An ideal Greek beauty


Certaines créations artistiques deviennent mythiques sans que le critique puisse réellement définir pourquoi. Archétype ? Certes oui, mais le terme est insuffisant. Conditions de la découverte, lorsqu’il s’agit d’un antique où d’une œuvre perdue d’un artiste célèbre ? Là encore oui, mais cela n’est, aussi, qu’une réponse partielle.
En réalité, si les historiens de l’art tentent de mettre au goût du jour certains créateurs ou certaines de leurs découvertes, c’est le grand public qui adoube ou non. Et le fait échappe complètement aux initiés, quoi qu’ils s’imaginent.

Il en va ainsi pour le célébrissime [**Aurige de Delphes*], conservé au musée archéologique de cette ville depuis sa découverte en 1896. C’était un don du tyran de Géla, [**Polyzalos*], dont le char avait remporté les jeux pythiques en 478 ou 474 avant notre ère.

Cette sculpture est la plus renommée de toutes les ronde-bosses* grecques antiques parvenues jusqu’à nous. Le fait qu’elle soit un bronze grandeur nature ( hauteur 180 cm), datant du premier classicisme, donc de style sévère ( vers 470 avant notre ère), un des cinq seuls exemples de l’art grec classique de cette taille que nous puissions contempler aujourd’hui, rajoute à son intérêt.|right>

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Elle fut fondue par la technique de la cire perdue, ce qui implique plusieurs parties( les deux bras, les deux pieds, la tête, le haut de la tunique et le bas de la tunique), qui furent ensuite raccordées entre elles par soudure où emboîtement mécanique. Le raffinement de ces assemblages est remarquable car les joints sont invisibles.

Sans entrer dans des détails techniques ennuyeux, cette méthode de fonte permet de transférer les moindres impulsions créatrices du sculpteur, du modèle en plâtre à l’épreuve en bronze. Ainsi que de créer plusieurs épreuves à partir d’un modèle unique. Ce qui réduit considérablement le poids et le coût d’une épreuve puisque le bronze obtenu est creux.

Les yeux étaient faits de verre de pierre peints, les cils découpés dans de la tôle battue. L’authenticité du regard, d’une vérité franche, est due à la différence de traitement coloré entre les pupilles noires et l’iris blanc : c’est un coup de génie de l’artiste créateur qui a réussi à agrandir la profondeur du champ visuel par la simple utilisation des valeurs colorées . Le nez est droit. Les lèvres épaisses, en forme de bouche en cœur, sont bien visibles. Elles sont d’un alliage à base de cuivre. Les dents étaient recouvertes d’argent. Quelques mèches de cheveux ont été coulées indépendamment.

Rappelons qu’un aurige est un conducteur de char. Celui-ci fut trouvé en trois parties distinctes : le torse et la tête, le bras droit, le bas du corps des pieds à la taille. Le bras gauche n’est jamais réapparu. La statue appartenait à un groupe important, composé d’un char, de quatre ou six chevaux( la chose reste très discutée), et d’un personnage. Quelques éléments du char, des pattes et de la queue des chevaux, ont été retrouvés aux alentours de l’aurige. Lequel est montré debout sur le char, dans une position très raide surprenante pour qui ne connaît pas ce style sévère, si caractéristique. Ce qui saute aux yeux avec la forme ovoïde du visage, très austère voire inexpressif, idem avec la chevelure bouclée au rendu lisse, pareil avec le développement excessif de la mâchoire inférieure comme celui du menton. Sa tête porte un bandeau damasquiné, autrefois aux incrustations d’argent, signe de son triomphe. Visage et pieds sont, légèrement et identiquement, orientés vers sa gauche car l’œuvre est prévue pour être regardée de trois-quarts. Les rênes de la main droite sont une restauration moderne : un fouet devait exister là. Sa tenue consiste en un très long chiton** dont les plis, à l’unisson, donnent l’impression d’une colonne : il s’agit d’une « statue-colonne » avant la lettre en quelque sorte. Mais elle n’est ni portante ni décorative comme dans l’architecture médiévale.

On remarquera qu’une ceinture(?) empêche le chiton**de se gonfler au vent, d’ailleurs les renflements au-dessus de ce baudrier présentent des poches d’air manifestes. De ce fait une cambrure dorsale est induite. Ce qui provoque une raideur générale de la sculpture, enregistrée par l’œil du spectateur. Pour notre époque c’est une faute de goût, alors que les Grecs anciens y voyaient une innovation géniale…

Le cou est plutôt raide mais son encolure est bien dégagée. Les précisions, quasi chirurgicales, des détails des doigts donnent à la main un réalisme inattendu. Les orteils des pieds sont exceptionnellement bien rendus, d’une vérité profonde qui surprend le spectateur contemporain : elles ont quelque chose de rugueux qui rappelle l’origine paysanne de la majorité du monde grec antique. L’allongement raffiné de la sculpture, aux antipodes de toute mièvrerie, accentue au contraire sa puissance expressive et, par voie de conséquence, la prise de possession par l’œil. On peut dire que l’œuvre s’empare de son espace environnant pour se fabriquer son aspect cinétique.
C’est la raison fondamentale de sa popularité auprès du grand public, le seul et unique juge impartial de la valeur de toute réalisation artistique. En réalité, l’œuvre est dérangeante pour quiconque verrait le classicisme grec au-travers des copies romaines : son aspect oriental est trop prononcé, comme sa fausse apparence maniériste***. De nos jours, il est clair que ces deux composantes sont parties intégrantes de l’art grec antique classique. Mais ce ne sont, en aucun cas, des éléments centrifuges. Le classicisme grec n’excluait rien de ce qui se passait autour de lui. Il savait prendre son dû partout…Et en réaliser la synthèse… C’est ce que les historiens ont nommé le «miracle grec ».

[**Jacques Tcharny*]|right>


Glossaire:

* ronde-bosses : sculptures en trois dimensions
** chiton : vêtement (tunique) grecque antique
*** maniériste: tendance à l’accentuation exagérée des éléments d’une composition artistique


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WUKALI Article mis en ligne le 23/11/2018)]

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