indique que « ce chiffre était le petit volume de la Grandeur et Décadence des Romains » (de Montesquieu) et explique que sur chaque lettre figure un numéro, celui de la page du livre à ouvrir pour trouver le mot-clé. Le premier mot de la page du livre est alors la clé du code. Ici, il s’agit du numéro 135.
– Je me permets de rappeler ici le mode de fonctionnement de cette table : le mot-clé est « votre ».
– 1ère lettre à décoder se trouve sur la lettre V de « votre » —> la ligne V de la table nous donnera la correspondance à adopter. Ici, la lettre codée est un E —> la ligne V nous indique que le E codé doit être traduit par un S
– 2è lettre à décoder se trouve sur la lettre O —> la ligne O de la table nous donnera la correspondance à adopter. Ici, la lettre codée est un & —> la ligne O nous indique que le & codé doit être traduit par un I
– Le premier mot codé E& est donc à comprendre comme « Si »
– Le « n°12 » est probablement de la main de Fersen (ou secrétaire). En effet, Fersen insiste dans sa correspondance sur la nécessité de « numéroter exactement pour savoir s’il y en a de perdues » (lettre du 6 mars 1792).
– [** 3) Le texte lui-même*]
« Si on ne peut obtenir de l’Empereur un camp à Arlon et un à Mons, il faut au moins l’engager à mettre huit mille hommes à Luxembourg et trois ou quatre à Arlon avec ordre de se joindre à nous dès qu’on aura besoin. Sans cela il est impossible de livrer le roi à des troupes que l’on pourrait corrompre d’un moment à l’autre. Il faut surtout de l’argent. En avez-vous ? On travaille avec un nouvel acharnement les troupes et on use le général auprès d’elles. Ainsi, il faut que tout soit prêt pour la dernière quinzaine de mai au plus tard. Surtout on ne doit négliger aucun sacrifice pour se procurer quinze millions et dix mille Autrichiens disponibles. Avec ces moyens, on croit qu’on peut tout tenter. »
Les éléments sont parfaitement corroborés par de nombreux témoignages de l’époque :
• [**Lettre de Fersen à Marie-Antoinette avril 1791*] (Archives Nationales de France):
«Quant à la force de démonstration, voici ce que me mande [**M. de Bouillé*] dans sa dernière lettre, dont je joins un extrait. C’est d’après ce que je lui ai mandé d’après les réponses de[** M. de Mercy*] qu’il s’est borné à cette demande, et le peu de fond qu’il y a à faire sur les troupes du roi, même sur celles qui sont le mieux disposées, lui fait désirer d’avoir un nombre quelconque de troupes étrangères pour leur donner l’exemple et leur en imposer si cela était nécessaire […]. Le roi est toujours décidé à partir dans les quinze derniers jours de mai. Sa Majesté en sent la nécessité et espère avoir reçu vers cette époque les réponses d’Espagne et avoir rassemblé l’argent nécessaire pour subvenir aux dépenses du premier moment »
• [**Lettre de Marie-Antoinette à Mercy-Argenteau le 20 avril*]
« Notre position est affreuse ! Il faut absolument la fuir dans le mois prochain. Le roi le désire encore plus que moi. Mais avant d’agir, il est essentiel de savoir si vous pouvez porter, sous un prétexte quelconque quinze mille hommes à Arlon et à Virton et autant à Mons. Monsieur de Bouillé le désire fort. »
La fuite sera finalement remise: comme l’indique [**Fersen*] à [**Breteuil*] le 23 mai 1791 : « le roi veut partir dans les premiers huit jours de juin car il doit recevoir à cette époque deux millions de la liste civile qu’on emporterait ». Puis la date sera encore repoussée « pour que les Autrichiens aient le temps de renforcer leur cordon à Luxembourg » (lettre de Fersen à Breteuil du 30 mai 1791). Finalement « le départ est fixé sans aucun retard au vingt à minuit » (lettre de Fersen à Bouillé le 13 juin 1791).
