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A la recherche du boson de Higgs.

par Pierre Roth

Histoire d’une découverte bouleversante

Le 4 juillet 2012, un événement scientifique enflamme le monde. La découverte d’une planète habitée ? Une incroyable avancée médicale ? Non, la découverte… d’une nouvelle particule. Une découverte mise en évidence au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) basé à Genève. De la physique, donc. De la science dure, loin de toute application. De la science « gratuite », qui crée un pic d’activité immense sur Google en Europe, aux Etats-Unis et même en Inde ou en Chine. Et fait le buzz sur Twitter, où déferlent dans toutes les langues des commentaires humoristiques. « Un chauffeur de taxi en Asie s’est mis à me parler de cette découverte dès que je lui ai dit que j’étais physicien au CERN », témoigne l’un des participants.

Tout ça déclenché par un petit rien. Une poussière de poussière de poussière. Une broutille, certes, mais qui couronne une quête de près de cinquante ans. Et change tout, en levant un coin du voile sur la naissance de l’Univers. Car il ne s’agit pas de n’importe quelle particule, mais de LA particule. Le boson de Higgs. Ou plus exactement le boson « de Brout-Englert-Higgs », pour rendre honneur aux trois physiciens qui ont, en 1964, postulé l’existence, et donc marqué l’acte de naissance, de cet étrange objet microscopique. Cela faisait presque vingt ans qu’aucune particule élémentaire importante n’avait été découverte. Ce boson ramène des milliards d’années en arrière dans l’histoire de l’Univers. Au moment où, quelques secondes après le Big Bang, tout n’est que soupe informe de particules.

Il va alors jouer un rôle-clé. Sans lui, finalement, personne sur Terre ne pèserait quoi que ce soit… Veaux, vaches, cochons, tout flotterait. Une analogie désormais commune pour expliquer cette magie nous plonge dans un monde sous la neige. L’Univers – en fait, le vide – serait un vaste champ de neige, composé de bosons de Higgs, les flocons. Les particules s’y promèneraient avec soit des skis, soit des raquettes, soit des chaussures. Les premiers iraient plus vite que les seconds, qui avanceraient eux-mêmes plus vite que les troisièmes. Autrement dit, selon l’interaction avec les flocons, les particules auraient plus ou moins de masse. « C’est une nouvelle vision de l’Univers. La masse n’est pas une donnée intrinsèque mais une propriété dynamique. Même des génies n’y avaient pas pensé. C’est révolutionnaire ! », s’enthousiasme Guido Tonelli, physicien italien de 62 ans, longtemps responsable de CMS, l’une des deux expériences qui a mis la main sur cette particule.

Manège de particules

Boson de Higgs - CERN
L’accélérateur de particule du CERN

Ce boson est donc comme un chaînon manquant dans les théories des physiciens. Pour décrire la matière, tels des enfants jouant aux Lego, ces chercheurs n’ont besoin grosso modo que de seize briques élémentaires. Des particules, comme l’électron ou les quarks dont sont faits les noyaux d’atomes qui nous constituent. Mais aussi des photons, messagers de tout ce qui est onde, lumière, radio, rayons X… Et d’autres plus exotiques : muons, neutrinos, gluons. Avec cela, les physiciens sculptent des atomes, des molécules qui elles-mêmes permettent de sculpter des tables, des veaux, des vaches mais aussi des étoiles et des planètes. A condition d’y ajouter un dix-septième élément, le fameux boson, ciment de l’ensemble, le tout constituant ce que les physiciens appellent le « modèle standard ». L’idée est arrivée sous la plume de Peter Higgs, en même temps et indépendamment de François Englert et Robert Brout au début des années 1960.

Olécio partenaire de Wukali

Sa confirmation par leurs acolytes expérimentateurs aura été laborieuse. « C’est l’histoire d’une vie. Je me rappelle les premières idées imaginant la machine à construire pour parvenir à voir cette particule. C’était en 1984 », se souvient Philippe Bloch, à la tête du département de physique du CERN. « Vous n’y arriverez pas », nous disait-on à l’époque. « C’était considéré comme une mission impossible car beaucoup pensaient que les détecteurs ne résisteraient pas aux flots de particules créés dans l’expérience », rappelle[** Guido Tonelli*]. La quête n’avait rien de simple en effet. Enfoui aux tréfonds de la matière, ce boson ne se laisse pas voir facilement. Il faut commencer par casser violemment la matière pour voir de quel bois elle se chauffe. Concrètement, il s’agit de propulser à des vitesses proches de celle de la lumière des paquets de particules, des protons, les uns contre les autres. L’énergie mise en jeu n’est que celle d’un moustique en vol, sauf qu’elle est concentrée dans un espace minuscule, invisible à l’oeil et même au meilleur des microscopes.

