Interesting comparisons between two major artists


Depuis deux ans, dans le cadre [**Picasso Méditerranée*], le génie espagnol est présent un petit peu partout en France mais aussi à l’étranger. Les expositions qui lui rendent hommage sont tellement différentes et pour certaines tellement surprenantes, qu’on ne s’en plaindra pas.

Le projet imaginé par le [** musée Granet*] et la [**Fundación Mapfre*] est des plus passionnants présentée jusqu’alors au public. En effet, les commissaires [**Aurélie Verdier*] et [**Bruno Ely *] proposent une étonnante confrontation entre [**Picasso et Picabia*], un rapprochement jusqu’alors inédit.

Avec plus de 150 œuvres, des peintures, des dessins, des photographies etc… l’exposition se déploie autour d’une dizaine de thématiques suivant un fil chronologique, de 1907 au début des années 1970.

Olécio partenaire de Wukali

[**Les thèmes*]

– Cubismes (1907-1915)
– Vers l’objet (1912-1917)
– Classicisme et machinisme
– Dada : Vie et mort de la peinture
– Espagnoles et hispanités
– Décoration : Abstraction et opticalité
– Monstres et métamorphoses. Le surréalisme dissident
– Liberté ou réaction. Les années 1930 et 1940
– Fins de partie


[**Picasso-Picabia*] voilà deux noms qui s’associent joliment. Pica signifie « piquer » en espagnol. Littéralement, ça pique et ça démange. Et ici, tout pareil. L’exposition pique notre curiosité dès la première salle. L’envie nous démange d’en savoir plus et on ne sera pas déçu. La présence de Picasso à Aix s’inscrit dans une logique. Le peintre repose pour l’éternité au château de Vauvenargues. Une présence forte encore confirmée par de nombreuses expositions et des enrichissements des collections aixoises grâce notamment à la collection Philippe Meyer et la collection Planque. « Cette exposition s’inscrit dans une continuité. Il était important pour nous de rendre hommage à Cézanne, mais aussi à Picasso sur le territoire aixois» commente [**Bruno Ely*], conservateur en chef, directeur du musée Granet. «Il nous fallait trouver une proposition originale dans la célébration de Picasso car une des particularités de « Picasso Méditerranée » c’est qu’il est toujours question de projets nouveaux et différents». L’exposition est en effet innovante, car elle invite à regarder Picasso autrement. « Le fait de confronter deux artistes permet de voir différemment leur travail. »ajoute Bruno Ely. « Nous l’avions fait pour Picasso Cézanne. Picasso-Picabia, qui n’avait jamais été traité, nous a paru être une manière intéressante de parler de Picasso et bien sûr de Picabia, avec comme fil rouge, l’état de la peinture au XX è siècle. Une peinture sur laquelle on se repose encore aujourd’hui. »

Physiquement les deux artistes se ressemblent un peu. Le visage est massif, le regard profond, ils ont la même corpulence. Ils sont de la même génération et commencent leur carrière dans la première moitié du XXe siècle. Ils connaissent les deux guerres et de toute évidence, il est bien difficile d’être artiste à cette époque-là. [**Picabia*] confiera souvent combien il était choqué lorsque les nazis sont entrés brusquement dans son atelier pour brûler une partie de ses œuvres. Cela sera compliqué de savoir ce qu’il faut faire, savoir ce que l’on peut peindre et comment se situer dans la peinture de l’époque. Les deux artistes feront face aux mêmes problématiques. Ils ne se sont pas copiés certes, mais ils se sont fréquentés, se sont épiés pourrions-nous dire. Sans doute étaient-ils un peu en concurrence. Ils allaient tous les deux fréquemment dans le sud de la France et cette exposition permet de découvrir des sujets communs et apprécier cette force de caractère qui unit ces deux artistes dans le domaine de la peinture.