– [**3) Le passage en clair à la fin de la lettre*]
Le fait que les lettres aient été envoyées par la poste pour éviter les soupçons est parfaitement corroboré par un extrait des Mémoires du marquis de Bouillé père : «j’avais concerté avec M. de Fersen des moyens sûrs pour notre correspondance. Nous avions un chiffre que je regarde comme impossible à deviner, et quoique toutes nos lettres passassent par la poste, il est remarquable que, pendant une correspondance de six mois sur un aussi grand intérêt, pas une de ces lettres ne fut interceptée. […] Je fus chargé de toute cette correspondance [ …] Les lettres m’étaient adressées par M. de Fersen pour le Baron de Hamilton. […] J’adressais les miennes pour [**M. de Fersen*] à la [**baronne de Korff*], femme de cinquante ans, intime amie de celui-ci, d’autres fois à [**M. de Silverspare*], secrétaire de l’Ambassade de Suède »
– [**4) La provenance du document*]
[**Evelyn Farr*], dans l’introduction de son livre « Marie-Antoinette, Axel de Fersen, la correspondance secrète », nous indique qu’après la mort d’Axel de Fersen, ses papiers passent à son frère puis à la fille de celui-ci, qui les revend à son cousin le [**baron Rudolf de Klinckowström*], militaire et diplomate comme son aïeul. Ce dernier publie en 1877 une grande partie des archives de Fersen dans un livre qui fait référence quoiqu’il comporte probablement des passages caviardés ou remaniés : « Le Comte de Fersen et la Cour de France ». Par la suite, les archives de Suède héritent d’une partie de ces papiers Fersen. Il reste aujourd’hui là-bas encore un certain nombre de missives qui ont trait à la fuite à Varennes. Toutes ces archives comportent au crayon les indications de la main de Klinckowström. Dans notre lettre est ainsi inscrite au crayon la date et la provenance « du marquis de Bouillé » à deux reprises. Ces indications sont exactement de la même main que celles qu’on l’on retrouve dans toutes les archives suédoises. Les notations au dos « an baron de Staël » et « Datum 21.4.1791 » sont très vraisemblablement postérieures, de la main d’un collectionneur allemand.
Toutefois, coup de théâtre : en 1982, les Archives Nationales de France rachètent aux descendants de Klinckowström des archives, ce qui prouve que tout n’a pas été déposé aux Archives de Suède ! Notre lettre faisant probablement partie de ces archives restées dans la famille de Fersen.
– [**5) La rareté du document*]
Les lettres conservées aux Archives de Suède sont exclusivement des préparations avant codage ou des copies après réception. Ce sont donc des missives qui n’ont pas été expédiées. La lettre dont il est fait état dans cet article a été effectivement expédiée, puisqu’elle est en code, et qu’elle présente les plis caractéristiques d’un envoi. C’est probablement le seul témoignage qu’il nous reste de cette importance. Beaucoup de lettres compromettantes ont été détruites.
[**Madame Campan*] note dans ses Mémoires qu’« après la funeste journée du 10 août […], je me décidai à brûler les papiers les plus intéressants dont j’étais dépositaire». La[** fille de Madame deTourzel*] raconte, en septembre 1792, comment elle avala patiemment une lettre de huit pages « de manière qu’il n’en resta aucun vestige ». Par ailleurs, il est prouvé que[** Franz,*] le majordhomme d[**’Eleanore Sullivan*] la maîtresse de Fersen, a brûlé le journal de Fersen en apprenant la nouvelle de l’arrestation du roi à Varennes.
Enfin, plusieurs sources (dont [**Christine Nougaret*] – article « Marie-Antoinette dans les fonds des Archives Nationales ») nous indiquent que [**Klinckowström*] a lui-même brûlé un certain nombre de documents. En somme, il y a eu plusieurs vagues de destructions. D’autres documents de cette importance réapparaîtront-ils un jour, on ne peut que l’espérer ?
– [**6) Découverte importante liée à ce document*]
Le code déjà cité dont on pensait qu’il était réservé à la correspondance amoureuse Fersen/Marie-Antoinette a en fait aussi servi à rédiger les missives diplomatiques. Isn’ it a French touch entre une reine née autrichienne et un aristocrate suédois!
[([**Ont participé à cette découverte*] les cryptologues [**Valérie Nachef*] (Université de Cergy-Pontoise) et [**Jacques Patarin*] (Université de Versailles) (publication commune : article scientifique « Je vous aimerai jusqu’à la mort ») pour la redécouverte du code, Mme[** Evelyn Farr*] (« Marie-Antoinette et le Comte de Fersen » éditions l’Archipel) pour ses recherches poussées aux Archives de Suède, le mathématicien et professeur au Lycée Henri IV [**Philippe Moutou*] et[** David Chelli*] pour le décryptage de la lettre et la découverte du même code utilisé tant pour les lettres politiques que celui choisi pour la correspondance amoureuse. )]
Illustration de l’entête: arrestation du roi à Varennes. ©Ph. Coll. Archives Larbor
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WUKALI 11/05/2018)]