Ce rôle de briseur de proton est rempli par le « Large Hadron Collider » (LHC), un accélérateur de particules installé dans un tunnel circulaire de 27 kilomètres de long, situé à cent mètres sous les montagnes du Jura, entre la France et la Suisse. Le long de cet anneau, deux chapelets de protons circulent en sens inverse et se percutent au gré des aiguillages. La construction sur place a débuté en 2001, dans l’espace occupé par un précédent accélérateur de particules, le LEP. Elle a coûté quelque 5 milliards de francs suisses (4,3 milliards d’euros), payés par les vingt pays membres du CERN mais aussi par des contributions du Japon et des Etats-Unis, montrant par là que le projet est plus international que strictement européen.

A l’intérieur, tout n’est que technologie de pointe : des aimants surpuissants pour courber les trajectoires, une réfrigération extrême à quelque – 271,3 °C pour les faire fonctionner, un vide poussé pour éviter toute rencontre avec d’autres particules, une consommation électrique équivalente à celle du canton de Genève, un alignement des trajectoires contrôlé pour corriger le passage des trains en surface… Tout cela pour un manège de particules. Une telle complexité a ses inconvénients. Une soudure défectueuse a échappé à la vigilance, causant un accident quelques jours après le démarrage et l’inauguration en septembre 2008. Résultat : plus d’un an de travaux et une énergie de collision deux fois moins importante que prévue, mais heureusement suffisante pour capturer la bête. Ce n’est pas tout. Les collisions entre particules, tels des bolides se percutant, créent une montagne de débris qu’il s’agit de détecter, d’identifier et d’analyser afin de repérer la présence éventuelle du boson de Higgs. Deux énormes yeux différents ont été construits pour ne rien rater du spectacle : CMS et Atlas.

Certain à 99,9999%

Le premier a le record de masse, 12 500 tonnes ; le second de taille, 46 mètres de long pour 25 mètres de large et de hauteur. Au total, les deux ont coûté environ 1,2 milliard de francs suisses (plus de 993 millions d’euros). Ces deux cylindres traversés par l’anneau sont comme des oignons aux multiples couches ; chaque couche étant sensible à des particules différentes, électrons, photons, muons… Ironie de l’histoire, aucune ne peut voir directement le boson, dont l’apparition n’est que trop fugace. Ce sont les gerbes de particules induites par la création du boson que les chercheurs voient, un peu comme si une avalanche en montagne était la preuve du passage d’un yéti.

Sauf que les avalanches se succèdent à un train d’enfer, 24 heures sur 24, au rythme de 500 millions par seconde. Et, là-dedans, moins d’un millier seulement sont pertinentes pour apporter les preuves. L’accouchement aura donc été long : deux années complètes de fonctionnement et des nuits d’analyses subtiles pour être sûr de ne pas avoir pris des vessies pour des lanternes. Le 4 juillet, enfin, le doute n’était plus permis. Ou presque. Car on est certain à 99,9999 % d’avoir découvert une nouvelle particule, mais on hésite encore sur la nature même de l’objet : est-ce vraiment le boson Brout-Englert-Higgs ou un boson qui lui ressemblerait mais décrit par d’autres théories ?

Les deux porte-parole de CMS et Atlas ont dévoilé leurs résultats, devant les grands anciens Peter Higgs, 83 ans, et François Englert, 80 ans, (Brout est décédé en 2011) et en présence des précédents directeurs du CERN.

Car l’aventure n’est pas qu’une histoire d’acier, de cuivre, de silicium ou de fibres optiques, elle est surtout humaine. Quelque 10 000 personnes gravitent autour du LHC. CMS et Atlas sont des « entreprises » de presque 3 000 personnes originaires de tous les continents et d’une centaine de pays. Dans ces vastes collaborations, des Européens travaillent avec des Américains, des Turcs avec des Grecs, des Indiens avec des Pakistanais, des Chinois avec des Japonais, des Russes avec des Géorgiens. Tous ont construit ensemble des machines, échangé lors de nombreuses réunions, partagé les tours de veille de jour comme de nuit. Ils se sont retrouvés dans les amphis ou plus sûrement à la cafétéria avec le mont Blanc en toile de fond. « Cela fonctionne car nous partageons un idéal commun qui transcende les différences », témoigne Michel Spiro, président du conseil du CERN. « Quand on partage les mêmes rêves, la communication est simple. Nous sommes comme un orchestre. Chacun sait ce qu’il a à faire, on se comprend tout de suite », insiste Guido Tonelli.

Fin d’une histoire, début d’une autre…

Boson de Higgs

« A la recherche du Boson de Higgs » écrit par Christophe Grojean et Laurent Vacavant écrit par deux spécialistes, l’un théoricien des particules élémentaires et l’autre chercheur en physique expérimentale, tentera de répondre à vos questions que vous soyez férus de sciences ou simples curieux. Qu’elles sont les conséquences d’une telle découverte ? De quels enjeux parle-t-on ? Et comment a-t-on fait pour le découvrir ?


[**À la recherche du boson de HIGGS

Christophe Grojean et Laurent Vacavant
*]

Éditions. Librio, 95 pages, 3€.


Illustration de l’entête. Grand collisioneur de Hadron du CERN



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WUKALI Article mis en ligne le 19/10/2018, article initialement publié le 03/05/2013 )]

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