Bruno Ely explique : « Picasso et Picabia sont très différents en tant qu’artistes. Leurs carrières le prouvent. En même temps il est intéressant de montrer comment ces deux artistes, qui posent la question de la peinture du XXe siècle, vont réagir de façon différente mais aussi parfois de façon semblable ». Picasso supplante t-il Picabia ? Bruno Ely répond à cette question. « Pas du tout. Déjà, ces deux artistes ont une démarche parallèle mais aussi très différente. Picasso continue de croire jusqu’à sa mort à la peinture, tandis que Picabia pense que la peinture pouvait mourir. Ces deux attitudes créent une tension très particulière dans leurs œuvres qui se ressent au fil du parcours et ce, même si l’on n’est pas un grand spécialiste en histoire de l’art, même si l’on n’a pas de grandes connaissances en ce domaine. On sent des choses et ce ressenti crée un réelle dynamique. Une dynamique qui ajoute encore à l’intérêt que l’on a à découvrir les œuvres de ces deux artistes. Et c’est cette dimension-là qui me paraît sans doute encore plus fondamentale dans le projet. |right> » |center>

L’exposition ne commence pas par les premières œuvres de ces deux artistes précoces, ni par l’impressionnisme ou encore le pointillisme qui vont occuper Picabia dans ses premières années avec succès, du reste. Il fera des paysages d’après des photos, et non pas sur le motif, ce qui indique déjà une certaine démarche qu’il gardera ensuite dans son parcours. Un objet, une image, une photo, une carte postale, seront à l’origine de son inspiration. L’exposition démarre avec le cubisme, le premier des styles véritablement modernes qui unira les deux peintres. D’entrée de jeu, deux chef d’œuvres, deux œuvres de références cézaniennes réalisées par Picasso en 1907 et 1908 dont le superbe « Paysage au deux figures »

Bruno Ely : «Le cézannisme est bien représenté ici. On retrouve le thème des baigneuses, dans la nature, avec un corps de femme sur le bas du tableau qui semble être une racine de l’arbre et une autre silhouette accolée au tronc qui pourrait figurer l’arbre lui-même. On retrouve cette simplification des formes, cette géométrisation dans les rochers à l’arrière-plan et cette palette cézannienne avec des ocres, des gris verts, des bleus. »

Procession de Picabia contribuera à faire connaître au public américain l’art des avant-gardes de l’Europe et surtout de Paris. On y voit des religieuses, des pénitents en procession et on peut admirer le magnifique travail sur la couleur. Il faut préciser que Picabia était athée. Il ne s’en cachera pas. On ne s’étonnera guère de découvrir quelques années plus tard des portraits réalistes quasi-religieux, à la limite du kitsch, comme sa Femme au châle bleu, vers 1940-1944, un thème à prendre avec tout le recul qui s’impose.|right>

A côté de ce Picasso cubiste, on découvre un Picabia qui se greffe plus tardivement à l’histoire du cubisme. Il y entrera presque brutalement en 1912 et sera proche des artistes de la section d’or, [**Duchamp, Gleizes, Metzinger*], et d’autres… Il exposera notamment « Procession » avec ce groupe.

Dans ces variations cubistes, Picabia intégrera le mouvement, la vitesse, la danse, la musique, et beaucoup de couleurs, comme le feront [**Sonia*] et [**Robert Delaunay*] à la même période. [**Guillaume Apollinaire*], critique d’art réputé à cette époque-là, veut défendre le côté français de la création et créera l’ « orphisme », un peu pour contrecarrer le futurisme italien. « Orphisme » pour qualifier cette manière de peindre qui met en avant la relation avec la musique, la danse et le mouvement. « Picabia adore la vitesse » précise Bruno Ely. Il possédait des yachts, des villas, et pas moins de 127 voitures de sport ! Son œuvre impressionniste se vendait plutôt bien, mais il faisait surtout partie de la bourgeoisie parisienne, des intellectuels, des gens très cultivés avec de gros moyens financiers. Après la deuxième guerre mondiale, revers de fortune, les choses changeront quelque peu pour lui. Il aura dilapidé une bonne partie de ses biens et sa fin de vie sera plutôt modeste. Il faut préciser par ailleurs que Picabia a souffert toute sa vie de dépressions plus ou moins profondes. « C’était quelqu’un de fragile qui s’est posé beaucoup de questions, remettant tout en cause, notamment par rapport à la peinture. »

Belle présence de Picasso dans une des salles qui expose en son milieu des œuvres graphiques étonnantes. A l’entrée de la salle, on remarque une figure, une des nombreuses œuvres préparatoires pour « Les demoiselles d’Avignon » mais aussi un visage très proche de l’esprit cézannien.

