A fight for liberty, dignity and feminism

[**Marie-Guillemine Benoist*] (1768-1826) était une des rares femmes peintres du temps des « Lumières ». Fille d’un fonctionnaire devenu ministre en 1792, elle épouse un banquier en 1793 et subira l’arbitraire de la Terreur, sans être arrêtée. Formée dans l’atelier de[** Madame Vigée-Lebrun*] dès 1781, elle rejoint celui de [**David*] en 1786, où elle ne reste qu’un an : les femmes étant interdites d’étudier dans des ateliers où travaillent des hommes.

De ce fait, son féminisme suivra l’évolution de son talent : il s’approfondira et enrichira sa personnalité, sans être trop visible sous le Consulat et l’Empire. Ce que n’aurait jamais supporté [**Napoléon Ier*]. Sous la Restauration, au fait de ses capacités, elle acceptera de ne plus exposer en public pour ne pas nuire à la carrière de son mari, alors conseiller d’État. Ainsi, son intelligence évidente l’aura servie dans toutes les circonstances de la vie, les pires comme les meilleures.

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De tempérament et de formation néoclassiques, son premier tableau recensé est le portrait de son père ( 1784). On la rencontre au salon de 1791 avec «  Psyché faisant ses adieux à sa famille ». Elle peint également un remarqué « L’innocence entre le vice et la vertu  » où, en opposition avec les représentations traditionnelles, le Vice est un homme et la Vertu une femme. Mais sa manière de peindre suit sa personnalité : tout est exprimé en douceur, simplement et discrètement. Cette pondération et cette sobriété sont le fond de son tempérament et de son comportement. C’est ce qui lui valut de réussir sa carrière et sa vie assez brillamment. Là aussi, sa caractéristique première, c’est l’intelligence.

En 1800, elle triomphe au salon avec « [** Portrait d’une femme noire*] », son chef d’œuvre qui sera notre sujet. Elle remporte une médaille d’or au salon de 1804, ce qui lui vaut d’être officiellement pensionnée par l’état. Le Premier Consul lui commandera son portrait pour la ville de Gand. Elle expose très régulièrement au salon où elle est reconnue et appréciée.

Ses œuvres figurent dans plusieurs musées : le Louvre, Gand, Fontainebleau, Versailles, Lucques…

Ce « portrait d’une femme noire » fut donc exposé au salon en [**1800*]. Il fut acheté par [**Louis XVIII*] en 1818 et est conservé au musée du Louvre. C’est une huile sur toile de dimensions : 81×65 cm, en très bon état.

D’après une ancienne tradition familiale, ce serait un portrait d’une domestique, restée anonyme, ramenée de la Guadeloupe par le beau-frère de [**Marie-Guillemine Benoist*]. A l’origine, cette très belle jeune femme devait être une esclave, affranchie suite à l’abolition de l’esclavage en 1794. En 1800, elle était donc libre mais était restée, comme domestique, dans la famille où elle vivait.

Rappelons les faits : la Convention abolit l’esclavage le [**4 février 1794*], suite à la terrible révolte de [**Saint-Domingue*] menée par l’esclave noir affranchi [**Toussaint Louverture*]. Malheureusement, étant donné la guerre européenne qui sévissait alors, le décret fut appliqué en France mais pas dans les colonies, où les colons n’obéirent pas.

Au moment de la[** paix d’Amiens*] (1801/1802), suite à ce que nous nommerions une « vigoureuse campagne de lobbyistes », Bonaparte rétablit l’esclavage le 20 mai 1802. Il n’y eut pas d’effet rétroactif en métropole. L’abolition définitive se fera seulement en [**1848*], pour l’ensemble de l’Empire français.

Peindre un portrait de noir(e) était très inhabituel dans la peinture occidentale du temps, et considéré d’une trivialité que nous ne pouvons imaginer en notre époque. Seules existaient alors quelques toiles de ce sujet en Angleterre, au dix-huitième siècle. En France, [**Girodet*] avait peint, et présenté aux salons de 1797 et 1798, son fameux tableau en pied de [**Jean-Baptiste Belley*] (1747-1805), le député noir de Saint-Domingue à la Convention. Ce fut la première représentation d’un homme noir au Salon. Il provoqua un intérêt certain, voire une vraie fascination de l’inattendu par le public. Échu donc à Mme Benoist de créer la sensation au salon de 1800 en montrant pour la première fois une image d’une femme noire, de très haute qualité picturale.
Que voyons-nous ? Une jeune femme noire vue de trois-quarts, au fichu et à la robe blancs, assise sur ce qui semble être une méridienne : on ne la voit pas complètement, mais l’allongement du corps du modèle indique bien qu’il s’agit d’un lit de repos et non d’un simple fauteuil. On aperçoit un montant de bois doré du dossier, d’un jaune lumineux, sur lequel repose un châle épais, bleu, permettant d’augmenter l’effet de profondeur du sujet traité, tandis que le tissu de capitonnage de la méridienne est vert piqueté et que l’on voit les clous de tapissier utilisés. L’artiste aurait-elle vu le tableau de son mentor [**David*] : « Madame Récamier», exposé au salon la même année? C’est infiniment probable. Le fond du tableau est uniformément gris clair, d’aspect neutre accentué.
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Une ceinture rouge, un peu délacée, court tout le long du haut de la robe. On la revoit à l’arrière du corps du modèle. Quelques parties de la robe dépassent de la ceinture, formant des volants esseulés en relief. Un élégant petit nœud, très féminin, clos imparfaitement la robe entre les seins. Ceux-ci sont ronds et fermes, preuve de la jeunesse du modèle : entre 20 et 25 ans. Celui de gauche est dénudé, son téton marque un relief très net. L’autre est caché. Le modelé des formes est d’essence sculpturale. L’éclairage est direct, très précis et analytique.|center>