Une œuvre de Picabia retient notre attention, dans une vision cubiste d’une tête de jeune fille, avec toujours ce sens prononcé de la couleur et cette idée de mise en mouvement. |center>

Procédé souvent utilisé par Picabia, l’artiste interviendra directement dans la peinture, écrira le titre de l’œuvre ou encore le thème directement sur la toile dès l’époque cubiste.

[**1913*] est une année importante pour Picabia. Il va partir à New-York, exposera à l’Armory show. Il sera l’un des rares artistes à faire le déplacement et à ce titre là, il sera considéré comme un chef de file de l’avant-garde, ce qui n’est pas tout à fait justifié à ce moment-là , nous confiera Bruno Ely, puisque l’artiste vient tout juste d’adopter le cubisme. Cette reconnaissance l’encouragera cependant à continuer dans ce style de travail, à la limite de la non figuration.|center>|right>

Toujours inscrite dans cette notion de mouvement, de grandes aquarelles comme la superbe « New York » qui illustre cette période. De grandes diagonales sabrent la surface du papier.

Autre séquence singulière offerte par le caricaturiste [**Marius de Zayas*], émissaire du photographe [**Alfred Stieglitz*] de New York, qui, lors d’un séjour à Paris, rencontrera Picabia et Picasso et élaborera dès 1913 des « portraits abstraits  » des deux artistes.
Les œuvres de Picasso et de Picabia seront montrées notamment à la galerie 291 de la Cinquième Avenue.

Au fil de l’exposition, des figures humaines se transforment en machines. On découvre encore les papiers collés de Picasso. « Vers l’objet » est une séquence étonnante sur laquelle on s’attarde, de même qu’on est intrigué par la mise en regard du classicisme et du machinisme, moins éloignés qu’il n’y paraît de prime abord. Qu’est-ce que Picasso et Picabia vont faire de l’objet ? Les démarches sont intéressantes. |right>

Cette exposition met encore en valeur des périodes fastes, notamment celle de l’époque du dadaïsme et celle du surréalisme durant lesquelles les deux artistes fréquenteront les mêmes auteurs, les mêmes poètes qui auront sur leurs oeuvres une influence certaine. Picasso est d’origine espagnole. Picabia avait un père hispano-cubain. Ils ont donc des origines communes et cela se retrouve dans certains thèmes traités. On pense par exemple aux thèmes des Espagnoles.

« Je ne pensais pas que l’on aurait au musée Granet de tels chefs d’œuvres. » Bruno Ely présente deux prêts importants du Musée Picasso de Barcelone. « Madame Canals » que Picasso peindra d’après une photo. Il s’agit en réalité d’une romaine, déguisée à la manière espagnole, superbe tableau de la période rose du peintre. Présent sur les cimaises un autre magnifique portrait, « Femme la Mantille ». Pour lui faire écho, Picabia est bel est bien présent avec ses Espagnoles et on aimera tout particulièrement son délicat travail de « l’Espagnole, peigne brun », une aquarelle et crayon sur papier, 1921-1925.|center>

On décèle aussi au niveau des techniques un aspect décoratif dans leurs œuvres, mais faussement décoratif en vérité, car tous deux peuvent être très agressifs, voire subversifs dans leur manière de travailler. Ils utilisent des matériaux qui ne sont pas liés à la peinture. Ici, une serpillière est utilisée par Picasso pour faire une guitare, là des allumettes et des épingles à cheveux seront utilisées par Picabia pour réaliser un portrait de femme. De nombreuses œuvres seront travaillées au Ripolin, marque de peinture utilisée alors pour les murs.

9 Femme aux allumettes Picabia, 1924-1925, huile et Ripolin sur toile avec allumettes, épingles à cheveux, pièces et pince à cheveux, coll. particulière ©P.W

Picabia entretient des relations avec des artistes tels que [**Tzara*] et on le voit très bien dans l’exposition, il se rallie au dadaïsme, sans abandonner pour autant ses autres passions comme l’écriture et le cinéma. En 1924, il écrit un scénario délirant appelé Entracte, destiné à être diffusé lors d’une entracte pendant le ballet Relâche chorégraphié par [**Jean Börlin*], sur une musique d’[**Erik Satie*]. Picabia poursuivra sa collaboration avec des ballets suédois.

Pour en revenir à la peinture, on assistera ensuite à une sorte de rupture dans les dernières années de Picabia qui oscille entre figuration et abstraction. Une démarche que Picasso n’aura pas puisque jusqu’à la fin, l’artiste restera attaché à cette figuration et reviendra même à un dessin « ingresque » proche du néoclassicisme. Il était tellement dans les avant-gardes, il a tellement apporté dans les différentes phases du cubisme, que ses amis, ses proches, penseront que Picasso régresse. Picabia se moquera même, par dessin interposé de la manière de Picasso de représenter [**Max Jacob*].

On découvre tout à la fin de l’exposition des portraits absolument extraordinaires des 15 dernières années de sa vie. Des oeuvres qui ont été injustement oubliées, rejetées parfois même par la critique, et fort heureusement, on commence depuis quelques années à les considérer comme l’expression ultime de cette quête que Picasso menait dans sa peinture. |right>

L’exposition se termine sur des œuvres créées durant la décennie de leur disparition, en [**1953*] pour [**Picabia*] et vingt ans plus tard, en [**1973*] pour [**Picasso*].

Assurément, l’exposition nous prouve que Picasso ne fait pas de l’ombre à Picabia. Ils sont tous les deux prolifiques et solaires. « Ce qui va aussi rapprocher la démarche des deux artistes, c’est cette volonté de ne jamais vouloir être récupérés par un quelconque mouvement, d’être toujours dans la capacité de changer de style, d’être là où on ne les attend le moins. » dira encore Bruno Ely. « Un peintre, disait Picasso, ne doit jamais faire que ce que les gens attendent de lui. Le pire ennemi d’un peintre, c’est le style ».

On effectue donc avec eux une traversée de l’histoire des mouvements artistiques du 20e siècle durant laquelle on se plait à penser qu’ils n’ont jamais cessé de dialoguer ensemble, même si on réalise combien leur relation était ambiguë.

Pour résumer parfaitement l’exposition, une citation de [**Gertrude Stein*].
«Picabia et Picasso sont environ de la même taille et c’est plutôt une petite taille et ils pèsent à peu près le même poids et c’est un poids plutôt honnête. Et ils ne seraient pas ce qu’ils sont si l’un était l’autre. Et pourtant on dit parfois de Picasso qu’il est un peintre français et de Picabia qu’il est un peintre espagnol. Enfin cela arrive». (Gertrude Stein, Autobiographie de tout le monde, 1937)

Signalons le remarquable catalogue « Picasso Picabia – La Peinture au défi ». Il permet de revivre cette magnifique exposition mais plus encore. Il n’y manque rien. Coédition musée Granet et Somogy éditions, sous la direction d’[**Aurélie Verdier*].

[**Pétra Wauters*]|right>


[**Picasso Picabia – La Peinture au défi*]
Musée Granet. Place Saint Jean de Malte. Aix-en-Provence
Jusqu’au 23 septembre 2018


Illustration de l’entête. Bruno Ely devant Les Amoureux de Picabia.1924-1925


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WUKALI Article mis en ligne le 26/06/2018)]

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