Deux évidences frappent le spectateur : l’opposition, tranchée et complémentaire, entre la superbe carnation noire de la belle et les blancs, profonds et immaculés, de son vêtement et de son turban ; et l’individualisation extrême du modèle. Le fichu et la robe, blancs tous deux, paraissent servir d’écrin à un bijou : le développement, physique et psychologique, d’une magnifique enveloppe corporelle noire. Le moindre coup de pinceau est à son amplitude maximum, que ce soit dans la puissance évocatrice de cette peau pratiquement rendue en volume, ou dans l’intensité de l’expression chromatique. Ce qui est aussi valable pour les contrepoints blancs, eux aussi d’une brillance colorée extraordinaire.

Observons de près ce visage : les cheveux sont merveilleusement peints, avec gourmandise pourrait-on dire. L’inflexion du cou, très allongée et presque excessive, fait penser à un célébrissime tableau de[** Raphaël*] : « la Fornarina » sa maîtresse. Cet allongement se prolonge par l’ovale parfait du visage et par le front très haut: la dolichocéphalie est donc évidente. Et, en peinture, la dolichocéphalie est un privilège de l’aristocratie. La noblesse de la pose ne fait donc aucun doute. Cette superbe jeune femme noire est montrée assise, à l’instar d’une européenne de haute classe sociale, dont elle occupe le siège de luxe. Noire ou blanche, peu importe ? C’est bien ce que nous signifie l’artiste…Une femme !|right>

L’Antillaise est calme, douce, presque résignée, voire un peu triste, mais pas inattentive : son regard très incisif est, légèrement, orienté sur sa gauche. Elle NE REGARDE DONC PAS le spectateur. Elle regarde l’artiste qui la peint en témoignant de sa personnalité. Les lèvres, pulpeuses, sont assez importantes mais vivantes. Le nez est droit, les narines très peu épatées. L’arrondi du menton suit l’ovale du visage. L’origine africaine est affirmée. Le traitement du sujet est exceptionnel de qualité picturale, attestant que la beauté est universelle. L’artiste a peint un modèle dont la sensibilité naturelle et le libre-arbitre n’ont rien à envier aux nôtres.

Son bras gauche très long, trop long, annonce certains travaux de[** Ingres*] ( l’Odalisque du Louvre par exemple). La main droite est, délicatement, posée sur la robe qu’elle maintient. Aucun vent ne souffle pourtant : il s’agit d’une convention picturale visant à provoquer un effet de déplacement de l’intérêt du spectateur.

Un détail ne trompe pas  concernant le tempérament classique de Marie-Guillemine Benoist: l’index est séparé du majeur, alors que ce dernier est montré collé à l’annulaire et à l’auriculaire. Ce fait est un des traits, une des caractéristiques principales des œuvres picturales réussies de la Renaissance en Europe, telle la Fornarina de Raphaël.
Malgré tous ces éléments positifs, la peintre nous rappelle que l’abolition de l’esclavage est récent : le modèle porte un anneau d’or pendant à l’oreille apparente, le fichu noué est typique des servantes-esclaves des Antilles et le sein visible offert. Ces trois signes sont des preuves de servitudes d’un objet de possession, un luxe de propriétaire fortuné … Heureusement pour notre modèle affranchi, elle est devenue libre.

Présenter au Salon un tableau montrant un portrait aussi individualisé de femme noire est une audace certaine en 1800. Elle fut acceptée par les autorités et le public des salons, grâce à ses hautes qualités plastiques. En l’étudiant attentivement, on se rend compte avec quelle force [**Marie-Guillemine Benoist*] a rendu le fait d’être une femme, d’être noire et d’appartenir à une classe sociale supposée « naturellement inférieure » par la morale du temps. C’est une preuve de courage de la part de notre femme artiste. C’est aussi affirmer la certitude d’avoir du talent et une expression de son intelligence profonde.

Laissons le dernier mot à [**Ayana Jackson*], la célèbre photographe noire américaine: « Portrait d’une femme noire était un tableau controversé car, à l’époque, on ne pensait pas qu’on pouvait représenter le corps noir d’une belle manière. Le seul fait que ce tableau existe est exceptionnel».

[**Jacques Tcharny*]|right>


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WUKALI Article mis en ligne le 21/12/2018)]

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